Environnement et richesse, une relation en question

Publié le 14/06/2012

Par Matthieu Calame, Nadège Chambon, Groupe de réflexion associé à Citoyens

Nadège et Matthieu nous livrent une analyse des questions qui seront en jeu au sommet de Rio +20 qui aura lieu du 20 au 22 juin 2012.


Perspectives théoriques

Les ressources naturelles actuelles sont-elles en mesure de couvrir les besoins vitaux de la population mondiale ? S’il s’agit de se nourrir, de se loger, de se soigner, de vivre en bonne santé, et de mener une vie créative, la réponse est : oui. Faudra-t-il sacrifier la voiture individuelle et les fréquents voyages en avion ? Vraisemblablement. On peut esquisser les grands principes d’une oeconomie si l’on veut avoir une idée des voies possibles :

a) un principe de subsidiarité économique : produire un maximum de denrées, d’énergie et de produits manufacturés dans un cadre local. Keynes écrivait en 1933 « Les idées, la connaissance, l’art, l’hospitalité, les voyages : ce sont là des choses qui, par nature, doivent être internationales. Mais produisons les marchandises chez nous chaque fois que cela est possible ». La remarque demeure toujours valable.

b) une réforme de la monnaie. Dès lors que l’on constate l’incommensurabilité des composants du monde (un litre de pétrole est de nature radicalement différente d’une heure de travail) alors il est extrêmement vicieux d’établir un étalon unique qui établisse une commensurabilité. Il semble quasi impossible de gérer un monde multidimensionnel avec une seule unité. Il faut donc nécessairement concevoir à terme des unités de compte distinctes et de natures différentes, au moins pour quelques composantes de base (temps humain, énergie organique/CO2, énergie inorganique, minéraux, eau douce). Chacune de ces composantes est irréductible aux autres.
c) une réforme du statut des entreprises et notamment de la responsabilité des actionnaires. Il est impossible d’instaurer un monde de responsabilité si l’on accepte la possibilité de personnes morales dont la caractéristique est que la responsabilité y soit limitée à leur investissement initial. Il paraît clair que la responsabilité des porteurs de capitaux devrait s’étendre également au bénéfice qu’ils en ont obtenu (par exemple sur les dix dernières années).
d) une réforme de l’ONU allant vers un système fédéral bicaméral, avec d’une part une assemblée des États avec deux représentants par pays, et d’autre part une assemblée composée d’un nombre de représentants par pays proportionnel à la population mondiale. L’ONU serait financée par des taxes génériques sur les transactions et sur la consommation des ressources. Son mandat serait limité à i) la coopération entre les polices et les justices, ii) les programmes d’aide au développement, iii) la politique mondiale des ressources planétaires (halieutiques, forestières, etc.).

Perspectives pratiques

La mise en place de telles réformes constitue en soi une tâche cyclopéenne. Et, à dire vrai, on voit mal le chemin et le terme pour y parvenir. Il est possible d’ailleurs que des bribes partielles se mettent en place et encore plus probable que l’histoire humaine passe par des périodes de chaos, en espérant toutefois que ces périodes ne l’engloutissent pas. Ce qui est certain c’est qu’une telle mutation n’est possible que si s’opère au préalable une mutation morale et pratiquement métaphysique qui modifie la conception que l’homme a de lui-même et du monde. Dans la Grande Implosion Thuilliers faisait l’hypothèse de l’épuisement du paradigme prométhéen et l’émergence d’une autre conscience de soi[[1 – Voir aussi François Flahaut, Le crépuscule de Prométhée, 1001 Nuits, 2008.]]. Notons tout d’abord que le phénomène s’est produit dans l’histoire. Le moment où l’homme a enterré ses morts, où il s’est mis à peindre des animaux, est un tournant de cet ordre. Un tournant identique s’est produit au néolithique quand l’homme s’est avisé qu’il pouvait modeler son environnement. Jacques Cauvin a formulé à ce sujet l’hypothèse psychoculturelle qui veut que ce soit un changement théologique (la naissance des dieux et l’apparition de la grande déesse et du Taureau) qui ait précédé et permis le changement comportemental[[2 – Jacques Cauvin, Naissance des divinités, naissance de l’agriculture, Flammarion, ]]. Un tournant de même nature s’opère avec l’émergence de la divinité moniste et éthique[[3 – Jan Assmann, Le prix du monothéisme, Aubier, 2007.]] des religions abrahamiques. Et bien sûr à la Renaissance avec le triomphe de l’accroissement de la puissance humaine et du génie de l’homme comme projet de société.
Il n’est pas certain que ces révolutions soient conscientes ni qu’elles puissent être voulues et programmées. Toutefois l’on assiste incontestablement à l’heure actuelle à des mutations fondamentales qui opèrent comme une « sortie du néolithique ». Sont remises en cause :

• la sédentarité,
• la ruralité,
• la filiation patrilinéaire,
• la soumission de la femme et son assimilation à une propriété et plus globalement la distinction manichéenne entre les sexes,
• la propriété de la terre comme objectif structurant les relations sociales.

En effet :

• nous assistons à des mouvements de population inégalés, voire à une revendication dans les classes supérieures au nomadisme,
• pour la première fois de son histoire, en 2007, la population du monde a été majoritairement urbaine,
• l’identité est de moins en moins liée à un lignage patrilinéaire, on voit même apparaître de manière croissante des éléments de matrilinéarité,
• les femmes ne sont plus mineures mais elles sont de plus en plus considérées comme les égales des hommes dans des domaines qui étaient autrefois réservés à ces derniers,
• le capital symbolique remplace le capital foncier : le talent plutôt que l’arpent.

Il paraît impossible qu’une telle mutation ne produise pas des effets profonds sur la psychologie des individus. Ces effets iront-ils tous dans le bon sens ? Pas sûr. Mais c’est là que peut intervenir une approche volontariste – la fameuse éducation ! – qui favorise les meilleurs aspects et refoule les plus discutables. On sait notamment la place fondamentale, voire centrale, qu’occupe la notion de compétition dans nos sociétés à tel point que « non compétitif » a valeur d’épitaphe pour un individu comme pour un projet. Or la compétition généralisée ne peut mener qu’à la destruction de toutes les composantes de la société (couples, fratries, villages, nations…) ce que Hobbes savait déjà. Seules les notions de complémentarité et de coopération peuvent assurer la cohésion sociale nécessaire pour relever à la fois l’enjeu environnemental et l’enjeu social. Que serait un système éducatif et politico-économique fondé sur ces deux notions ? Les expériences ou propositions ne manquent pas. Vont-elles pouvoir incurver la trajectoire donnée au monde et à l’humanité par les sociétés industrielles depuis le 19ème siècle ? C’est la question. Pour l’heure on ne voit pas que les sociétés « non européennes » émergentes, tant l’Inde que la Chine, proposent de réelles alternatives, pas plus que le Japon en son temps. Bizarrement il est possible que ce soit au cœur des plus vieilles nations industrielles qu’émerge un système nouveau. Mais après tout, c’est le propre du chablis forestier : c’est là où le vieil arbre est desséché ou abattu que pousse une végétation nouvelle. D’un arbre séculaire, du vieux tronc d’Isaïe, malgré l’hiver austère un bourgeon a jailli…

Questions ouvertes à la discussion

Dématérialiser l’économie, la solution pour un développement durable ?
L’économie contemporaine vue à travers les chiffres semble créer de la richesse à partir de la matière grise plus qu’à partir des ressources naturelles. En effet en France et en Europe 70 % de nos emplois sont issus des services, ce développement a eu lieu au détriment des emplois agricoles et industriels qui représentaient respectivement 40 % et 35 % de l’emploi total contre 5 % et 25 % aujourd’hui. Le PIB mondial quant à lui était issu en 2003 de l’agriculture (4 %), de l’industrie (32 %) et des services (64 %).
De plus, grâce aux progrès accomplis en matière d’efficacité énergétique, nos économies soi-disant « dématérialisées » donnent à penser que notre développement exerce une moindre pression sur les ressources : il faut aujourd’hui 25 % d’énergie de moins pour produire un euro de PIB en France. A contrario de ces données, les économies modernes restent en fait consommatrices à outrance de ressources : la consommation globale pour les flux de matières ou d’énergie, ou rejets, par exemple de CO2 augmente.
La division internationale du travail – qui tend à faire produire nos biens de consommation sur d’autres continents que le nôtre – permettrait-elle d’améliorer le bilan environnemental de notre consommation ? La controverse bat son plein. Alors que les émissions de gaz à effet de serre provoqués par les longs trajets des marchandises sont réelles, certaines études montrent qu’une production à très grande échelle dans des zones aux climats adaptés (par exemple la production de viande ovine en Nouvelle-Zélande) ont de meilleurs bilans carbone que nos productions locales… Faut-il relocaliser nos productions pour une meilleure protection de l’environnement ? La question ne semble pas tranchée, à l’approche du bilan du premier sommet de Rio, plusieurs voies semblent offertes pour réconcilier développement humain et environnement.

Mesurer l’efficacité énergétique d’une économie : vers un bilan écologique consolidé ?
La question des instruments de mesure constitue l’un des sujets essentiels pour mettre en œuvre un mode de développement durable puisque nos sociétés gèrent ce qu’elles sont aptes à mesurer. De ce point de vue, mesurer l’efficacité énergétique de nos comportements à l’échelle individuelle, régionale, étatique permettrait de mieux comprendre notre impact. Mais en économie ouverte, la mise en place d’un « bilan écologique consolidé » semble complexe. Quels instruments faudrait-il mettre en place pour s’en approcher ?

La sobriété heureuse : solution alternative ou complémentaire de la Green economy ?
Les expériences locales de sobriété heureuse semblent couronnées de succès quoique leur concrétisation nécessite souvent des efforts considérables. Cela peut-il préfigurer des modes de vie, une économie, à l’échelle française ou européenne inspirés de la sobriété heureuse ?
La sobriété heureuse pourrait être une voie pour trouver des solutions aux limites matérielles de la terre… mais nos démocraties sont encore rivées majoritairement, sur les grandes données macroéconomiques plutôt que sur le bien-être des populations. La question environnementale semble plus un caillou dans la chaussure des dirigeants qu’une préoccupation majeure.
La crise offre une opportunité pour favoriser la conversion à la sobriété des individus. Après tout le plan drastique auquel la Grèce est soumise n’est-il pas une sobriété subie et non voulue ? Dans nos sociétés de surabondance, l’impératif de la modération, peu reconnu comme tel dans les médias, fait son chemin :
• la solution à la contrainte énergétique passera immanquablement par de moindres gaspillages d’électricité ;
• la solution aux émissions de GES passera par davantage de transports collectifs et probablement par moins de transports dépensiers et polluants ;
• la consommation moindre ou modérée d’aliments carnés sera probablement l’une des clés pour éviter l’explosion de la demande alimentaire mondiale ;
• la limitation des gaspillages, dans les Pays en développement (PED), dus à des réseaux d’eau inefficaces en raison de fuites (ainsi à Delhi : 40 % de perte au début des années 2000) est une solution essentielle pour limiter les pénuries.

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