Résumé – Chapitre 2 – MONDIALISATION – « LA SOCIÉTÉ QUI VIENT » DIDIER FASSIN

La societe qui vient - Didier Fassin - Résumés LVN

Publié le 24/01/2023

« La Société qui vient »
sous la direction de Didier FASSIN
éditions du Seuil, 2022, 1319 p.
Chapitre 2- Mondialisation de El Mouhoub Mouhoud – Pages 55-72

La crise sanitaire du covid a entraîné une remise en cause de la mondialisation des flux commerciaux
et humains. Faut-il prôner la relocalisation ou croire en la capacité de résilience du capitalisme
mondialisé ?

Revenons à la définition de la mondialisation : « processus d’accélération sans précédent du
déploiement des activités des entreprises à l’échelle mondiale… Activités matérielles mais aussi
immatérielles (services, actifs financiers, brevets, licences…) ». Cinq composantes structurent ce
processus : le commerce international, les investissements directs à l’étranger, les actifs financiers
déréglementés, les connaissances technologiques, les migrations internationales.
Mais on doit écarter la théorie de « planétarisation des échanges » car l’hypermondialisation (1990-
2010) a concentré les activités sur peu d’entreprises et de produits et les responsables des échanges
mondiaux et des crises d’approvisionnement, principaux utilisateurs des infrastructures mondiales,
les financent peu en raison de leur stratégie d’évitement fiscal ( 350 milliards de recettes fiscales
perdues chaque année dans le monde, dont 120 milliards pour l’Union Européenne et 20 milliards
pour la France).
Paradoxalement la crise sanitaire a touché tous les pays et beaucoup de secteurs en même temps et
a entraîné presque partout des politiques d’endettement des états pour compenser les effets de la
crise.
Nous assistons en fait à un processus de « complexification » de la mondialisation plutôt qu’à une
« démondialisation », car, si les biens matériels dans certains secteurs sont relocalisés, les activités
de services numériques sont « hypermondialisées ». Flux de capitaux et investissements directs à
l’étranger reprennent. Mais on connaît un ralentissement du commerce international et des
migrations ; avec, pour ces dernières, un retentissement majeur sur les économies en
développement ne bénéficiant plus de la manne des expatriés.
Il semble que nous soyons entrés dans l’ère de la postmondialisation, après une première phase de
libéralisation entre 1950 et 1990, et une deuxième d’hypermondialisation entre 1990 et 2010.

Heurs et malheurs de l’hypermondialisation des années 1990-2010

Le monde capitaliste venait de s’ouvrir dans 3 directions : Europe centrale et orientale (après
effondrement des économies planifiées et fermées) ; création de l’OMC et de son tribunal
d’arbitrages en 1994 comme garantie de l’équité des échanges internationaux ; entrée de la Chine,
de l’Inde et d’autres pays dits émergents.
Mais cette hypermondialisation s’est concentrée sur un petit nombre de multinationales (30% des
filiales = 60% de la valeur ajoutée) ; l’OMC a créé un contexte institutionnel favorable à
l’accaparement de rentes d’innovation par les grands groupes, qui dans leur intérêt ont délocalisé
davantage, en Asie particulièrement, et surtout dans les activités de service.

L’entrée en jeu des firmes des grands pays émergents

A partir des années 2000 les EMN (Entreprises MultiNationales) ne viennent plus pour l’essentiel des
pays développés de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique), mais
d’un groupe de pays plus hétérogène : Argentine, Chine, Malaisie, Nigéria, Afrique du sud, Turquie.
Evolution peu contestée, malgré la question de l’évasion fiscale, pourtant combattue par
l’administration Biden.

Une double logique de division du travail dans le découpage des chaînes de valeur mondiales
(« La chaîne de valeur est un concept développé par Mickael Porter en 1985 consistant à schématiser l’entreprise comme
un enchaînement d’activités interconnectées qui développent chacune une valeur plus ou moins stratégique et importante
pour l’entreprise. Elle est utilisée pour décrire les combinaisons d’activités mises en place dans la société en vue de créer un
avantage concurrentiel et proposer une offre commerciale intéressante pour ses clients » leblogdudirigeant.com NDRL)
– Dans les secteurs où règne la concurrence par les prix (textile, habillement, jouets,
meubles…), la logique de division taylorienne du travail prime : processus de production
éclatés dans le monde en fonction des différences de coût de production, de transports, de
transactions commerciales.
– Dans les secteurs où prime la course à l’innovation technologique (industries
pharmaceutiques, informatique, électronique, aérospatiale…) se combinent division
taylorienne pour la production dans les pays à bas salaires et division cognitive du travail
pour la recherche dans des laboratoires de pointe – essentiellement chinois et indiens en ce
qui concerne l’industrie pharmaceutique pendant la crise sanitaire. Dans ces secteurs de
recherche, la délocalisation de la fabrication et de l’assemblage permet de financer des
programmes de Recherche et Développement (R&D)ainsi que de distribuer des dividendes
aux actionnaires.

La troisième phase de la mondialisation : démondialisation réelle et hypermondialisation des
services depuis 2010

Les relocalisations, favorisées par la pandémie, se font dans les secteurs à fort potentiel de
robotisation, qui réduit des coûts de production mais les confinements de 2020 ont relancé des
opérations de délocalisation ou de fourniture en produits intermédiaires à l’étranger (outsourcing).
Pour éviter les ruptures d’approvisionnement, les entreprises ont eu plutôt tendance à diversifier
leurs achats auprès de fournisseurs différents, d’Europe ou d’Asie par exemple (double sourcing)

Une nouvelle mondialisation numérique

Si les relocalisations sont amenées à s’accélérer dans les industries robotisables, un boom pourrait
bien advenir dans les activités de service aux entreprises et aux ménages – qui représentent près des
deux tiers des emplois dans les pays industrialisés.
Cela concerne deux types d’emplois de service, déjà en phase de délocalisation :
– dans les activités de service à l’industrie manufacturière (marketing, service après-vente, logistique,
distribution, services informatiques, administration, R&D…) : sous-traitance ou délocalisation passée
de 8% en 2000 à 20% en 2014 dans l’ensemble des pays de OCDE.
– dans les secteurs de service eux-mêmes : dans les banques et assurances des centaines d’emplois
(relation clients, comptabilité, informatique, service juridique, R&D…) partent chaque année vers
l’Inde, la Chine, certains pays de l’Europe centrale et orientale. Les services plus standardisés,
comme les centres d’appels, la saisie informatique, certaines tâches de programmation, s’en vont
vers la Tunisie, le Maroc, le Sénégal, de la part d’entreprises françaises en particulier.
Ces mouvements de délocalisation – même s’ils peuvent être freinés par endroits- vont en
s’accélérant, en l’absence de droits de douanes.

Décarbonation et recomposition régionale des chaînes de valeur mondiales : une déconnexion Nord-
Sud ?

C’est la transition énergétique qui sera au cœur de la véritable dynamique de relocalisation de
l’économie et démondialisation réelle grâce à deux mécanismes :
– un processus de dématérialisation-décarbonation des composants intermédiaires entrant dans la
fabrication des produits, qui favorisera une production à proximité des consommateurs. Par exemple
la compagnie minière suédoise LKAB compte investir 1 à 2 milliards d’euros par an pendant 20 ans
pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2045, grâce à un procédé qui permet de décarboner le fer
à côté de ses propres mines avant de le fournir aux aciéristes.
– la mise en place annoncée d’une taxe carbone qui augmentera les coûts des transports.
A chaque fois que des innovations technologiques se sont imposées, on a assisté à la substitution de
nouveaux produits remplaçant les ressources naturelles importées des pays en développement, qui
doivent prendre conscience que leur comportement, guidé par la rente et l’exploitation passive des
matières premières, trouve aujourd’hui ses limites.

Un arrêt des migrations internationales depuis la crise sanitaire, une chute des revenus de
transferts des migrants

Le nombre de migrants dans les pays de l’OCDE a diminué de près de 50% en moyenne en 2020, donc
les transferts de fonds vers les pays d’origine ont chuté. Ils risquent de baisser encore de 15% en
2021. Or ils représentent parfois 10% du PIB de certains pays et soutiennent leur développement
économique grâce aux devises importées, à l’aide à la consommation et à la réalisation
d’investissements, à la contribution à l’amélioration de l’état de santé, à la réduction de la pauvreté…
Déjà lourdement frappés par l’inégalité d’accès à la vaccination, certains pays du sud, par exemple
l’Afrique subsaharienne, dont les revenus de transfert ont chuté vont voir augmenter inégalités et
pauvreté. Cette régression risque de se combiner à la crise économique majeure dans laquelle de
nombreux pays sont entrés depuis la crise sanitaire.

Conclusion

Ainsi, depuis 2010, la mondialisation connaît une complexification fondée sur des mouvements
contradictoires. Loin d’être une démondialisation sur des bases nationales, la mondialisation reste
concentrée sur quelques groupes mondiaux qui évitent encore l’impôt tout en profitant des
avantages dus aux infrastructures que la localisation de leurs activités dans les grandes
agglomérations leur offre.
Des avancées prometteuses :
– un nouvel accord international sur un impôt de 15% pour les plus grandes multinationales
– des financements par les états pour aider activités en Europe et aux Etats Unis et relocalisations
Mais on doit aussi engager :
– l’obligation de traçabilité des chaînes de valeur mondiales
– la consécration en biens communs des produits liés à la santé, en interrogeant le rôle des états dans
cette régulation
– la levée des brevets sur les vaccins
– la prise en compte des pays du sud dans les politiques de restructuration des économies
industrielles face au changement climatique.

Enfin comment sortir de l’hyperconcentration du capitalisme mondial et des échanges
internationaux monopolisés par un très faible nombre de groupes mondiaux, à l’origine d’un grand
nombre de perdants, de la montée du populisme et de la résurgence des réflexes nationalistes ?

Jacqueline Le-Bretton-Labrousse – Atelier Solidarité Migrants LVN

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