Publié le 14/06/2012
Par Frédérique Rigal, Comité de rédaction
Qui dénie la situation écologique de la planète ou la raréfaction des ressources naturelles dont nous dépendons vitalement ? Qui conteste l’urgence de faire face à la crise environnementale ? Personne. Cependant, si dramatiques et avérées qu’elles soient, les dégradations de l’environnement n’affectent pas suffisamment le quotidien des décideurs ni des électeurs pour qu’ils soient prêts à remettre en cause leurs habitudes de vie, et ce qu’ils considèrent comme leurs intérêts immédiats. Entre perte de capacités financières et manque de légitimité populaire, il semble par ailleurs que l’aptitude à modifier le cours de cette dangereuse évolution soit de plus en plus réduite pour nos démocraties. Comment celles-ci peuvent-elles être rénovées et renforcées, afin d’engager les actions qui s’imposent pour préserver le long terme ?
Notre système démocratique doit être rénové pour pouvoir gérer la complexité des problèmes environnementaux et prendre en compte des enjeux de long terme. Pour proposer des pistes concrètes, la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme a réuni politologues, sociologues et juristes, spécialistes des processus participatifs, de la concertation et de l’environnement. Pour une 6ème république écologique est le livre collectif issu de ce groupe de travail coordonné par Dominique Bourg.
Une démocratie représentative plus légitime, un recours plus systématique aux différents outils de participation
Pour les institutions démocratiques occidentales – et notamment françaises – l’ouvrage préconise une réforme profonde marquée par une plus grande ouverture à la société. Votes à la proportionnelle, stricte limitation du nombre de mandats simultanés et successifs, définition d’un véritable statut de l’élu sont autant de propositions formulées pour améliorer sensiblement la représentativité de notre Assemblée Nationale. Par ailleurs, le pouvoir exécutif, représenté par le Premier Ministre (et non par le Président de la République !), devrait pouvoir être davantage interpellé, notamment par le Parlement, par les minorités d’opposition et par les citoyens, afin que ses décisions soient plus mûries, mieux argumentées et vraiment conformes à l’intérêt collectif, y compris celui des générations futures. Il conviendrait également de développer la démocratie participative, à la fois pour éclairer les choix collectifs et les décisions publiques, mais aussi pour mieux impliquer et responsabiliser les différents acteurs des territoires. Pour ce faire, un Collège de la participation citoyenne, institué comme autorité indépendante, devrait organiser les modalités de la consultation citoyenne avec une gamme d’outils adaptés aux différents contextes. Débats publics, conférences ou jurys de citoyens, planification participative, voire référendums d’initiative institutionnelle ou populaire font ainsi partie des formules auxquelles il s’agirait de recourir beaucoup plus fréquemment.
Des droits environnementaux reconnus et assortis d’une véritable protection juridique
Une autre piste proposée pour instituer des mécanismes efficaces de protection de l’environnement repose sur la reconnaissance de droits environnementaux, en prolongement naturel des droits humains.
La déclaration de Stockholm, adoptée lors de la conférence de l’ONU sur l’environnement, déclarait déjà en 1972 que « l’homme a un droit fondamental à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité doit lui permettre de vivre dans la dignité et le bien-être.
Il a le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures ». Plus tard, la déclaration de Rio en 1992, puis la convention d’Aarhus en 1995, ont reconnu le droit à la participation de tous les citoyens concernés, ainsi que leur droit d’accès à l’information et à la justice en matière d’environnement. En France, l’adossement à la Constitution, en 2005, de la Charte de l’environnement, constitue un premier pas décisif vers une protection juridique, bien que certains volets des déclarations internationales y aient été édulcorés. C’est pourquoi les auteurs de ce livre proposent l’adoption de cinq nouveaux principes : la prise en compte de la finitude des ressources, le financement du long terme, la non-régression du droit de l’environnement, le droit à une expertise pluraliste, et le droit d’accès effectif à la justice en matière d’environnement.
Pour garantir une mise en œuvre concrète de ces principes, il conviendrait de transformer l’actuel Conseil Constitutionnel en une véritable cour suprême, la Cour Constitutionnelle, ayant la mission de vérifier le respect des traités internationaux par la loi française, notamment en matière d’environnement, de contrôler les interprétations formulées par les diverses juridictions et d’arbitrer les éventuels conflits entre des normes partiellement contradictoires. La création d’un Procureur général de l’environnement et de la santé, indépendant et bien formé sur ces questions, s’appuyant sur une police spécifique mieux dotée en moyens matériels, donnerait lieu à davantage de poursuites judiciaires et de sanctions effectives envers les atteintes à l’environnement, y compris sur les affaires politiquement ou économiquement sensibles.
Des institutions nouvelles pour gouverner le long terme
S’agissant des institutions politiques, une troisième chambre parlementaire, l’Assemblée du long terme, aurait la prérogative de proposer les principes généraux de lois relatives aux enjeux du futur, et pourrait user d’un droit de veto constructif et argumenté, qui permette le réexamen de lois non encore promulguées, au regard des problématiques du long terme.
Un Collège du futur, rattaché à l’Assemblée du long terme et composé de chercheurs en détachement de leur organisme d’origine, sélectionnés de manière transparente et temporaire, devrait procéder à une veille scientifique des grandes évolutions écologiques et humaines, afin d’établir des diagnostics et de fournir les éclairages nécessaires aux élus et aux citoyens.
Enfin, le Président de la République, dégagé du gouvernement opérationnel de court terme, deviendrait réellement le garant d’un intérêt collectif et durable, par sa vision transversale des évolutions souhaitables, par sa capacité de saisir toutes les institutions politiques et judiciaires et son droit de véto constructif sur des préoccupations engageant le long terme, complété, in fine, d’un recours possible au peuple par la dissolution de l’Assemblée nationale.
Une critique politique par Michel Rocard
Une critique intéressante de ce livre a été réalisée par Michel Rocard, et publiée sur le site Le Plus du Nouvel Observateur[[1 – Analyse de Michel Rocard, publiée sur le site Le Plus du Nouvel Observateur :
• l’information disparaît au profit du spectacle, qui tue la politique, 26/10/2011,
• Pourquoi le référendum n’est pas bon pour la démocratie, 27/10/2011,
• Vers une 6ème République ? Quelques pistes pour réformer nos institutions, 01/11/2011.]]. Adhérant sans réserve au diagnostic préalable du livre, tant sur les aspects écologiques que sur le délabrement institutionnel des démocraties occidentales, l’ancien Premier Ministre souligne la pertinence et le fort potentiel politique de cette nouvelle forme de présidence, ainsi que de la création d’un Collège du futur et d’une Assemblée du long terme – il envisage celle-ci moins comme une assemblée supplémentaire qu’une réforme du Sénat actuel, afin de ne pas trop alourdir les procédures parlementaires. D’une manière générale, Michel Rocard est soucieux de l’efficacité des institutions et de leur capacité concrète à financer et à gérer les réformes envisagées. Considérant que la perte d’intérêt pour la complexité et pour le long terme est un phénomène social qui englobe et dépasse la classe politique, il approuve le recours à la démocratie participative, mais ne soutient pas du tout la possibilité d’interpellations incessantes de l’exécutif, ainsi que la limitation stricte du nombre de mandats successifs, qui porterait atteinte aux qualités politiques d’élus n’ayant plus le temps d’acquérir les compétences et l’expérience requises. De plus, le vote proportionnel est, selon lui, un « suicide collectif annoncé », qui a montré toutes ses limites dans des pays comme Israël ou la Belgique. Quant au référendum, qualifié de procédé « brutal, simplificateur et dangereux », il est trop facilement détourné de son objet et deviendrait contreproductif.
L’éducation populaire, plus que jamais nécessaire
Si depuis plus d’une vingtaine d’années déjà, des dispositifs partenariaux ont été expérimentés pour mobiliser les acteurs sociaux et les associer aux processus de décision à différentes échelles territoriales notamment, l’exercice est souvent loin d’être maîtrisé dès lors qu’on va au-delà d’une gestion de proximité. En complément à l’analyse politique de Michel Rocard, on peut regretter que, s’agissant de la démocratie participative, ce livre ne fasse qu’effleurer les conditions de la « capacitation » des citoyens. L’ouvrage indique, p. 171 : « Pas en effet de démocratie sans presse libre, sans accès libre à l’information, sans droit de manifester, sans syndicats, sans vie intellectuelle et critique, sans arts, etc. ». Sur cette base, il paraît nécessaire d’explorer les exigences et les modalités qui permettent aux citoyens ordinaires d’acquérir une formation ouverte et des compétences solides, un goût de la responsabilité et de l’engagement, une conscience lucide des enjeux fondamentaux et assez de volonté éclairée et de méthode de débat pour qu’émerge de l’intelligence collective plutôt que des formes de barbarie jamais totalement vaincues.