DROIT EUROPÉEN, VALEURS, ÉTAT DE DROIT  

Publié le 01/11/2021

Lire l’édito de Sébastien Maillard, Directeur dans l’infolettre de l’Institut Jacques Delors NOVEMBRE 2021

Le jugement du 7 octobre du tribunal constitutionnel polonais s’attaquant à la primauté du droit européen, principe consacré par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne depuis 1964, a jeté un trouble profond dans l’Union. Jean-Claude Juncker l’a qualifié d’« attentat systémique contre la suprématie du droit européen  », qui a pour corollaire le respect de l’autorité de la justice européenne. Dynamiter le droit européen revient à dynamiter l’Union, dont il est le mur porteur. Que cette aventure idéologique ait reçu des échos laudateurs parmi divers opposants politiques français est préoccupant.

L’intégration des États membres dans un ordre légal propre est inhérent à leur adhésion. Ceci offre non seulement l’assurance d’une interprétation commune des textes européens à appliquer mais aussi le gage d’une égalité de traitement entre États et entre citoyens européens. Cette originalité distingue en outre l’Union européenne d’une simple organisation internationale, sans en faire pour autant un État fédéral. Les constitutions nationales restent, pour la plupart, au sommet de leur ordre juridique interne.

Surtout, cessons d’opposer droit européen et droit national, comme s’ils se regardaient en chiens de faïence. Le droit de l’Union européenne n’est pas un droit étranger, qui serait «  imposé de Bruxelles  ». Il est notre droit, à la définition duquel nous participons démocratiquement par nos représentants au Parlement européen et au Conseil. Faut-il aussi rappeler que les directives laissent à chaque État membre des marges de manœuvre dans leur transposition nationale. Et souligner par ailleurs que le principe de subsidiarité, introduit par le traité de Maastricht, marque une préférence de légiférer à l’échelon national tant que l’échelon européen ne peut pas mieux réaliser cette action, hormis les compétences exclusives dévolues à l’Union.

S’enfermer dans un débat juridique sur la hiérarchie des normes risque de nous faire passer à côté de l’essentiel. Il est le dernier développement du différend principal entre Varsovie à Bruxelles sur l’indépendance de la justice polonaise, que la Cour de justice européenne intime de restaurer – à raison d’une astreinte journalière d’un million d’euros. Plus largement et au-delà du cas polonais, c’est à l’État de droit que l’UE doit veiller au respect par tous ses 27 États membres. Il s’agit de principes aussi constitutifs d’une démocratie libérale que sont, entre autres, les libertés d’expression et de la presse, la liberté académique, le respect de l’opposition, le fonctionnement de contre-pouvoirs et bien sûr l’indépendance de la justice. Ils sont indispensables au respect de «  valeurs communes aux États membres  », selon l’expression de l’article 2 du traité sur l’UE, qui décrit «  une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes  ». La Charte européenne des droits fondamentaux stipule ceux que tout citoyen européen, où qu’il soit dans l’Union, doit se voir garanti. Ces exigences font partie du contrat européen conclu par tout membre rejoignant l’UE. Elles forment le noyau central des principes communs à toute l’Union, comme l’abolition de la peine de mort. Elles font partie « des éléments pour vivre ensemble », comme appelle à les raviver Jacques Delors dans un entretien exceptionnel à l’hebdomadaire Le Point.

Mais à partir de ce socle, les valeurs inhérentes aux sujets sociétaux, touchant parfois aux choix individuels les plus intimes, varient dans l’espace européen, d’un État à l’autre, et dans le temps, d’une génération à l’autre. «  Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà  », observe Blaise Pascal. De fait, il existe une diversité de préférences collectives, qui peuvent être ici progressives, là conservatrices, et ne sont par essence jamais figées. Leur évolution se situe d’abord dans un champ politique national. Elle ne saurait s’imposer juridiquement de l’extérieur, au risque d’être contreproductive. Comme le souligne le président de la Cour de justice de l’UE, Koen Lenaerts  : «  Le pluralisme signifie que chaque société nationale reste libre d’évoluer différemment selon sa propre échelle de valeurs  ». Sa Cour, précise-t-il, «  ne cherche pas une définition générale qui reviendrait à imposer une notion uniforme de la moralité publique aux États membres, car cela serait contraire au pluralisme sur lequel est fondée l’Union  ».

Articuler plutôt qu’opposer droit européen et droit national, identifier le socle commun de notre vivre ensemble, distinguer État de droit à respecter vigoureusement des valeurs en devenir peuvent contribuer à clarifier et apaiser un débat, qui ne doit pas détourner les Vingt-Sept de leur unité attendue face aux énormes défis de notre temps. La COP26, qui s’est ouverte à Glasgow pour lutter contre le réchauffement climatique, nous y presse. 

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