La Révolution Tunisienne, « révolution de la dignité »

Publié le 05/12/2016

Elisabeth Champain et Marylise Pomart
Atelier fédéral Pour un avenir solidaire de LVN et comité de rédaction

Après avoir longuement négocié l’indépendance de la Tunisie obtenue en 1956, le président de la République, Habib Bourguiba, modernise le pays. Il développe l’éducation, réduit l’inégalité hommes-femmes, favorise le développement économique, conduit une politique étrangère équilibrée.
Mais il instaure le parti unique, et la fin de la sa présidence est marquée par le clientélisme et la montrée de l’islamisme. Il est destitué le 7 novembre 1987 et son premier Ministre Ben Ali lui succède.


Ce dictateur corrompu et quasi mafieux réprime les libertés, instrumentalise l’islamisme, ce qui affectera le caractère séculier et moderne de l’État tunisien. Il fuit le 14 janvier 2011 et un mandat d’arrêt national est toujours émis contre lui et son épouse.

Depuis, la révolution tunisienne est en marche et reste bien fragile. D’après l’interview de Habib Kazdaghli réalisée par Rosa Moussaoui (l’Humanité Dimanche 04/02/16) : « la transition politique doit être renforcée par une révolution économie et sociale. » Il y a actuellement en Tunisie une très grande attente chez les jeunes, surtout chez les jeunes diplômés et chômeurs. Le taux de chômage est de 15 % au niveau national, et le double dans la région de Kasserine. Les jeunes de cette région vivent sous la pression islamiste et terroriste des groupes qui vivent dans les montagnes. Les investisseurs étrangers se découragent et la fonction publique est encombrée par les recrutements clientélistes d’Ennahdha entre 12012 et 2013.

Les incertitudes et le manques d’encadrement des manifestations peuvent engendrer et favoriser l’instrumentalisation et la manipulation des jeunes par les extrémistes.

Il y a une demande légitime d’emplois et d’intégration par le travail et la reconnaissance sociale.
Si le gouvernement issu d’élections libres s’appuie sur une légitimité qui lui permet de gérer la crise sociale non traitée depuis plus de vingt ans, la première phase de la transition politique est un succès qui reste fragile tant que la transition économique n’est pas sur les rails. Actuellement la Tunisie a une capacité de résilience et une volonté liée à une identité nationale très ancienne forgée dans les profondeurs d’une Histoire qui remonte bien avant la présence française : dès 1840, l’école du Bardo et, un peu plus tard, le collège Sadiki, étaient à la recherche d’une constitution politique qui pourrait renforcer la Tunisie en luttant à la fois contre le despotisme religieux et le despotisme politique. Il faut montrer cette mémoire plurielle qui fait la richesse de la Tunisie aujourd’hui. »

Depuis 2010 : six années de lutte pour la démocratie après la chute de Ben Ali[[Source: L’Obs hors-série n° 92, mai-juin 2016]]

17 décembre 2010
A Sidi Bouzid, le marchand ambulant Mohammed Bouazizi s’immole par le feu pour protester contre les méthodes policières. Cela déclenche quatre semaines de manifestations qui embrasent tout le pays, prenant pour cible Ben Ali et son régime.

Le 14 janvier 2011
Ben Ali fuit la Tunisie pour l’Arabie Saoudite.

Le 27 février 2011
Béji Caid Essebsi, ancien ministre de Bourguiba et tenant d’une ligne moderniste, prend la tête d’un gouvernement de transition. Il faut organiser pour la première fois dans le pays des élections pour élire une Assemblée Constituante. Le mode de scrutin retenu par la Haute Instance est un scrutin de liste à la proportionnelle avec une parité homme-femme et des femmes en position d’éligibilité.
Mise en place du Conseil-ISIE Institution de Supervision Indépendante des élections, dont Souad Triki a été nommée vice-Présidente. Ce Conseil s’appuie appuyé sur trois piliers : des élections libres, indépendantes et transparentes. La tâche est ardue car plus de 400 000 électeurs ne sont pas inscrits, et 13 % le sont à une fausse adresse. Finalement ces élections auront lieu le 23 octobre 2011.

Le 23 octobre 2011
Contre toute attente, le parti Islamiste Ennahdah sort vainqueur de ces élections démocratiques.
Les Islamistes ont habilement joué de leur statut de victimes de Ben Ali, ils ont été réprimés, emprisonnés ou exilés sous sa dictature. Très peu ont pris part à la révolution de décembre 2010 et janvier 2011 mais ils ont profité des hautes tensions sociales avivées par le vide politique laissé par la fuite inattendue de Ben Ali.
Le parti Ennahdha est passé maître en communication grâce à un cabinet londonien. A peine élu ils se s’est attaqué aux symboles de la modernité tunisienne, la sécularisation de la vie politique et au rôle essentiel de la femme dans la société tunisienne.

Le 28 novembre 2011
Ce matin-là la faculté des Lettres de la Manouba, sise à quatre km de l’Assemblée Nationale, où est en train de se jouer le sort de la Tunisie, fait l’objet d’une gha-
zoua : conquête salafiste suivie par une occupation de son administration centrale par des éléments étrangers à la faculté.
Leurs revendications sont les suivantes : la non-mixité des cours, un lieu de prière à l’intérieur de l’Université, l’autorisation du port du niqab. Le Doyen de la faculté, Habib Kazdaghli, défend jour après jour, heure après heure, tout en respectant le dialogue, son Université comme lieu de savoir, de culture et de liberté.

Mais les islamistes salafistes tentent un coup de force et deux étudiantes assiègent et saccagent son bureau, et l’une d’elle va l’accuser à tort de l’avoir giflée. Il s’en suit un procès qui dure un an jusqu’en juillet 2012, où, par un renversement incroyable, de victime le doyen Habib Kazdaghli est devenu coupable. Au cours de son procès il a été soutenu par la société civile et les réseaux sociaux. Il a été acquitté, mais de lourdes menaces pèsent encore sur lui. Il est obligé d’avoir un garde du corps, ses déplacements sont contraints, il doit changer d’itinéraire tous les jours.

Le 6 février 2013
Assassinat de l’avocat et homme politique Chokri Belaîd, qui, à plusieurs reprises, avait dénoncé publiquement la montée de l’Islamisme et de l’intégrisme.

Le 25 juillet 2013
Assassinat de Mohammed Brahmi, opposant virulent à Ennahdah. Le parti Ennahdah était prêt à déclencher une guerre civile, l’air était devenu irrespirable.
C’est alors que le quartet du dialogue national, l’association de quatre grandes organisations de la société civile : la centrale syndicale UGTT, le Syndicat Patronal, la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme et l’Ordre National des Avocats intervient. Ces quatre grandes organisations de la Société Civile sont parvenues à ménager une solution de sortie de crise en favorisant le dialogue : Ennahdha accepte de se plier aux règles démocratiques et les discussions reprennent sur la Constitution.

Le 27 janvier 2014
Adoption de la Constitution. C’est une œuvre collective, la société civile y a pris une part active. Les débats ont été retransmis en direct à la télévision et relayés par les réseaux sociaux. Les jeunes sur Facebook se sont passionnés pour les débats constitutionnels. Deux thèmes cruciaux étaient au cœur du débat : « La complémentarité de la femme » et la liberté de conscience.
La Femme tunisienne a une place unique dans le monde arabe. Un code du statut personnel promulgué par Bourguiba en 1959 a aboli la polygamie et le mariage forcé. Les Femmes tunisiennes ont obtenu l’égalité dans la constitution, mais pas encore l’égalité successorale.

Ennahdha a fait preuve d’incompétence et d’arrogance, le vent a tourné, de victimes ils sont devenus oppresseurs et leur image en souffre. Ils sont en train d’opérer une transformation démocratique, sécularisation de la politique, séparation du religieux et du politique, de tourner le dos à la Charia, au Djihad et au Califat au profit du dialogue et de la démocratie.

Le 26 octobre 2014
Ennahdha est battu par le parti progressiste et moderniste dirigé par Beji Caïd Essebsi qui remporte ensuite les présidentielles le 31 décembre 2014.

Le 18 mars 2015
Attaque terroriste au Bardo revendiquée par l’Etat Islamiste : il fait 24 morts et 45 blessés.
Le 26 juin, nouvelle attaque par un terroriste à Sousse : 39 morts et 39 blessés.

Il faut montrer cette mémoire plurielle qui fait la richesse de la Tunisie aujourd’hui. Souad Triki et Habib Kazdaghli, deux acteurs majeurs de la Révolution Tunisienne, ont été nos invités lors de ces rencontres tunisiennes. Nos échanges furent si riches que nous avons décidé de les continuer et d’élaborer ensemble plusieurs projets ayant comme thème central « la Démocratie locale ».

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