Transformer la vie politique pour revitaliser la démocratie

Publié le 08/02/2016

Par Jean-Philippe Marcy, atelier fédéral politique LVN

On ne peut que constater une méfiance grandissante vis-à-vis du politique. J.-P. Marcy, en s’appuyant sur des études récentes, expose les causes de cette distanciation, signale des pistes et initiatives vers une citoyenneté plus exigeante.


Quand on observe le regard des Français sur la politique, deux mots surgissent : la méfiance, voire le rejet.
Le Front National instrumentalise ce rejet pour développer ses thèses. Mais en même temps on constate que l’intérêt général pour la chose publique reste élevé.
La confiance politique est en berne. Les raisons ? Le déclin des liens sociaux, la montée de l’individualisme, les crises politique, démocratique, économique, sociale, l’extrême difficulté de prévoir l’avenir.

La fracture entre les responsables politiques et les Français est indéniable. Le principal grief est : « les responsables politiques ne se préoccupent que peu (ou pas du tout) de ce que pensent les gens comme nous. »
La fracture sociale amplifie et renforce une fracture politique maintenant présente dans tous les milieux. C’est dans les couches populaires, à gauche et chez les sympathisants des extrêmes, que le constat d’un dysfonctionnement de la démocratie est nettement majoritaire, mais aucun milieu n’est épargné.

Le désir d’engagement dans l’activité politique traditionnelle est au point mort. Ce mouvement de désengagement est déjà ancien. Il y a une forte érosion des effectifs des partis. Par ailleurs, moins de 8 % de la population active salariée adhère à un syndicat.
Ceci renforce la distance ressentie par les citoyens envers les acteurs de la représentation sociale et politique que sont les partis et les syndicats.
Un grand sentiment de coupure s’est installé entre le peuple et les élites auxquelles sont associés les responsables politiques. Là encore ce sentiment peut être instrumentalisé par certains partis politiques.

Par ailleurs, nous ne sommes pas gouvernés démocratiquement. C’est du moins le sentiment de Pierre Rosanvallon qui déclare : « Nos régimes peuvent être dits démocratiques, mais nous ne sommes pas, en réalité, gouvernés démocratiquement. »
Cette conscience nourrit alors le désenchantement et le désarroi. La cause principale en est le mouvement constant de présidentialisation. Cette personnalisation du pouvoir est un contresens démocratique.
Il y a en même temps un divorce entre le « moment électoral » et le « moment gouvernemental ». Le moment électoral est celui de l’exaltation des promesses. C’est aussi celui de la séduction, alors que le moment gouvernemental est celui du retour à la réalité et au rappel des contraintes.
En tout cas, cet écart produit des effets dévastateurs : dévalorisation de la politique et encouragement de l’abstention.
L’usage du vote par le citoyen s’est raréfié. Ainsi, aux élections municipales de 2014, il y a eu 36 % d’abstentions au premier tour. Et aux élections européennes le chiffre était encore plus important. Cela ne signifie pas pour autant une montée irrésistible de l’indifférence politique. En effet un abstentionnisme de protestation contre le fonctionnement actuel de la démocratie peut aussi expliquer ces chiffres. Le vote protestataire est important chez les petits patrons et chez les ouvriers, et il se développe chez les agriculteurs. Le vote de ces catégories en voie de déclassement est essentiellement réactif, c’est l’expression d’un mal de vivre cherchant une voie pour s’exprimer.
Du coup le sens même de l’élection a changé de nature. Le politologue Pascal Perrineau affirme : « Il ne s’agit plus, au sens étymologique du terme, de distinguer et de sélectionner des candidats, mais plutôt de procéder à des éliminations. Nous sommes ainsi entrés dans ce que l’on pourrait appeler une démocratie de sanction ». Tout ceci n’est pas sans conséquence et le développement de l’abstention et du vote protestataire explique en partie la montée du FN et l’affaiblissement de la gauche.
Par ailleurs, les Français cultivent un pessimisme souvent beaucoup plus marqué que dans d’autres pays. Cela s’explique par les difficultés économiques et sociales, le taux élevé du chômage, la difficulté de se projeter sereinement dans l’avenir. D’autre part la France découvre qu’elle n’est qu’une puissance moyenne : le pays n’a plus les moyens de ses ambitions de grande puissance universaliste.

Un monde médiatique en pleine mutation
De nouveaux modes de communication apparaissent sans cesse et notre rapport aujourd’hui à l’information est totalement différent de celui qui existait il y a dix ans : face à ces mutations les générations différentes peuvent avoir des comportements totalement opposés.
Le contexte économique est particulièrement ardu. De très grands groupes médiatiques se constituent souvent sous la direction de grands groupes économiques.
La presse écrite rencontre de grandes difficultés, la télévision connaît aussi de profondes mutations (poids des chaînes d’information en continu notamment). Par ailleurs les moyens financiers ne sont pas toujours à la hauteur et les effets se font sentir : réduction du nombre de journalistes, diminution du temps consacré à la vérification des sources d’information ou à l’enquête. De nombreux bureaux de correspondants à l’étranger ferment. Des fonctions nouvelles sont attribuées aux médias et se substituent ainsi aux anciennes : divertir au lieu d’informer, distraire au lieu d’impliquer.

Interrogeons-nous !
Quels sont les choix éditoriaux ?
Quelles sont les informations privilégiées ?
Quelle est la place relative de la vie politique et des faits de société ?
Comment les faits divers se muent-ils en faits de société ?
Comment leur traitement peut-il conduire à des dérives, même si les médias s’en défendent ?
Interrogeons-nous en particulier sur le traitement de la vie politique : est-elle traitée par des journalistes spécialisés, par des animateurs, par des humoristes ?
Quelle est la part de l’analyse, du commentaire, de la recherche de la petite phrase, de la caricature, du cliché ? Quelle forme prend le regard sur les institutions ?
Analysons bien aussi la forme et le contenu des débats : les enjeux, la complexité des questions traitées apparaissent-ils ?
Comment la vie politique est-elle présentée en général ? comme un élément essentiel de la démocratie ? un spectacle ? un match ? une lutte ?
Toutes ces interrogations ne constituent pas un jeu purement intellectuel. Elles sont fondamentales et nous ne pouvons pas séparer l’analyse du fonctionnement
de notre démocratie de l’analyse du fonctionnement des médias. L’objectif n’est pas de diaboliser le monde médiatique qui n’est pas un monde homogène et qui reste divers.

Une Citoyenneté exigeante
La citoyenneté est une lente construction. En ce qui concerne les droits, au-delà des avancées, il reste un long chemin à parcourir en matière de droits civils, de droits politiques, de liberté publique, de droits économiques, sociaux et culturels.
Mais le taux de chômage reste élevé et, entre 2004 et 2012, le taux de pauvreté est passé de 6,6 % à 8,2 %. Le pouvoir d’achat baisse mais pas pour tous entre 2011 et 2013. Les très hauts revenus s’envolent.
La démocratie que nous voulons exige que l’on aille au fond des choses, que l’on chemine le temps qu’il faut, que l’on cerne les difficultés, que l’on aille à l’encontre des déclarations simplistes « il y a qu’à… il faut que… ».
Ceci suppose un engagement de la part des citoyens avec la volonté de s’informer, de s’impliquer, de délibérer, de voter, d’exercer sa responsabilité.
La qualité démocratique est aussi une affaire de comportement, de morale, d’éthique, portés par des valeurs : l’ouverture à l’autre, le respect, l’écoute, la volonté de justice et de solidarité.
Promouvoir la qualité démocratique relève d’un long apprentissage qui devrait démarrer dès l’école. Il faut savoir que des milliers d’initiatives existent. Discrètes et concrètes, elles créent du lien social et des emplois dans tous les champs de la vie quotidienne. Il y a des initiatives en devenir. Chacun peut semer des graines de citoyenneté à travers sa participation à un parti politique, un syndicat, des comités de quartier, des forums sociaux locaux, des associations…
Nos actes ont une portée politique dans nos modes de consommation, nos responsabilités familiales, nos relations avec l’environnement Une revitalisation de la démocratie suppose une transformation de la vie politique, une attitude plus positive de la part des médias et une implication effective des citoyens.
Cette revitalisation est un des principaux objectifs du Pacte civique.

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