Résumé – Chapitre 38 – JEUNES – «LA SOCIÉTÉ QUI VIENT» DIDIER FASSIN

La societe qui vient - Didier Fassin - Résumés LVN

Publié le 12/01/2024

«La Société qui vient» sous la direction de Didier FASSIN
Éditions du Seuil, 2022, 1319 p.
Chapitre 38 – Jeunes – par Cécile Van de Velde pages 706-719

Certes, il est encore trop tôt pour mesurer « l’effet cicatrice » de cette crise sanitaire sur les jeunes générations, c’est-à-dire l’impact de long terme sur les parcours de vie, car celui-ci dépendra aussi des évolutions économiques et des choix politiques opérés dans les années à venir. Pour mieux identifier ce défi des générations et les enjeux politiques qu’il soulève, ce chapitre propose de décrypter la façon dont la crise sanitaire vient affecter la condition juvénile en France, ainsi que la structure des inégalités qui la traversent. Nous allons ainsi montrer que la crise sanitaire aiguise doublement les enjeux d’équité générationnelle déjà présents dans la société française, à la fois entre les générations et à l’intérieur des jeunes générations. Cette dynamique questionne les réponses politiques actuellement données à la crise qui, en consacrant la (re) « familialisation  » des jeunes adultes, tendent à accentuer la pression inégalitaire sur les parcours de vie.

Tout d’abord, la pandémie exacerbe, en même temps qu’elle la reformule, la question des inégalités générationnelles, et plus largement celle des perspectives laissées aux jeunes générations au sein de la société française. La crise sanitaire risque d’accentuer encore les risques de conflictualité générationnelle dans la sphère politique, car elle actualise des discours déjà présents sur la question de la lourde « dette » transmise aux jeunes générations, dans une possible jonction de ses dimensions socio-économiques, environnementales, et existentielles. Cette notion d’« inégalités entre générations » appelle tout d’abord à être déconstruite, pour mieux en saisir les enjeux. Ces phénomènes s’avèrent particulièrement aigus dans les régimes sociaux dits «corporatistes », qui, comme la société française, s’appuient sur un système de redistribution assurantielle entre les générations, et un marché du travail très stratifié, faisant des jeunes « entrants » une variable d’ajustement en temps de crise.

En venant heurter une génération très éduquée et marquée par une puissante norme d’individuation, elles ont participé à la montée d’un « nous » de génération, en particulier chez les jeunes diplômés, cristallisé sur une rhétorique des « portes fermées » et du manque de perspectives. À l’exception de certains secteurs professionnels, ce qui se joue au tournant des années 2020 ne relève pas tant d’un conflit explicite entre les générations, mais plutôt d’une défiance accentuée d’une large partie des jeunes générations envers les institutions et les pouvoirs publics. On peut y lire la montée d’une revendication générationnelle dénonçant le poids d’une « dette » collective trop lourde à porter, et la montée progressive d’un discours d’accusation directe des générations aînées en particulier des générations au pouvoir. Comparativement aux protestations juvéniles portées ailleurs dans le monde, les mouvements sociaux en France et dans les pays du sud de l’Europe ont été particulièrement marqués par un discours d’injustice sociale entre générations, qui se cristallise sur la thématique du « sacrifice » et sur la dénonciation du déclassement collectif d’une génération pourtant diplômée, payant le prix fort de la crise et de l’austérité.

À la fin de la décennie, les mouvements pro-environnementaux sont venus infléchir fortement ces rhétoriques, en marquant une jonction entre les problématiques d’injustice sociale et d’injustice environnementale entre générations. On y trouve également une accusation plus frontale portée envers les générations aînées, avec une rhétorique d’inversion des rôles entre enfants et adultes, invoquant des jeunes générations nécessairement responsabilisées trop tôt, face à des générations adultes qui auraient été trop « insouciantes ». Dans ce contexte, il sera important de suivre la façon dont ces rhétoriques générationnelles vont évoluer dans le sillage de la crise sanitaire qui, en affectant le temps même de la jeunesse et en radicalisant l’incertitude sur les perspectives d’avenir, pourrait consolider la dénonciation politique des inégalités liées aux conditions mêmes d’existence entre générations.Comme ce fut le cas lors de la crise financière de 2007-2008, les jeunes générations sont particulièrement affectées par les conséquences économiques et sociales de la pandémie, que ce soit sous la forme de pertes d’emplois à temps plein ou à temps partiel, de réduction salariale, ou d’arrêt des stages.

Les premières enquêtes sur le confinement ont montré que les jeunes ont également payé un lourd tribut en termes d’isolement, de stress et de santé mentale3, à un âge justement pensé en France, comme celui de l’envol vers l’âge adulte. Selon les résultats obtenus selon la méthode d’enquête du Focus group conduite auprès de jeunes adultes en France et au Canada en 2021, 88 % des jeunes adultes interrogés déclarent ainsi que l’État n’accorde pas suffisamment d’attention à leurs besoins et à leurs préoccupations face à la pandémie6. Par ailleurs, même si certaines différenciations entre hommes et femmes sont aujourd’hui réinterprétées dans un sens plus égalitaire, les clivages genrés restent prégnants au sein des parcours, avec notamment une tendance à la décohabitation plus précoce pour les jeunes femmes, ainsi qu’un taux de chômage et d’inactivité plus important que pour les jeunes hommes9. Il faut noter également qu’en France, l’insertion professionnelle reste plus difficile pour les jeunes adultes d’origine immigrée, même diplômés.

Seules les allocations logement dérogent à ce principe, en offrant des prestations directes dès 18 ans pour les individus ne vivant plus chez leurs parents, et qui favorisent plutôt les jeunes adultes issus des classes moyennes et aisées. Cette approche « familialisante » tend au final à se rapprocher davantage de celle des sociétés du sud de l’Europe, même si jusqu’à la crise pandémique, les politiques de jeunesse s’y distinguaient davantage par la faiblesse généralisée des aides publiques destinées aux jeunes. Une autre conséquence de cette approche est de multiplier les « dispositifs » ciblés dans le but de couvrir de façon partielle les nouveaux interstices de vulnérabilité laissés vacants par ces seuils d’âge, notamment parmi les jeunes majeurs qui ne peuvent compter sur l’aide familiale ou sur l’emploi. Depuis la pandémie, les aides d’urgence mises en place auprès des jeunes adultes restent inscrites dans ce paradigme.

Elles viennent tout d’abord confirmer le maintien d’une réticence fondamentale, en France, à la mise en place d’un revenu minimum avant 25 ans, même si la question est désormais posée dans l’espace que face à l’importance des niveaux de pauvreté des jeunes adulte, le débat sur l’extension du RSA à partir de la majorité a été tenté à l’Assemblée nationale. À ce jour, une voie évoquée par le gouvernement serait plutôt de favoriser une extension de la Garantie jeunes, actuellement réservée aux jeunes les plus vulnérables. Comme il a été déjà souligné, elle vient en retour renforcer la dialectique inégalitaire actuellement très présente au sein des jeunes générations, en clivant les trajectoires de ceux qui peuvent bénéficier d’une sécurisation minimale par la famille et de ceux qui ne le peuvent pas.

Quelles que soient les options politiques retenues, une telle impulsion pourrait s’appuyer sur trois enjeux fondamentaux :

  1. Une logique de sécurisation financière et existentielle aurait pour but d’alléger la pression économique et temporelle qui pèse actuellement sur les parcours de jeunesse et de rendre possible le travail d’ajustement rendu nécessaire par un marché du travail incertain, avec par exemple une aide financière minimale plus continue, et l’ouverture de formations courtes et ouvertes aux non-diplômés.
  2. Une logique d’investissement viserait à répondre aux défis de moyen terme qui attendent les jeunes générations, en revalorisant par exemple les investissements structurels dans l’éducation, dans l’environnement et dans certains secteurs économiques émergents, et permettrait d’envoyer ainsi un nécessaire message d’ouverture des perspectives pour les générations « futures ».
  3. Une logique d’inclusion démocratique viserait une meilleure prise en compte des problématiques sociales de la jeunesse dans les propositions politiques de sortie de crise, que ce soit par l’incitation au vote des plus jeunes, le renouvellement partisan, ou la prise en compte de façon plus systématique des voix juvéniles dans la mise en place des réformes

Claude Avisse atelier Solidarité Migrants

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