Relever le défi de justice pour relever celui du dérèglement climatique

Publié le 15/11/2023

Article rédigé le 15 novembre 2023

L’atelier Climat et justice des Rencontres LVN 2023 s’est déroulé en deux temps : le dérèglement climatique, le défi de justice qu’il engendre. Ci-dessous la trame suivie et, en marges, des réactions suscitées.

Le dérèglement climatique

Créé en 1988, le Groupement intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) a remis, depuis cette date, six rapports aux États membres de l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) et du Programme des Nations Unies sur l’Environ- nement (PNUE) qui en assurent collectivement la gouvernance. La Fresque du climat 1 fait prendre conscience des travaux du GIEC. Dans ce jeu collaboratif, les participants reçoivent des lots de cartes et cherchent à les disposer les unes par rapport aux autres de façon à mettre en évidence les liens de cause à effet. Aux Rencontres LVN 2023, deux groupes de sept personnes ont participé à ce jeu.
Les deux premiers lots de cartes avaient trait au rôle des différentes activités humaines sur les émissions de gaz à effet de serre (GES). À la suite du travail des participants, on a fait le point. Le charbon, le pétrole et le gaz résultent d’une transformation de matières vivantes stockées dans la croûte terrestre. Ils ont été utilisés comme sources d’énergie depuis le début de l’ère industrielle à la fin du XVIIIe siècle en Angleterre, puis en France et aux USA. La combustion de ces matières dégage du gaz carbonique (CO2) qui accentue l’effet de serre. L’Atlantique Nord a été la première région du monde à s’industrialiser grâce à ces énergies fossiles. Avec la mondialisation des échanges com- merciaux le poids des transports dans les émis- sions de CO2 n’a cessé d’augmenter. L’agriculture et la forêt ont des rôles ambivalents : les couverts permanents fixent du carbone dans les sols mais les activités de culture et d’élevage, à des degrés très divers, émettent du CO2 et d’autres gaz à effet de serre (GES) comme le méthane (CH4) et le mo- noxyde d’azote (N2O), soit un total d’émissions de 25 % d’équivalent de CO2, la déforestation comptant pour 12 à 15%.
Les troisième et quatrième lots de cartes ont permis aux participants de comprendre comment l’ensemble des GES crée un effet de serre addition- nel qui augmente le flux énergétique reçu par la Terre, lequel contribue à réchauffer l’océan, le sol, l’atmosphère et à faire fondre la glace.
Cela a été l’occasion de belles discussions. On comprend ensuite comment ces phénomènes entraînent des perturbations du cycle de l’eau, des courants océaniques et atmosphériques et un dé- règlement général du climat : montée du niveau de la mer, généralisation des cyclones, des crues, des sécheresses. Les biodiversités terrestre et marine se trouvent très perturbées par ces phénomènes d’une brutalité jusqu’alors inconnue. Qui plus est, certains phénomènes comme la fonte des glaciers, les mégafeux de forêt, le dégel du permafrost créent des risques d’emballement.
Le dernier lot de cartes porte sur la dégradation des conditions d’habitabilité de la planète pour les humains, tout particulièrement ceux du Sud. La baisse de rendement des cultures et celle des ressources en eau entrainent des famines et af- fectent la santé humaine soumise par ailleurs à une multiplication des maladies transmissibles par des vecteurs qui se multiplient. Ce sont là des causes de mouvements de populations dont on est loin de prendre la mesure, alors qu’il va falloir légiférer au plus vite sur le concept de réfugié climatique.

Le défi de justice

Devant l’urgence des mesures à prendre pour limiter le dérèglement climatique, 170 pays ont signé dès 1992 un traité international dans le cadre des Nations Unies – la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) – déclarant d’emblée deux principes : les responsabilités sont communes mais différenciées et les pays en développement (PED) sont en situations plus précaires. À partir de 1995 les Conférences des Parties (COP), qui se réunissent quinze jours tous les ans dans un pays différent, constituent la plus haute autorité interétatique à pouvoir prendre des décisions à partir des connaissances qui pro- gressent au cours du temps grâce aux rapports du GIEC et aux relations interactives entre GIEC et COP.
Il faut bien constater une disjonction fondamen- tale entre les alertes du GIEC et la réalité qui se traduit par une croissance continue des émissions de GES. Les COP ne serviraient-elles à rien ? Non. Même si le chemin parcouru est petit par rapport à ce qu’il reste à faire et que le temps presse de plus en plus, les COP successives traduisent une montée en puissance de la prise de conscience de l’urgence de réguler les processus et de réparer les inégalités qu’ils entraînent.
Sur le principe d’une responsabilité historique la COP 3 de Kyoto a entériné des engagements contrai- gnants pour 38 pays industrialisés, tandis que des pays comme le Brésil, la Chine ou l’Inde n’étaient pas alors soumis à la réduction d’émissions. Ces derniers (la Chine en particulier), contribuant pro- gressivement aux émissions de GES résistèrent longtemps aux pressions des pays industrialisés qui réclamaient leur participation. De là l’échec de la COP 15 à Copenhague. En 2012, la COP 18 de Doha prolonge le protocole de Kyoto, mais le Canada, la Russie et le Japon s’en dégagent, tandis que le fonds pour l’aide à l’adaptation des pays pauvres au changement climatique, réclamé et même pré- vu depuis 2001, n’est toujours pas abondé. Pour sortir de ce piétinement, dans les COP suivantes, il est demandé à chaque État de s’engager de fa- çon argumentée sur une contribution déterminée au niveau national (CDN), tandis que les pays les plus pauvres arrivent à faire reconnaître qu’ils su- bissent une grande injustice puisqu’ils sont peu émetteurs alors qu’ils sont les plus exposés au dé- règlement du climat. Ils incitent ainsi le GIEC qui avait jusqu’alors travaillé sur l’atténuation à rendre compte des recherches sur l’adaptation. Dernière- ment l’un des groupes de travail du GIEC a indiqué que près de la moitié de la population mondiale (3,6 milliards d’humains) vivent dans une zone hautement vulnérable au dérèglement climatique.
En 2015, la COP 21, à Paris, traduit ces évolutions. Elle est la première à embarquer tous les pays qui y apportent leur CDN et la première à prévoir un fonds, abondé par les pays riches de 100 milliards de dollars par an pour financer l’adaptation des pays pauvres. Malheureusement ne sont tenues ni les promesses de réduire les émissions (promesses d’ailleurs insuffisantes pour limiter l’augmentation à 2o C en fin de siècle, il faudrait pour cela réduire les émissions de 60 % d’ici 2035 d’après le dernier rapport de synthèse du GIEC), ni celles de financer les pays pauvres, insuffisantes elles aussi (puisque la Banque africaine de développement estime qu’il faudrait 230 milliards par an d’ici à 2030). Qui plus est, la libre circulation des biens étant le mantra de l’intouchable Organisation Mondiale du Com- merce (OMC) les transports internationaux n’ont pas fait l’objet de négociations lors de la COP 21. Du coup, les engagements des États à diminuer leurs émissions sont calculés sur le territoire du pays et non sur les consommations des habitants, ce qui impliquerait de tenir compte des activités commerciales. Pourtant, calculées par habitant, les émissions seraient une évaluation plus juste des efforts à faire par chaque pays.
Réajustement des contributions à la diminution des GES et au fonds pour l’adaptation sont les deux points débattus entre États au cours des COP sui- vantes. En 2022, la COP 27 de Charm-el-Cheikh a été la première « COP africaine » où les 54 pays africains, rejetant 3 % des émissions mondiales, ont commencé à être les porte-voix de tous les pays vulnérables. Ils ont obtenu la création d’un second fonds dit « de pertes et dommages » non plus pour aider les pays pauvres à s’adapter, mais pour réparer les dégâts irréversibles (en Afrique des dizaines de millions de personnes ont quitté leurs foyers à cause de l’élévation du niveau de la mer). Les îles du Pacifique comme les Îles Fidji sont particulièrement affectées. C’est une dette clima- tique des pays du Nord envers ceux du Sud compte tenu de leur échec à diminuer leurs émissions qui affectent surtout ces derniers. Les pays riches (USA et UE) bloquent cette demande financière.
Trois points sont désormais à débattre dans les COP : l’arrêt des émissions de GES, le fonds d’aide à l’adaptation des pays pauvres et celui qui doit compenser les dégâts irréversibles. Alors que sous la pression des lobbys pétroliers les COP n’ont jamais fait état des énergies fossiles, la COP de Dubaï (30 novembre – 12 décembre 2023) arri- vera-t-elle, enfin, à reconnaître leur rôle primor- dial dans les émissions de GES ?2 Arrivera-t-elle à abonder les deux fonds visant à réparer l’injustice climatique ? Elle a donné lieu à une longue pré- paration. L’Organisation maritime internationale (OMI) à Londres en juillet 2023 a envisagé une taxe carbone sur le secteur maritime qui avait été exclu des discussions de la COP 21 et 70 pays (dont la France) sur 175 l’ont approuvée, avec une forte opposition des pays émergents comme le Brésil et l’Argentine, exportateurs de denrées alimentaires. Par ailleurs, les revendications des pays pauvres ont été préparées par un Sommet africain sur le climat à Nairobi (Kenya), terminé le 06/09/2023. Pour donner plus de poids à leurs revendications lors de la COP 28, les 54 États se sont entendus pour être représentés par un seul représentant.
Comme on le voit, au plus haut niveau des États, la prise de conscience progresse des efforts à ré- aliser pour réduire les émissions et pour rendre justice aux pays les plus pauvres. Mais c’est leur mise en œuvre qui piétine, alors que la maison brûle. Mais au fond, n’en est-il pas un peu de même pour chacun de nous ? Les lobbys des énergies fossiles qui justifient leurs nouvelles prospections par nécessité de répondre à une demande qu’ils entretiennent, les accords d’échanges inégaux qui font fi de la souveraineté des États pour rechercher ensemble une réduction générale des émissions de GES en même temps que l’adaptation de chacun d’eux au dérèglement climatique… Voilà quelques- unes des causes profondes contre lesquelles on doit se battre, ensemble, États et citoyens de ces États, ayant en tête, par souci de justice, d’accueillir le petit nombre de migrants climatiques qui vont venir chez nous et d’aider les pays les plus exposés à préserver l’habitabilité de leurs territoires.

François Papy

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