Soyons réalistes, demandons l’impossible

Publié le 14/06/2012

Par Thérèse Locoh, Groupe Vallée de la Bièvre

D’abord la France, dans une génération, trente ans environ…. Elle sera multiculturelle, car elle l’est déjà. Les enfants des immigrés d’aujourd’hui qui auront choisi de vivre en France seront français pour la plupart, tout en continuant à avoir des attaches, au moins culturelles, avec le pays de leurs parents. Et cela ne sera pas en contradiction avec leur sentiment d’appartenance à la communauté française[[1 – Simon Patrick et Tiberj Vincent, 2012, Les registres de l’identité, les immigrés et leurs descendants face à l’identité nationale, Documents de travail 176, Paris Ined, http://www.ined.fr/fr/ressources_documentation/]].


Parlera-t-on encore des immigrés ? De leur intégration ? Des valeurs qu’ils apportent ou contestent ? Si on regarde l’histoire longue on peut parier que les descendants des immigrés d’aujourd’hui se seront fondus dans la société, comme cela s’est passé pour les « Polaks » et les « Ritals » que l’on stigmatisait hier. La France a, depuis deux siècles, exploité puis intégré les vagues successives de migrants. Dans les années à venir, en raison des liens familiaux et matrimoniaux qui irriguent la migration, du fait aussi des besoins de l’économie dans de nombreux secteurs, il est probable et souhaitable que la France reste ouverte à un apport migratoire au long cours.
Au-delà de la France, le monde sera lui aussi marqué par la circulation des hommes et des femmes entre pays, régions, cultures. Les migrants seront sans doute devenus un peu plus nombreux qu’aujourd’hui (ils ne représentent aujourd’hui que 3 % de la population mondiale). Il y aura, c’est hélas prévisible, des migrations « subies » par ceux qui auront dû fuir des catastrophes climatiques, ou des violences de tous ordres. Il y aura aussi des migrants par choix, voyageurs provisoires ou durables, cherchant un mieux-vivre, curieux de connaître d’autres pays, de vivre des expériences diverses, de se former ailleurs que chez eux.
Comment dessiner, dans l’avenir, une société intégrant, harmonieusement, les dynamiques migratoires ? Il y aura beaucoup à faire pour que cet apport soit un enrichissement, tant pour les migrants et leur pays que pour notre société. Les débats animés de l’atelier « Pour un avenir solidaire » depuis 2010 et les discussions du week-end commun avec l’atelier politique, fin 2011, font ressortir trois propositions-phares.

Respecter et promouvoir le Droit international en matière de migration

Il faut que la France respecte dans leur totalité les conventions européennes[[2 – Convention européenne des Droits de l’homme (CEDH), amendée en 2010, www.echr.coe.int/
]] et internationales[[3 – Déclaration universelle des Droits de l’homme ; convention internationale des Droits de l’enfant (1989), www.droitsenfant.]] régissant les droits des étrangers, et une attention particulière devra être apportée au respect des procédures de demandes d’asile[[4 – Convention de Genève (1949).
]], pilier essentiel de l’accueil dans un pays de Droit. Si les conventions internationales déjà ratifiées par la France étaient pleinement respectées, beaucoup des injustices et dénis de droit dont sont victimes aujourd’hui les migrants, avec ou sans papiers, seraient évités et l’image de la France en serait grandie. De plus, il faut souhaiter que la France ratifiera, dans un proche avenir, la Charte mondiale des migrants, adoptée à Gorée en 2011[[5 – www.cmmigrants.org/goree
]].

Adopter des politiques réalistes d’accueil

Il faut que la France demeure une terre d’accueil et puisse s’enrichir comme elle l’a toujours fait de l’apport d’autres sociétés, d’autres cultures. C’est l’objectif à long terme de l’intégration, continue, de migrants qui souhaiteront vivre en France. L’accueil de migrants suppose une profonde transformation de la situation actuelle, depuis la délivrance de visas assurant un minimum de stabilité et de liberté de circulation, l’organisation de formations, notamment linguistiques, la mise à disposition de services pour donner accès à l’emploi et au logement, jusqu’à la stabilisation du séjour et la naturalisation.

Aller vers la libre circulation des personnes[[6 – Proposition largement explicitée dans 40 propositions de la Cimade, Inventer une politique d’hospitalité, 2011. Voir notamment p. 12-21, Un droit à la mobilité pour tous de Guchteneire Migrations sans frontières, p. 86. Paris UNESCO.]]

Il faut privilégier des mécanismes règlementaires d’échanges entre les régions, les Etats, qui conduiront progressivement à la liberté de circulation, un droit inscrit dans la Déclaration universelle des Droits de l‘homme. La fluidité des déplacements est l’une des clés des échanges migratoires du futur. « Plus les frontières sont ouvertes, plus la population circule et moins elle s’installe : c’est la migration pendulaire d’allers et retours, d’inscription de la mobilité comme mode de vie. […] Plus les frontières sont fermées, plus les migrants se sédentarisent et font venir leur famille par crainte de ne pouvoir entrer à nouveau après être repartis au pays »[[7 – Catherine Wihtol de Wenden, 2009, Les frontières de la mobilité, in Antoine Pégoud et Paul de Guchteneire Migrations sans frontières, p. 86. Paris UNESCO.]].

Et puis, il y a un préalable pour jeter les bases de cette France métissée qui se dessine… Il va falloir faire un (gros) effort pour adopter une autre « focale » que celle du court terme, actuellement nourri de témoignages tendancieux, d’ »enfumages » médiatiques, de récupérations politiciennes qui donnent une image déformée des courants migratoires et empêchent de regarder avec réalisme notre avenir commun. Certes, des difficultés il y en a, tout n’est pas facile, surtout pour les immigrés eux-mêmes, mais aborder la migration, perpétuellement, comme un problème de « banlieues sensibles », une question de « sur-délinquance des Africains et Maghrébins », etc. c’est biaisé et réducteur. Il y a aussi les migrations qui réussissent, qui profitent aux migrants, à leurs familles au pays, et à la société française.

Rêvons ensemble que les murs d’aujourd’hui seront demain des ponts[[8 – Pour reprendre le beau slogan « Des ponts pas des murs » d’un appel lancé par un collectif d’associations à l’occasion des élections européennes.]].

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