Publié le 11/07/2023
« La Société qui vient » sous la direction de Didier FASSIN
éditions du Seuil, 2022, 1319 p.
Chapitre 28. Prison par Corinne Rostain p. 524-540.
Depuis la révolution française la peine de prison est la clé de voûte du système pénal.
Elle est pensée comme une nécessité provisoire, en attendant que l’école de la République ainsi que les lois justes et égales pour toutes et pour tous, rendent caduques de telles institutions.
Dans les faits, la prison n’a cessé de se développer avec plus de 200 établissements pénitentiaires, avec un personnel professionnalisé et diversifié : mission de sécurité, missions sociales (santé, formation, activités, insertion…)
La prison recouvre deux dispositifs différents avec une logique de fonctionnement et une fonction sociale différentes :
1. la maison d’arrêt caractérisée par un séjour court, un turn over important, une fonction de sécurité
2. les établissements pour peines (terme générique) avec une fonction minoritaire liée à la peine et à la durée
Au départ l’objectif est double : la protection sécuritaire, et la transformation du détenu.
Dans les faits les changements en prison sont dérisoires et la France fait l’objet régulièrement de condamnations pour traitements inhumains et dégradants.
La surpopulation est-elle un problème chronique insoluble?
La France en 1975 enfermait 26000 détenus en 2019 le nombre atteignait 71000 (pendant cette période la population française n’a augmenté que de 27 %). A contrario la période actuelle semble être la moins meurtrière entre 1985 et 2015 le taux d’homicides a été divisé par 5.
L’augmentation du taux d’incarcération n’est pas liée à la criminalité mais à un tournant punitif dans une culture de contrôle : lutte contre la violence routière, lutte contre le terrorisme, lutte contre la violence : vis à vis des mineurs, des professionnels de l’État et par un durcissement des peines dans le cadre de la politique du chiffre.
30 % des prévenus attendent de passer en jugement
45 % des condamnés le sont pour des peines inférieures à 5 ans
25 % des condamnés le sont pour des peines supérieures à 5 ans
La prison retient plus le menu fretin que les gros bonnets. Le processus pénal opère un filtre social mais aussi ethno-racial et genré (4 % de femmes).
La prison est devenue le lieu d’enfermement des personnes vulnérables depuis l’ouverture des hôpitaux psychiatriques.
Pour réduire cette surpopulation il faut agir sur 4 plans :
1. réduire les entrées
2. développer les peines de substitution (ex la Finlande)
3. moins recourir aux courtes peines (ex la Suisse)
4. développer les peines d’intérêt général
Entre 1996 et 2008 l’état a créé 22000 nouvelles places mais il n’a pu mettre en place l’encellulement individuel (voté en 1875 et réitéré de nombreuses fois).
La sécurité totale n’existe pas, la sécurité a un coût. Aucune société ne peut vivre sans une part de transgression. Le « crime » est même nécessaire permettant l’évolution de la morale et du droit (E. Durkheim sociologie).
Pourquoi la privation de liberté ne suffit-elle pas à décrire la peine?
Une question : le châtiment peut-il être efficace sans être humiliant?
L’emprisonnement : c’est une série de cinq privations : de liberté, de relations hétérosexuelles, de sécurité, des biens, d’autonomie (G. Sykes).
Avishai Margalit dans son livre La Société décente conclut qu’une société décente doit se soucier de la dignité de la personne.
Malgré une surpopulation, malgré la vétusté, un certain nombre de mesures positives ont été prises : location de postes de télé, fin du costume pénal, parloir sans séparation, accès au téléphone… Mais cela est largement insuffisant. En 2001 Véronique Vasseur médecin chef à la Santé tira la sonnette d’alarme, il lui a fallu attendre 8 ans pour qu’une nouvelle loi soit votée. La réforme de la prison est un sujet trop risqué et à faible gains politiques.
Le corps social ne supporte pas que le détenu vive mieux que la catégorie sociale la plus défavorisée (règle édicté par C. Lucas en 1828).
Quand il y a déblocage cela est dû à une politique imposée par le droit ou pour des raisons de sécurité via le conseil constitutionnel ou la CEDH.
Comment la prison tournée vers l’intérieur peut-elle préparer à la réinsertion?
Dans la loi pénitentiaire de 2009, l’acte 1 définit les missions de la prison : préparer l’insertion de la personne afin de l’amener vers une vie responsable.
Dans les faits, l’insertion est le parent pauvre : 26.000 personnels de surveillance et 4000 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation ces derniers s’occupant à la fois du milieu fermé et du milieu ouvert, (soit 250.000 personnes).
L’institution carcérale juge le monde extérieur comme dangereux, aussi l’accent est mis sur la sécurité à tous les niveaux. Le personnel assure le gardiennage pour contenir la violence et prévenir les suicides (6 à 7 fois plus que dans la société civile). La France a le taux le plus élevé de suicides d’Europe.
La réinsertion est vue par le personnel comme une utopie et non comme une mission réelle.
Le personnel social vise à prévenir les effets désocialisants. Au quotidien le prévenu a une prise en charge totale et une soumission au personnel, ce qui induit une infantilisation et une déresponsabilisation. La personne perd son autonomie. Les activités de formation, de travail en atelier s’inscrivent dans une logique occupationnelle pour donner l’impression que le temps passe plus vite et non pour préparer à la sortie.
L’institution carcérale est tournée vers le dedans et fonctionne dans l’impensée de la sortie.
Plus de la moitié des détenus retournent en prison dans les 5 ans. Libérée, la personne doit faire face aux contraintes du quotidien et à de nombreuses démarches administratives ce qui contraste avec la prise en charge totale en prison
Conclusion : Que veut-on faire de nos prisons?
La prison est une des institutions dégradantes de la société française. Elle remplit plutôt bien sa mission de gardiennage (très peu d’évasion) mais pour la réinsertion et la prévention de la récidive très peu de moyens sont allouées.
Quelles solutions :
1. réduire les peines privatives de liberté, surtout si cela n’est pas absolument indispensable à la sécurité publique
2. proposer un cadre de vie décent avec le respect de l’intimité et de la sécurité des détenus
3. développer une plus grande participation, à la gestion, à l’intendance quotidienne, à la formation aux activités toute la journée.
Deux modèles fonctionnent actuellement :
1. une prison ouverte et peu sécuritaire que l’on retrouve en Europe du Nord (80 détenus/100.000 habitants), qui acceptent un taux d’évasion, 40 évasions/100.000 détenus alors que pour les pays de sud le taux tombe à 4/100.000
2. un modèle étendu et sécuritaire dans les pays du sud
En constatant le décalage entre les conditions de détentions et les exigences démocratiques, nous sommes invités à réfléchir au sens de la peine.
Claude Avisse Atelier Solidarité Migrants