Publié le 07/06/2024
1883
Déguisé en Rabbin, dans un territoire encore inconnu pour les Européens, Charles de Foucauld entreprend une incroyable exploration du Maroc qu’il consigne dans un récit « Reconnaissance au Maroc ».Il avait pour guide Mardochée Aby Serrour originaire d’Akka. Pourtant, il ne parle pas de lui dans son récit et ne mentionne même pas son nom dans la liste des personnes qu’il remercie (relent de l’antisémitisme de l’armée française avant l’affaire Dreyfus ?) !
Mardochée est un érudit. A neuf ans, il part de son village Akka pour étudier le talmud et l’hébreu à Marrakech. A 13 ans, il est envoyé à Jérusalem pour y suivre des études rabbiniques. Il sert ensuite la communauté d’Alep en Syrie pendant un an ce qui lui permet de récolter assez d’argent pour entamer son retour au Maghreb. Il devient Algérien et obtient un passeport français. Il traverse ensuite le Sahara jusqu’à Tombouctou. En 1869, dépouillé de ses biens, il retourne à Akka. Il fait la rencontre du consul de Mogador à qui raconte ses mésaventures africaines. Fasciné par ce rabbin voyageur, le consul traduit en français son histoire qui est publiée dans le bulletin de la Société de Géographie de Paris pour laquelle Mardochée va travailler de 1870 à1878. Il sera également présenté au directeur de l’alliance israélite universelle de Tanger. Sur les conseils d’Oscar Mac Carty de la bibliothèque d’Alger, Charles De Foucauld l’engage , en 1883, comme guide afin de partir à la découverte du Maroc, un pays alors interdit aux chrétiens .
Sur les cartes topographiques de Charles de Foucauld, on reconnait le trajet que nous ferons en bus cent trente cinq en plus tard de Talaouine à Akka. Comme lui nous traversons l’Anti Atlas. Bien sûr nous roulons sur des routes goudronnées mais les hautes montagnes sans végétation dans un paysage minéral fascinant n’ont pas dû bouger ! De temps en temps on voit des maisons de constructions récentes peintes en rouge, qui ont bien résisté au séisme de septembre. Ces maisons sont souvent inoccupées, son propriétaire est un émigré qui investit au bled, terre de ses ancêtres, il est le plus souvent en France ou dans les grandes villes du Maroc, Casablanca, Rabat, Marrakech… Ces bâtisses ont bien résisté au séisme de septembre contrairement aux villages en pisé où les dégâts ont été importants et dont certains habitants sont encore logés dans des campements. Charles de Foucauld note qu’il rencontre peu de vieillards (les hommes sont tués dans les règlements de compte entre tribu). A contrario, nous rencontrerons plutôt des hommes âgés (les plus jeunes travaillent dans les grandes villes) et des femmes souvent jeunes qui tiennent des « auberges » où nous logerons ou qui s’occupent des champs de luzerne pour nourrir les chèvres et les moutons ou encore qui travaillent dans des coopératives féminines.»
Mercredi 22 Mai 2024
A 7 Km de Tata, en direction d’Akka nous allons à Tazart. Comme le décrit de Charles de Foucauld : « On suit constamment le pied du Mont Bani. Cette chaine est un mouvement de terrain fort curieux et l’un des plus important du Sahara Marocain. S’élevant de 200 à 300 mètres au-dessus du sol environnant, d’un à deux kilomètres de largeur, sans aucune largeur au sommet, elle forme une lame rocheuse, un tranchant, émergeant de terre au-dessus du désert……Le Bani est en roche, sans terre, ni végétation : grès calciné, il présente une écaille noire et brillante sur toute la sur la surface de ses flancs. Ceux-ci sont en pente douce au pied, très raide vers le sommet……….. ….Tazart est l’un des plus grands qçars de Tata. Le point où il est construit s’appelle Irf Ouzelag, « la tête du serpent ». La localité se compose de trois parties : l’une dominée par le donjon de la maison commune, forme le qçar actuel ; la seconde, plus petite est ruinée, la destruction date de quelques années à cause d’une guerre sanglante entre les Mekrez et l’autre moitié de la tribu. Le troisième quartier encore plus petit que les précédents est hors les murs c’est le mellah.
C’est là que Charles de Foucauld va séjourner quelque temps. Les brochures touristiques en font mention mais il n’y a pas de plaque commémorative pour signaler son passage, juste la fenêtre d’une haute maison couverte d’une terrasse désignée par notre guide. Les habitants de confession juive résidaient dans le mellah. Autrefois grouillant de vie, ouvrant ses portes aux caravanes commerciales, le mellah est inhabité et abandonné depuis l’exode des juifs. Il est édifié au bord de la falaise, il la prolonge dans les mêmes teintes gris–rose que son soubassement naturel d’où sont extraites les pierres de ces constructions. Nous montons à pied pour rejoindre l’enceinte du mellah. Nous surplombons une palmeraie en mauvais état à cause de la sécheresse et du bayoud (champignons de la datte).
Le lendemain, après une nuit dans l’authentique Riad Bounaylat, Moulay Mehdi, ami de Philippe Jouve, nous fait visiter le musée gardé par le grand-père de notre hôtesse. Petite caverne d’Ali Baba, il recèle pêle-mêle de nombreux objets berbères ou juifs et accrochée au mur, une carte du Maroc datant du protectorat français et inspirée des notes topographiques de Charles de Foucauld.
Que s’est-il passé dans les oasis du sud Marocain pour que le géographe et futur saint de l’église catholique n’ait de cesse jusqu’à sa mort en 1916 de vouloir y retourner ?
Pays attachant, ceux qui le connaissent ne l’oublient pas, ceux qui le découvrent sont fascinés.
Fabienne Montange