Publié le 08/06/2017
Bénédicte Brunet
Comité de rédaction
Réformer[[1 – Les termes en italiques sont ceux qui sont inlassablement mis en exergue dans le vocabulaire des promoteurs du nouveau management public afin de souligner sa modernité.]] l’État, moderniser la fonction publique, y insuffler la culture de résultat. Depuis vingt ans, ce sont les mots d’ordre pour engager les institutions publiques à transférer leurs activités vers des prestataires privés ou à mieux s’organiser dans un contexte de restriction des ressources.
1ère étape : privatisations et délégations de services publics
L’Etat doit se considérer comme partie intégrante d’un environnement concurrentiel au même titre que n’importe quelle entreprise. Cette orientation politique a tout d’abord conduit à limiter le champ du secteur public, avec une série de privatisations depuis 1986. Ont ensuite été encouragées les délégations de services publics à des acteurs privés jugés plus performants et rémunérés en fonction des résultats d’exploitation (pour la distribution de l’eau, le stationnement, etc.). De nouveaux modes de gestion mixte, tels que les partenariats public privé (les PPP) permettent aussi à une autorité publique de faire appel à des prestataires privés pour financer et gérer un équipement en contrepartie d’un financement (exemple : construction et maintenance de commissariats, prisons, tribunaux ou hôpitaux à la suite des lois de programmation de 2002-2003[[2 – Au-delà de ces PPP axés sur l’investissement immobilier, un nouvel outil à vocation générale, le contrat de partenariat, a été créé par l’ordonnance du 17 juin 2004, avant qu’une ordonnance du 23 juillet 2015 ne crée des marchés de partenariat.]]).
2ème étape : Méthodes de management privé appliqué dans la fonction publique
Pour faire mieux avec moins, la gestion de l’État et des collectivités territoriales est elle-même alignée sur les méthodes de management privé et emprunte ses outils (indicateurs de performance, benchmarking c’est-à-dire la comparaison entre les services sur la base d’indicateurs, responsabilisation et auto-évaluation des professionnels, intéressement en fonction de résultats quantifiés, etc.). Le New Public Management (NPM) forgé dans les années 1980-1990 aux États-Unis et au Royaume-Uni s’est ainsi déployé en Europe. En cherchant à accroître la productivité des agents à travers des objectifs quantifiés, il fixe comme critère d’appréciation de l’action publique son efficience, c’est-à-dire le rapport entre les résultats obtenus et les ressources mobilisées.
3ème étape : Faire mieux avec moins, la révision des politiques publiques
L’esprit managérial de l’État s’est manifesté en France par une Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) en 2007, dont l’objectif était de remettre à plat l’ensemble des missions de l’État, sans tabou ni a priori (…), identifier les réformes qui permettront de réduire les dépenses de l’État, tout en en améliorant l’efficacité des politiques publiques[[3 – Déclaration du Premier ministre Fillon, 10.07.2007, Révision générale des politiques publiques : un « coup d’accélérateur » pour la réforme de l’Etat.]].
Dans le même sens, la Loi Organique relative aux lois de Finances (LOLF) votée en 2001 et entrée en application en 2006 a réorienté la gestion du budget de l’État vers la performance. Les fonds ne sont plus attribués par ministères et types de dépenses mais par missions (exemple : la sécurité), puis programmes (exemple : police nationale) assortis d’objectifs (exemple : objectif n°1 : réduire l’insécurité) et d’une batterie d’indicateurs (exemple : 1.7 : délai moyen d’intervention de nuit). La
LOLF a ainsi démultiplié la quantification des activités publiques et leur comparaison entre services, ainsi que les dispositifs de contrôle des fonctionnaires[[4 – I. Bruno, E. Didier, Benchmarking. L’État sous pression statistique, La Découverte, 2013.]].
Une réforme « technique » ou un projet politique ?
Le New Public Management est présenté comme un outil de modernisation neutre, extérieur à toute orientation politique. Il s’inscrit cependant dans une transformation de la manière de penser la société et de gouverner les hommes et jusqu’à soi-même[[5 – Chacun est ainsi incité à devenir entrepreneur de lui-même, pour entretenir son réseau social, son capital santé, savoir se vendre ou encore comparer le rapport entre coûts et prestations dans le choix de ses assurances. Les associations doivent, elles aussi, adopter un fonctionnement concurrentiel afin de décrocher des financements publics ou privés (stratégie, marketing, communication, évaluation…). Dardot, C. Laval, La nouvelle raison du monde, 2010 ; L. Boltanski, E. Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, 2011 (1ère éd. 1999).]], ce qui caractérise un projet politique. A un État chargé de garantir une loi commune et la redistribution des richesses se substitue peu à peu un gouvernement qui se «propose» d’établir un cadre favorable à la libération des forces vives de l’économie. L’État devient le garant des conditions d’exercice de la concurrence, considérée comme le meilleur moyen de maximiser les richesses. Les réformes engagées pour la modernisation des services publics insufflent cet état d’esprit managérial dans la fonction publique. Elles induisent dans le même temps des changements radicaux dans la conduite des agents, en mobilisant leur volontarisme et leur responsabilisation dans l’effort de compétition et la mesure de leurs performances. Tous les champs de l’activité publique sont concernés : santé, police et justice, recherche et université, etc. Afin de mieux cerner les transformations liées à l’introduction de ce NPM dans le champ de l’Etat, nous avons choisi un services publics emblématiques : l’hôpital.