Résumé – Chapitre 34 – RICHESSES – «LA SOCIÉTÉ QUI VIENT» DIDIER FASSIN

La societe qui vient - Didier Fassin - Résumés LVN

Publié le 12/01/2024

«La Société qui vient» sous la direction de Didier FASSIN
Éditions du Seuil, 2022, 1319 p.

Chapitre 34 – Richesses – par Lucas Chancel pages 633-650

La dynamique des inégalités de richesse suscite un regain d’intérêt en France et dans le monde, au sein des mi – lieux universitaires comme dans l’espace public, notamment depuis la crise financière de 2008 et son mouvement des « 99 % », plus récemment avec la crise des Gilets jaunes qui plaça la justice fiscale au centre des débats et maintenant avec les inégalités induites par la crise liée à la covid .
On observe également depuis quelques années un changement de discours au sein des institutions internationales sur la question des inégalités. Dans le champ politique, la troisième voie blairiste, le tournant de rigueur mitterrandien, le gou – vernement social-démocrate de Gerhard Schröder, semblaient s’accommoder d’un accroissement des inégalités, si celles-ci pouvaient en contrepartie générer de l’emploi ou de la croissance. La chute du mur de Berlin, l’implosion du bloc soviétique et la fin du contre-modèle communiste rendaient la critique du capitalisme et de ses conséquences so- ciales plus ardues, tout en simplifiant les discours de ses défenseurs, comme l’illustre le célèbre « There is no alternative » thatchérien. Les sociétés humaines seront toujours, dans certaines dimensions, inégales. La question posée par les so- ciétés modernes, gravée dans le marbre de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, est précisément celle du niveau acceptable des inégalités de richesse : « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité com – mune » établit le texte fondamental dans son article 1.

De l’importance des données sur les inégalités.

Force est de constater qu’il est bien difficile aujourd’hui de développer une analyse dépassionnée sur la question des inégalités tant nous manquons de données fiables et transparentes sur l’évolution des revenus et des patrimoines. Malgré de nombreuses initiatives, commissions, rapports officiels, appelant à le dépasser2, l’indicateur phare du progrès économique demeure le PIB dont les publications annuelles ou semestrielles officielles ne sont toujours pas accompa- gnées de mesures indiquant l’inégalité de cette croissance.
Le manque de données sur la distribution de la croissance économique est en partie dû à l’architecture et à l’opacité du système financier, ainsi qu’aux attitudes de nombreux États qui sont souvent réticents à diffuser des données sur les in – égalités de revenu et de patrimoine, même lorsqu’ils les détiennent.
Ces données microéconomiques sont également mises en cohérence avec les données macroéconomiques que sont les comptes nationaux et d’où nous proviennent les chiffres de la croissance du PIB notamment, l’indicateur économique le plus connu. L’approche proposée ici consiste donc à répartir de manière systématique la croissance économique aux différents groupes de revenu, à l’intérieur des pays et à l’échelle du monde. Une telle entreprise peut sembler évidente pour les besoins des gouvernements. Pourtant, aussi surprenant que cela puisse paraître, les gouvernements des pays riches comme des pays pauvres, y compris français, ne disposent pas toujours d’outils permettant de suivre finement la répartition des fruits de la croissance des revenus et du patrimoine.

La remontée historique des inégalités.

La Belle Époque est d’abord et avant tout celle des propriétaires européens, richissimes dans leur pays et dans le reste du monde, qu’ils possèdent en grande partie via leurs placements à l’étranger.
Cette part du revenu national captée par le décile supérieur chute alors avec les chocs militaires, politiques et écono – miques du premier XXe siècle, atteignant 37 % en 1950. Bien que moins brutale, la baisse se poursuit dans les années 1950-1970 dans de nombreux pays, sous l’effet des politiques d’encadrement du capital et d’investissement dans les ser – vices essentiels, mises en place à des degrés divers dans les pays riches comme dans les pays émergents après leur indé – pendance.

Depuis 1980, les inégalités ont augmenté dans la plupart des pays mais pas au même rythme.

La part du revenu national détenue par le décile supérieur s’est accrue dans la plupart des régions du monde de- puis 1980. Il y a quarante ans, cette part était de l’ordre de 30-35 % en Europe, en Amérique du Nord, en Chine et en Inde, et d’environ 20-25 % en Russie. De 1980 à 2020, le revenu du décile supérieur a augmenté dans toutes ces zones, mais dans des mesures très différentes.

La croissance des inégalités au sommet de la distribution était-elle souhaitable ou inéluctable ?

Au cours des dernières décennies, une part disproportionnée de la croissance a été captée par le décile supérieur au sein des pays. En réalité, des groupes encore plus fins de la population concentrent un maximum de gains. C’est vrai au niveau des pays mais aussi au niveau mondial. Ainsi, le centile supérieur de la population mondiale a perçu depuis 1980 près de deux fois plus de croissance que les 50 % du bas. Pour le millime supérieur cette part a été presque égale à celle de la moitié la plus pauvre5. Autrement dit, la période récente est marquée par une très forte hausse des revenus au sommet de la distribution mondiale. Selon certains, cette hausse était nécessaire pour garantir la prospérité de tous. Pour d’autres, elle s’est faite au détriment des classes populaires et des classes moyennes.

En France, depuis le début du XXe siècle, l’amplitude des inégalités de revenu a considérablement varié

Dans l’Hexagone, bien que les inégalités de revenu ne soient en rien négligeables aujourd’hui, elles se sont consi – dérablement réduites depuis 1900.
Tout d’abord, rappelons que le revenu moyen a augmenté très fortement en cent vingt ans. Il est passé de 5 500 euros par adulte en 1900 à 37 200 euros aujourd’hui, une multiplication par sept environ. Cette évolution ne s’est cependant pas faite de façon régulière. De 1900 à 1945, le revenu des Français a décliné en moyenne de 0,1 % par an. Puis, de l’après-guerre à 1980 , il a augmenté en moyenne de 3,7 %. La période suivante a vu le revenu national par adulte pro – gresser quatre fois moins vite qu’auparavant, à raison d’environ 0,9 % par an depuis 1980.
Ces évolutions, aussi structurantes qu’elles soient, masquent la dynamique des inégalités. Celle-ci peut se diviser en trois grandes phases, comme dans le reste du monde. La première phase s’étend du début de la Première Guerre mondiale à la fin de la Seconde. La part de revenus des 10 % les plus aisés a subi une chute brutale pendant la période 1914-1945 : partie de 50 % du revenu total à la veille du premier conflit, elle se situait un peu au-dessus de 30 % en 1945. Cette baisse est due principalement à l’effondrement des revenus du capital, touchés par une série de chocs. En général, les re – venus du capital représentent une proportion considérablement plus élevée des revenus des 10 % les plus riches — et en particulier des 1 % les plus fortunés — que de ceux des autres.

La fin des Trente Glorieuses pour tout le monde.

Depuis le début des années 1980, les Trente Glorieuses sont terminées. Cela est vrai pour la grande majorité de la population, mais pas pour les groupes les plus aisés. Depuis 1983, le revenu national moyen par adulte s’est élevé d’environ 1 % par an en moyenne . Mais cette hausse n’a pas été la même pour tous les groupes de revenus. Ainsi, les 50 % du bas ont vu leurs revenus augmenter en moyenne de 0,9 % par an, les 40 % du milieu de 0,8 % par an et les 10 % du haut de 1,3 % par an. Au sommet de la distribution, les 0,1 % les plus riches ont, eux, vu leurs revenus augmenter de 2,2 % par an, et pour les 0,001 % d’entre eux de 2,9 % par an en moyenne8. Comment s’explique la récente hausse des revenus supérieurs ? Dans le cas de la France, cette catégorie de population a bénéficié de considérables augmentations des revenus du travail et du capital. Le progrès technique ainsi que l’évolution de l’offre et de la demande de travail qua- lifié, facteurs traditionnellement avancés, ne sauraient expliquer la concentration accrue de revenus au sommet de la dis – tribution, dans le monde en général et en France en particulier.

L’augmentation des revenus du travail pour cette catégorie de population résulte plus probablement de l’évolu- tion de facteurs institutionnels régissant les processus de détermination des rémunérations aux postes de direction. Il s’agit notamment de changements dans la gouvernance des grandes entreprises et du déclin des syndicats et de la négo – ciation collective. En outre, l’évolution des taux marginaux d’imposition sur les revenus les plus élevés a sans doute eu aussi des répercussions sur les inégalités en matière de revenu du travail. Les inégalités hommes/femmes sont aussi par- ticulièrement aiguës aux postes les mieux rémunérés. Malgré de modestes progrès depuis 1994, les femmes n’y ont tou- jours pas autant accès que les hommes.

En 2012, elles représentaient 42 % des 50 % de personnes les mieux payées. Elles étaient seulement 30 % dans la catégorie des 10 % supérieurs et 12 % dans celle des 0,1 % supérieurs. Si la tendance actuelle se poursuit, elles de- vront attendre 2102 pour être à égalité avec les hommes parmi les 10 % les mieux payés, et 2144 parmi les 0,1 % du sommet.
En France, les inégalités de patrimoine, plus fortes que celles des revenus, continuent d’augmenter.
Les dynamiques des inégalités de revenu et de patrimoine sont intimement liées mais elles entretiennent des rapports complexes où de nombreux facteurs entrent en jeu, notamment les dynamiques de long terme , le fait que les groupes de revenu n’épargnent pas tous de la même manière et que l’épargne des uns rapporte davantage que celle des autres.

Conclusion.

Si la France est l’un des pays du monde où les inégalités restent relativement contenues, la tendance observée depuis quelques années est en rupture avec la période qui précède et les très hauts patrimoines croissent beaucoup plus vite que ceux des classes moyennes et populaires sur la période récente. Cela équivaut à une hausse de 68 %, la plus forte enre – gistrée en vingt ans. L’explosion de la précarité chez les étudiants et les jeunes est particulièrement préoccupante en 2021, d’autant plus qu’il s’agit de populations qui ne disposent pas d’un accès aux minima sociaux comme le Revenu de solidarité active , réservé aux plus de 25 ans.

Claude Avisse, Atelier Solidarité Migrants

 

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