Publié le 30/07/2018
Par Laurence Flichy, Groupe LVN d’Evreux
Comment aborder ce thème de la vie communautaire ? Membre de La Vie Nouvelle depuis les années 70, ces mots me sont familiers, et pourtant, il m’est difficile, au premier abord, d’en appréhender le sens et la réalité. Qu’est-ce que la vie communautaire à La Vie Nouvelle ? un concept ? une réalité ? un principe ? une valeur ? un chemin ? une pratique ?
C’est chez Mounier qu’il faut chercher une réponse : « Lorsque Emmanuel Mounier parle de Communauté, il oppose une société où les hommes sont victimes de la dépersonnalisation du monde moderne à une autre société où l’individu serait respecté et où la personne se construirait au travers d’une vie communautaire »[[ Dans le recueil Présence de la personne, La Vie Nouvelle, 1998, p. 77.]].
Le Personnalisme Communautaire devenant une référence de La Vie Nouvelle, comment le mouvement a-t-il, au fil des années, mis en pratique cet idéal de vie communautaire ?
De 1947 à aujourd’hui, deux périodes se distinguent clairement : avant et après 1968. Arrivée en 1970 à La Vie Nouvelle, j’ai encore vécu quelques années de « l’ancien régime » puis l’évolution de la structure. Je faisais partie de ces jeunes rétifs à la hiérarchie, qui aspiraient au changement de société et donc contestaient l’organisation à LVN.
En 1947, André Cruiziat et Pierre Goutet créent un Mouvement national qui s’organise en groupes et fraternités ou communautés, en France et au Maghreb. Les exigences sont fortes vis-à-vis de ses membres : formation globale, vie fraternelle et solidaire. Il ne s’agit pas d’une exigence de vivre ensemble, à l’instar d’une communauté religieuse, mais de vivre et expérimenter au quotidien la dimension communautaire au-delà de l’individu (fraternité, solidarité, partage, soutien mutuel au sein de petits groupes).
Lorsqu’en 1949 le mouvement rencontre la pensée d’Emmanuel Mounier, il se reconnaît dans le Personnalisme Communautaire, dans la vie communautaire qu’il préconise pour permettre à la personne de se construire dans toutes ses dimensions (personnelle, politique / citoyenne, spirituelle). Et pour ne pas tomber dans « l’entre soi » et la simple réunion amicale et conviviale, les fondateurs structurent et définissent la vie communautaire souhaitée ; ils font une distinction claire entre fraternité et communauté :
• La communauté demande un engagement clair et fort de ses membres autour de valeurs et choix de vie, contrat commun pour la transformation du monde. Cela requiert fidélité et loyauté vis-à-vis des engagements pris sous le regard des autres communautaires. La péréquation est un des points fort de cet engagement, signe concret de solidarité et de partage.
• La fraternité permet aux nouveaux arrivants, appelés promotionnaires, de prendre la mesure de cet engagement et de s’y préparer par la réflexion et la formation. Pour devenir communautaire et pouvoir participer aux instances du mouvement, – mais aussi à son financement par la péréquation – il est demandé de participer à un cycle de formation de trois ans (sessions « obligatoires » dans les trois domaines).
Ce sont les communautaires qui gèrent ensemble le mouvement, dans une structure où l’animateur national donne l’impulsion et les moyens de la réflexion et de l’action.
Cette organisation de la vie communautaire est fort ébranlée par les jeunes qui arrivent, nombreux, après 1968.[[en1970 : 5 174 adhérents.]] Cette manière, très hiérarchique et pyramidale, de fonctionner correspond mal à l’air du temps et aux aspirations des nouveaux arrivants vers plus d’autonomie, de liberté de décision. La structure devient de plus en plus pesante et mal comprise ; elle se maintient quelques années mais la distinction promotionnaire/communautaire s’estompe. Elle disparaît en 1975 où alors tous les membres des groupes participent directement à la vie du mouvement (élection d’un représentant au conseil régional, péréquation).
La suppression de cette distinction fait que la vie communautaire se vit maintenant essentiellement au sein de la « frat » dont la finalité, de fait, devient floue. Pourquoi se réunit-on ? Pour quoi faire ? La réponse est « variable, multiple, changeante, non définie de l’extérieur, muette, implicite, vague » ainsi que Maurice Jeannet, alors animateur national, l’analyse en août 1987[[In Vers la Vie Nouvelle octobre 1987.]]. L’engagement des membres n’est plus la raison première de leur présence ensemble à la fraternité (trente ans après, je pense pouvoir dire que c’est encore le cas !)
Par contre, on y recherche et on pratique le partage et les échanges en vérité, la convivialité, le soutien et l’entraide mutuelle, la parole libre, l’apprentissage du respect de l’autre, de l’écoute bienveillante, de la confiance réciproque et de l’acceptation de l’expression des opinions différentes de chacun. La frat est vécue comme un lieu d’apprentissage des relations interpersonnelles, sous le regard bienveillant des autres, capables de questionner et aider à prendre du recul. C’est un enrichissement personnel grâce à l’échange et l’apport mutuel des expériences d’engagement. Mais l’expérimentation de l’autogestion, de la dynamique de groupe où tout peut se dire, a des effets parfois très néfastes sur la vie communautaire (conflits interpersonnels, ruptures, voire éclatement de certains groupes…).
Les sessions « au national » ne sont plus « obligatoires » même si elles sont recommandées. Le lien avec la structure nationale s’estompe, même si on reconnaît que, sans elle, les rencontres en frat perdraient de leur force et de leur sens ; et la péréquation, voulue comme signe fort de partage et de solidarité, essentielle au financement du mouvement, est de plus en plus critiquée et remise en question sur son mode de calcul, le montant que cela représente, au nom et au bénéfice de quoi ? de qui ? du mouvement ? de la structure nationale ? A quoi sert-elle ?
Les frats s’interrogent sur elles-mêmes (sessions « des frats, pour quoi faire ») pour fonctionner au mieux et le mouvement approfondit sa recherche sur l’articulation de l’individuel et du collectif, du JE et du NOUS au cours de week-ends ou sessions où s’expérimente aussi la parole libre et écoutée.
La référence au personnalisme communautaire n’est pas loin, mais reste très souvent implicite, voire inconsciemment vécue, et il me semble que c’est toujours vrai aujourd’hui.
Comment alors rendre explicite et facile à expliquer cette expérience de vie et de partage au sein des frats, cette expérience d’un mode de relations propice à l’épanouissement personnel mais aussi à la prise de recul et à l’engagement ? Cette démarche pourtant, nous souhaitons pouvoir la partager…
L’expression « vie communautaire » est trop désuète et ambiguë dans le contexte actuel ; d’autres mots ont été trouvés mais ont du mal à témoigner d’une réalité complexe à appréhender.
Et puis notre mode de fonctionnement de rencontres régulières, à la finalité implicite mais assez floue, est-il encore pertinent face au mode de vie actuel ?
Et pourtant, le message de Mounier est encore aujourd’hui d’une grande actualité.