Résumé – Chapitre 4 – PANDEMIE- « La Société qui vient » Didier Fassin

La societe qui vient - Didier Fassin - Résumés LVN

Publié le 13/01/2023

« La Société qui vient »

sous la direction de Didier FASSIN éditions du Seuil, 2022, 1319 p.

Chapitre 4. Pandémie de Frédéric KECK – p. 97-112.

Le 31 juillet 2020, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé , Tedros Adhanom
Ghebreyesus, ouvrait la réunion de son comité d’urgence par les mots suivants : « Cette pandémie est une crise
sanitaire comme on n’en voit qu’une par siècle et ses effets seront ressentis pour les décennies à venir. » Alors que la
covid, une nouvelle maladie respiratoire détectée en Chine en décembre 2019, avait infecté plus de 17 millions de
personnes dont plus de 680 000 étaient mortes, cette affirmation contrastait avec la réticence du directeur de l’’OMS
à déclarer la pandémie lorsque ce nouveau virus avait commencé à se transmettre hors des frontières de la Chine en
février. Dire qu’une nouvelle maladie est « pandémique », de la même façon qu’on décrit un conflit armé comme une
« guerre mondiale », c’est définir un espace et un temps dans lesquels se justifie une mobilisation totale contre un
nouvel agent infectieux. Le temps est celui qui s’écoule entre l’émergence du pathogène et sa disparition, l’espace est
celui des continents où il se diffuse par les moyens de transport et de communication
L’OMS définissait la pandémie de covid à partir du précédent du SRAS entre janvier et juin 2003. Infectant environ
8 000 personnes dont près de 800 sont mortes, cette maladie respiratoire s’est propagée de la Chine vers l’Asie du
Sud-Est et l’Amérique du Nord en 2003.

Le retour des pandémies dans l’histoire de l’humanité
Selon l’historien Mark Harrison, l’une des premières occurrences du terme « pandémie » apparaît dans un
texte publié en 1862 par le médecin militaire britannique Robert Lawson, qui invoquait des « vagues pandémiques »
pour rendre compte des fluctuations mondiales de la propagation des maladies contagieuses par un mélange de forces
sociales, hygiéniques et météorologiques2. La colonisation du monde par les Européens s’appuyait alors sur la
connaissance des climats pour contrôler les maladies par une politique d’« acclimatation ». On parlait de « maladies
tropicales » pour désigner ces maladies favorisées par le climat des tropiques qui entravaient la colonisation, comme
la fièvre jaune décimant les ouvriers sur le chantier du canal de Panama. La découverte du rôle de l’eau dans la
transmission du choléra conduisit les colonisateurs à en contrôler les infrastructures. Jusque-là, les épidémies
s’expliquaient plutôt par des punitions divines contre des transgressions morales. La Grande Peste de la fin du Moyen
Âge, qui se diffusa d’Asie en Europe, était due au déplacement des populations des campagnes vers les villes et à
travers les foires. Les épidémies de variole et de tuberculose furent apportées en Amérique par les Européens, mais
elles étaient attribuées à la faiblesse des populations amérindiennes, dont elles causèrent l’effondrement. Au XIXe
siècle, les épidémies ne se déplaçaient plus lentement dans une seule direction mais apparaissaient rapidement dans
plusieurs lieux du fait de l’augmentation des transports intercontinentaux, les statistiques coloniales permettant de
comparer les symptômes dans ces différents lieux. La théorie des « vagues pandémiques » fournissait une première
forme de visualisation de ces interdépendances. Elle permettait aussi d’éviter les mesures défavorables au commerce,
comme les quarantaines imposées aux bateaux qui transportaient des malades.

L’anticipation des émergences pandémiques, une nouvelle norme de santé globale
La pandémie de grippe de 1918 peut être considérée comme un tournant, d’une part, du fait de l’ampleur du
nombre de victimes et, d’autre part, à cause des énigmes qu’elle impose à la recherche microbiologique. S’il y eut des
pandémies de grippe au xix° siècle, notamment celles de 1847 et 1889 qui furent d’abord détectées en Asie, elles
firent beaucoup moins de victimes que celle de 1918, qui tua environ 50 millions de personnes en commençant aux
Etats-Unis puis en s’étendant en Europe, en Afrique et en Asie par les transports de soldats d’abord, de voyageurs
ensuite. La guerre favorisa la transmission en déplaçant les populations et en fragilisant les corps, mais la plupart des
victimes furent observées en Inde6. Le nom « espagnol » vient du fait que l’Espagne, pays neutre, déclarait tous ses
cas, tandis que les autres pays occidentaux ne le faisaient pas, de peur de démoraliser les troupes. Les statistiques
jouèrent donc un rôle moins grand dans la diffusion des informations sur cette pandémie que les photographies et les
rumeurs.

Ils firent l’hypothèse selon laquelle ces oiseaux constituent le réservoir où les virus de grippe mutent de façon
silencieuse avant de se transmettre aux humains par l’intermédiaire des porcs. Ils expliquaient ainsi la position de la
Chine à l’origine des pandémies de grippe, puisque les systèmes de riziculture traditionnelle faisaient coexister les
canards, les cochons et les humains dans des écosystèmes denses. Burnet avait lui-même contribué dans les années
1930 à la recherche sur la pandémie de psittacose, une maladie respiratoire qui avait muté des perruches aux
humains sur plusieurs continents en infectant 800 personnes dont 112 sont mortes : il montra notamment le rôle du
transport international en cage dans l’accroissement de virulence d’une bactérie Chlamydia qui ne cause pas de
maladie chez les oiseaux sauvages. De même l’augmentation du nombre de volailles élevées à des fins de
consommation humaine en Chine, à partir de la politique de développement économique des années 1970,
conduisait les élèves de Burnet à anticiper l’amplification d’un virus de grippe apparu chez les oiseaux sauvages.
Kennedy Shortridge réorganisa le département de microbiologie de l’université de Hong Kong en 1972 autour de la
surveillance des virus de grippe pour transmettre les données épidémiologiques dans le sud de la Chine à l’OMS

Cette organisation de la surveillance et de l’alerte dans la santé globale fut accompagnée par un nouveau paradigme
de recherche biologique focalisé autour de la notion d’émergence. Alors que l’OMS célébrait le succès de la
campagne d’éradication de la variole par la vaccination, de nouvelles maladies infectieuses apparurent au tournant
des années 1980 comme le virus Ebola ou le VIH/ sida, et les premières bactéries résistantes aux antibiotiques furent
détectées. La capacité des pathogènes à muter dans des écosystèmes perturbés et à se transmettre rapidement à
n’importe quel point de la planète fit l’objet d’une prise de conscience au-delà des spécialistes de la grippe. Les
microbiologistes Joshua Lederberg et Stephen Morse réunirent en 1989 des spécialistes des maladies infectieuses à
New York pour lancer l’alerte sur les risques de ces émergences pour la sécurité des États-Unis.

Les inégalités sociales dans l’exposition aux pandémies
Le terme « pandémie » peut être trompeur s’il conduit à concevoir comme égaux tous les humains exposés à
un même pathogène. Au cours de sa diffusion, la pandémie produit des effets différents selon la constitution sanitaire
et morale des groupes qu’elle traverse. En lançant l’alerte pour une humanité présentée comme globalement
vulnérable aux nouveaux pathogènes, le langage de l’émergence biologique laisse de côté la différenciation sociale
des humains dans l’exposition à ces pathogènes. Il peine aussi à prendre en compte d’autres façons de concevoir
l’apparition des maladies, qui recourent davantage aux logiques d’accusation que de mutation

La pandémie de VIH/sida, qui a tué environ 30 millions de personnes depuis son identification en 1981, est sans
doute la plus grande révélatrice d’inégalités du fait de l’absence de vaccin et de la lenteur de sa diffusion, si on la
compare aux pandémies de grippe qui se transmettent de façon rapide par les voies respiratoires. Certains groupes
sociaux caractérisés par des pratiques dites « à risque » ont pu se mobiliser pour soutenir la recherche médicale en
s’appropriant le vocabulaire immunologique et en rendant publique leur expérience de la maladie. D’autres, du fait
de l’affaiblissement du système immunitaire par le VIH, étaient exposés à un ensemble d’autres maladies
inégalement distribuées.

Pandémies et zoonoses : relations aux frontières entre les espèces
Si les pandémies suspendent les activités d’échanges et de communication qui tissent les relations entre humains,
elles portent atteinte non pas à tel ou tel groupe en fonction de son exposition mais à la condition humaine ellemême. Le romancier Richard Preston confia ainsi qu’il avait du mal à imaginer une épidémie qui tue tous les
humains mais qu’il pouvait concevoir que la rupture des relations sociales serait « presque un événement menaçant
l’espèce12 ».
Elle assume une représentation anthropocentrée de pathogènes qui « débordent » d’un réservoir animal pour
viser les humains, alors que les émergences virales résultent plutôt de multiples franchissements de barrières à
travers ce qui ressemble davantage à une « conversation » dans laquelle l’espèce humaine est souvent une « impasse
épidémiologique » . On estime ainsi que la capacité des chauves-souris à vivre dans des colonies interspécifiques où
elles échangent des pathogènes viendrait du système immunitaire résistant à l’inflammation qu’elles auraient
développé pour le vol. La recherche sur les origines des pandémies prend ainsi en compte une pluralité de relations
entre espèces dans des écosystèmes diversifiés pour comprendre comment leur réduction a pu produire des microbes
causant des réactions immunitaires catastrophiques
La littérature sur les maladies émergentes livre dans cette perspective une indication précieuse en suggérant
que les virus zoonotiques se transmettent souvent dans des relations de chasse, comprises comme des échanges
intimes de matérialités, notamment à travers la consommation de « viande de brousse » pour ses vertus alimentaires
et médicinales.

Conclusion
On s’est interrogé sur les façons dont les pandémies conduisent à repenser le social dans un monde où les
émergences virales suscitent des réactions biologiques, médiatiques et politiques. On a vu d’abord que la pandémie
s’inscrit dans un projet colonial d’occupation du globe en contrôlant les microbes qui révèlent les différences de
climats et de milieux, avec un imaginaire qui éloigne les maladies émergentes dans des régions exotiques. Ce projet
se redéfinit lorsque les mesures de santé globale font voir l’émergence virale comme un événement catastrophique
qui peut se produire à tout instant, et qu’il faut anticiper en suivant ses voies de circulation. Le premier projet
s’inscrit dans une politique de prévention des risques sanitaires qui les distribue dans une population pour en réduire
les inégalités. Le second projet s’inscrit davantage dans une politique de préparation aux catastrophes systémiques
dont la pandémie est une manifestation, puisqu’elle porte atteinte aux conditions de vie en commun ; mais cette
politique laisse de côté les inégalités qu’elle contribue pourtant à renforcer. Il s’agit alors de savoir si la notion de
social peut intégrer ces deux cadrages de la pandémie, alors que l’écart entre les deux conduit à faire de la pandémie
un objet de critiques et d’accusations. Les problèmes juridiques que pose la régulation des pandémies —
coordination des systèmes d’alerte, de la prise en charge hospitalière, de la distribution des traitements —
apparaissent dans l’écart entre ces deux cadrages

La pandémie met en question le contrat social par lequel des humains acceptent de vivre en commun et de
partager des risques, puisqu’elle les réduit à des êtres biologiques dont les contacts sont dangereux. Mais elle met
aussi en question le quasi-contrat de domestication par lequel les animaux vivent à proximité des humains en
partageant avec eux des maladies, l’échange de pathogènes s’inscrivant dans un échange plus généralisé de biens et de
services. Alors que le premier contrat donne lieu à des projets conscients d’organisation solidaire, le second produit
plutôt une forme de communication par des signaux d’alerte dans des communautés multi-espèces. Les pandémies ne
manifestent pas seulement l’extension de l’humanité à l’ensemble de la planète, à travers des formes de connexion
dont les microbes révèlent les vulnérabilités, mais aussi sa coexistence avec d’autres espèces animales dont les
pathogènes révèlent les distances et les proximités. L’anticipation des pandémies devient alors une façon de rejouer
le contrat social pour chaque crise sanitaire, en mettant en scène dans l’imaginaire l’ensemble des êtres qu’elle
implique.

Claude Avisse – Atelier Solidarité Migrants

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