Contemporanéité et spiritualité (2)

Publié le 31/03/2020

Cette question a fait l’objet en 2016 d’une intervention à Marrakech lors de la nuit de l’Éthique, mais il semble intéressant de continuer à développer certains des points soulevés, en particulier autour de la question : Ou se cache donc le spirituel aujourd’hui ?


Nous avions alors dégagé trois pistes de réflexion :
1- Comme le révèle l’archéologie, en particulier l’archéologue Marcel Otte, ce que l’on appelle aujourd’hui « spiritualité » est présente en l’homme dès son origine et déjà, il y a 34000 ans, l’homo sapiens était capable d’établir un juste rapport avec le monde qui l’entourait , avec ses semblables et avec lui-même. (Rappelons à ce sujet les premiers signes de mains apposées sur les parois des grottes et interprétées comme une première distanciation par rapport à soi-même.)
Cette spiritualité se situe déjà dans ce triple rapport au Monde, aux autres et a soi-même, souligné par philosophes et théologiens contemporains, ce qu’Abdennour Bidar, nomme le triple lien.
2- Le spirituel sans doute peu distinct du « religieux » à ses débuts, et gardant des liens avec celui-ci, s’en distingue aujourd’hui largement, alors qu’il semble s’affaiblir dans ses institutions, et que se multiplient des formes nouvelles de spiritualité leur échappant pour beaucoup.
Le religieux ne semple plus propriétaire du spirituel, qui, un peu partout, le dépasse.
3-La spiritualité, inscrite depuis toujours dans nos profondeurs, est donc, a priori, secrète, discrète et peu visible, n’aimant pas parler d’elle-même. Elle s’apparente à ce que l’on appelle l’esprit : ruha, en hébreu, pneuma en grec, souffle, comme le bruit d’une brise légère, et que certains traduisent par « ambiance de vie ».
On comprend alors que le spirituel, présent partout, à des difficultés à s’exprimer dans nos sociétés de « brouhaha » perpétuel !

Fragile et discret, il n’en est pas moins structuré et puissant dans ses effets, ce que montre bien E. Mounier lorsqu’il explore le domaine de la personne : «la personne est le volume total de l’homme. Elle est un équilibre en longueur, largeur, et profondeur, une tension en chaque homme entre ses trois dimensions spirituelles : celle qui monte du bas et l’incarne dans une chair, celle qui est dirigée vers le haut et l’élève à l’universel ; celle qui est dirigée vers le large et le porte vers une communion

Je suis personnellement très touché par cette vision de Mounier, qui donne à la notion de personne un Espace, une volume total, dit-il. La personne n’est pas quelque chose de « rabougri » sur elle-même, renfermée, sur la défensive, dans un fauteuil confortable, non elle donne l’image de quelqu’un debout (vers le haut) et les bras ouvert vers l’horizon. (Image de l’homme de la Renaissance)

Nous allons essayer d’approfondir ces trois dimensions de la personne :

« Celle qui monte du bas et s’incarne dans une chair »

C’est la dimension de mon identité, corps et esprit, de mon unicité, de ma faculté à dire « Je suis », affirmation qui chez Mounier plonge ses racines dans une anthropologie chrétienne qu’il avait su discerner au travers d’un « catholicisme bourgeois » qu’il dénonçait, appelant à être vigilant aux déviations visibles ou secrètes, qu’il peut introduire dans les valeurs chrétiennes, et a veiller, au lieu de figer l’éternel dans des formes caduques, à lui préparer incessamment les voies dans chaque paysage historique nouveau »
Mais cette dimension « qui monte du bas « est aussi celle de nos conditionnements, de notre personne au sens le plus charnel, de tout ce que les sciences humaines nous apprennent encore à connaître, notre inconscient.

« celle qui est dirigée vers le haut et l’élève à l’universel «

C’est la dimension que nous vivons à travers les cultures et les religions, comme approches historiques et toujours actuelles de l’universel. Cette approche là m’ouvre à la diversité humaine et à sa créativité, à l’infinie variété des cultures, des rites et croyances qui témoignent de la richesse humaine. (Voir Chagall)
Elle est aussi liée à ma propre créativité, mes dons, mon sens du beau, de la perfection.à ce qu’on nomme aujourd’hui la Culture.

« celle qui est dirigée vers le large et le porte vers une communion. »

Pour cela nous ne sommes pas seuls, nous sommes ensemble et Hervé Chaigne souligne que le personnalisme de Mounier doit toujours être flanqué de l’adjectif « communautaire » : L’acte premier de la personne, c’est donc de susciter avec d’autres une société de personnes dont les structures, les moeurs, les sentiments et finalement les institutions soient marquées par leur nature de personne »
La communication, c’est à dire la sortie de soi et l’expérience de l’autre comme personne doit s’établir à différents niveaux, qui vont du couple, à la société de la famille à la nation et au monde entier »

Parce que cette tension, n’est ni solitaire ni isolée, mais à tous moments confrontée physiquement à la présence de l’autre, des autres, et m’attire vers ce qui est vivre ensemble, le besoin de partager, de mener des actions ou des reflexions avec d’autres, mais aussi de me sentir protégé, encouragé par tel ou tel groupe ou « communauté ».
« Je ne peux pas penser sans être, et être sans mon corps, je suis exposé par lui, à moi-même, au monde, à autrui, c’est par lui que j’échappe à la solitude d’une pensée qui ne serait que pensée de ma pensée. Refusant de ma laisser entièrement transparent à moi-même, il me jette sans cesse hors de moi, dans la problématique du monde et des luttes de l’homme. Par sollicitation des sens, il me lance dans l’espace, par son vieillissement, il m’apprend la durée, par sa mort, m’affronte à l’éternité »

Concrétement, nous touchons à ce qui fait l’essentiel de notre vie, sortir de soi, communiquer avec l’autre, tous les autres, comprendre ce que nous vivons pour mieux nous engager dans cette dynamique, mais aussi comprendre la mort, la finitude …. Ou l’éternité ?

Qu’avons nous fait jusqu’alors, sinon, partir de cet enracinement-là, « et dépassant les lourdeurs de la pensée et de nos différences pour, dans la rencontre, faire surgir nouveauté, unité, communion et nous engager ensemble sur le chemin du devenir humain en nous ouvrant à l’autre et sans cesse à réécrire ».

Marc Henry-Baudot
Juillet 2017

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