Résumé – Chapitre 5 – TERRORISME- « La Société qui vient » Didier Fassin

La societe qui vient - Didier Fassin - Résumés LVN

Publié le 13/01/2023

« La Société qui vient »

sous la direction de Didier FASSIN éditions du Seuil, 2022, 1319 p.

Chapitre 5. Terrorisme de Nathalie CETTINA – p. 113-131.

Né à la fin du XVIIIe siècle pour désigner la terreur d’État, le terrorisme fut utilisé par des révolutionnaires,
des libertaires, des nationalistes, des patriotes, pour supprimer, libérer, acquérir, influencer ou déstabiliser un État, et
est affiché depuis une trentaine d’années comme l’un des moyens d’expression de la mouvance islamiste radicale à
travers le monde . Le régime de terreur établi pendant la période révolutionnaire est la première expression de ce qui
deviendra un terrorisme d’État, défini comme l’emploi systématique par un pouvoir ou par un gouvernement de
mesures d’exception et/ou de la violence pour atteindre un but politique. Le terrorisme a opéré un glissement
sémantique au cours du XIXe siècle, à l’origine du concept actuel de terrorisme, perdant sa légitimité affichée, au
profit d’une terreur organisée contre l’État, visant l’ensemble des actes de violence qu’une organisation politique
exécute dans le but de désorganiser la société existante et de créer un climat d’insécurité. En passant d’une action de
l’État, qui trouvera une continuité dans les systèmes totalitaires, à une action de la société, le terrorisme est devenu
l’étendard d’une violence individuelle et réactionnaire dirigée à l’encontre d’une société que le terroriste cherche à
intimider et effrayer pour la punir ou la changer .

Ce cadre juridique a accompagné une tendance à limiter le terrorisme à des groupes non étatiques, quand le
terrorisme demeure encore une méthode de gouvernants ou d’États qui mènent des actions similaires. Cette
perception a conduit de longue date tout État à surréagir face à la menace au risque de basculer de la violence d’État
vers l’excès de pouvoir . La spécialisation des hommes, des structures, des méthodes, et une mobilisation des moyens
militaires se retrouvent dans la plupart des États occidentaux confrontés au terrorisme. Dès les années 1970 en
Grande-Bretagne dans la lutte contre l’IRA et au milieu des années 1980 aux États-Unis, l’exceptionnalité devient la
norme avec le recours aux raids militaires et aux opérations spéciales, des méthodes qui seront le fleuron de la
politique antiterroriste américaine après les attentats du 11 septembre 2001 .
Ces derniers ont généré une onde de choc, ouvrant une ère de paranoïa mondiale, galvanisant l’énergie des
gouvernements occidentaux, pesant sur la géopolitique des grandes puissances , s’incrustant dans le jeu politique
interne des États, monopolisant le débat public, érigeant la sécurité au rang de priorité politique au nom d’un
terrorisme identifié à l’islam radical. En témoigne la mouvance radicale ultraviolente d’extrême droite qui se
manifeste depuis le début de la décennie 1990, dont le recours à la violence terroriste a causé le plus grand nombre
de victimes d’attentats aux États-Unis au cours des dix dernières années . L’arrestation de son auteur, Timothy
McVeigh, a mis en évidence l’existence d’un idéal politique patriotique porté par des milices paramilitaires dont
certains membres étaient prêts à faire un usage délibéré de la violence au nom d’une suprématie blanche anti-État.

Au cours des dernières années, des meurtres de masse portés par un combat extrémiste racialiste ont été commis aux
États-Unis , en Norvège , en Allemagne , en Nouvelle-Zélande .
Sur ce sujet complexe différentes lectures se sont développées , desquelles découlent des approches et des réponses
différentes. Quatre écoles se partagent l’étude scientifique du terrorisme.

  • Une école sécuritaire privilégiant le caractère global de la menace
  • Une école critique sur la sécurité et les limites de son discours
  • Une école « islamlogique », sur l’impact du fait religieux dans le terrorisme
  • Une école psychologique, qui dissèque et analyse les processus individuel

Il faudra pourtant attendre 2020 pour que les États-Unis adoptent des dispositions propres au terrorisme intérieur
reconnaissant cette qualité aux actions violentes d’extrême droite, là où jusque-là le droit américain considérait le
terrorisme uniquement comme menace extérieure . Une telle interrogation revient à questionner l’État et tous les
acteurs sur les mécanismes de leur propre violence quand bien même ils l’identifient à notre sécurité . On citera par
exemple François Thuillier, ancien membre des services de lutte antiterroriste, devenu chercheur, selon qui la
violence politique agit comme une brisure, poussant l’homme et l’État à leur extrémité, et dévoilant ainsi leur vrai
visage.

La définition pénale du terrorisme prend en considération le mobile, là où habituellement le droit définit un crime au
regard des faits . Le terrorisme est, en outre, devenu une question de sécurité qui glisse du pouvoir civil à des
pratiques militaires, et passe d’un cadre pénal à une violence d’État par négation des principes inhérents à son
essence démocratique. Le recours aux exécutions extrajudiciaires à l’étranger sur un territoire en guerre est une
pratique discutable qui conduit sur le terrain sur lequel le terroriste cherche justement à amener ses ennemis, en ne
respectant plus les droits du criminel jusqu’à consentir à éliminer ses ressortissants avec l’aide d’armées étrangères,
dans une nouvelle loi du talion . Il sera martelé aux Français que la France est « en guerre » contre le terrorisme, le
djihadisme et l’islamisme radical, en réponse à une armée terroriste sans réaliser que cette déclaration de guerre
justifie, pour les terroristes, leur action.
Elle fut consacrée à la suite des attentats du 11 septembre par une politique de guerre préemptive, ouvrant la voie à
des pratiques illégales visant à détruire les bases terroristes supposées et les pays soupçonnés de les aider. La guerre a
pour base des actions réciproques continuelles, là où l’action terroriste se veut unilatérale, par surprise. La guerre
suppose d’être engagée contre un ennemi identifié et quantifiable, ce que ne saurait être le terrorisme islamiste. La
temporalité de la guerre ne s’applique pas face à un ennemi mouvant, protéiforme, sans chef ni objectifs cohérents.

On a fait du terrorisme une action dont les effets, en conduisant l’État à une posture hors normes, sont hors de
proportion avec ses résultats purement opérationnels . En réduisant l’image de la lutte contre le terrorisme à la
sémantique tapageuse de guerre contre le terrorisme et de contre-terrorisme, littéralement un « ensemble d’actions
ripostant au terrorisme par des moyens analogues », les gouvernants créent un rapport de force qui aide à rassembler
la nation, souvent dans des moments où ils sont en difficulté sur le plan intérieur . Le risque devient celui d’une
instrumentalisation du terrorisme par des gouvernants dont la surréaction pourrait conduire in fine à légitimer la
xénophobie et l’islamophobie. Une fois posées les limites d’un contre-terrorisme sans frein, et alors que l’efficacité de
la déradicalisation et de la focalisation sur un renseignement de masse est remise en cause par des études
scientifiques, les démocraties occidentales ne peuvent pas faire l’économie de procéder à une analyse de leurs
politiques antiterroristes .

Vers une autre politique anti-terroriste
Repenser la lutte antiterroriste s’inscrit dans un choix de société. Une réflexion critique sur le contre-terrorisme
global demande, tout d’abord, de décorréler le risque terroriste du caractère religieux . La guerre contre le terrorisme
est partie de l’idée que l’islam radical générait par nature le terrorisme dans une sorte de continuum criminel. La lutte
contre le terrorisme a matière à se concentrer sur les facteurs de la révolte, à même de nourrir d’autres radicalités .
Le terrorisme fait peur, car il est une criminalité qui s’exhibe et outrage .
L’enjeu est de sortir de l’émotion qui conduit à la surenchère sécuritaire, de ne plus faire de la lutte contre le
terrorisme une question d’orgueil national. La médiatisation concourt à entretenir l’attrait du terrorisme en ce qu’elle
participe du phénomène de mimétisme .

Conclusion
La fascination de l’acte terroriste que nourrit le monde occidental conduit à un aveuglement face à la menace, qui
amène à enfermer le terrorisme dans un espace délimité aux mains de protagonistes ethnocentrés. Le terrorisme, en
tant que technique extrême d’action violente, s’identifie désormais par son affichage médiatique et son
instrumentalisation politique, lesquels ont réduit son champ d’expression aux actes menés par des individus se
réclamant de l’islamisme radical, ignorant l’utilisation de la pratique terroriste par d’autres acteurs pour défendre une
cause ou bien des politiques occidentales de puissance sur des terrains extérieurs.

Claude Avisse – Atelier Solidarité Migrants

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