Villes en transition

Publié le 14/06/2012

De Jean-Claude Boutemy, Comité de rédaction

Voir plus loin, des citoyens ordinaires l’ont déjà tenté. Depuis moins d’une décennie ils se sont demandé : comment allons-nous vivre concrètement, dans nos villes et nos campagnes, sur l’autre versant du pic pétrolier, lorsque l’énergie sera plus chère et moins abondante ? Comment nos approvisionnements les plus élémentaires et notre organisation sociale peuvent-ils surmonter cette nouvelle donne ? Et que faire dès maintenant pour s’y préparer ? C’est une approche « bottom up » partie des pays anglo-saxons, qui allie pragmatisme et foi dans l’avenir, et se répand de manière contagieuse. Un espoir en germe.


Kinsale est un village de 2 300 habitants dans le comté de Cork en Irlande. Rob Hopkins, auteur du Manuel de Transition[[1 – Manuel de Transition, de la dépendance au pétrole à la résilience locale, éd. Ecosociété, Revue Silence, mai 2011, 20 €.]] qui constitue la base de cet article, y enseigne la permaculture, technique d’agriculture pérenne. Son cours est un foisonnement d’expériences et de créations. Avec ses étudiants, il anime, au collège dans la ville, des évènements expérimentaux (films et conférences, colloques, jardins potagers) visant à sensibiliser à la descente énergétique. Il est surpris de constater la grande réactivité des gens, et la capacité d’une communauté à construire une vision positive des difficultés, pour peu qu’on organise une liberté de parole et un accueil ouvert aux idées, tout cela dans une ambiance de convivialité.

Fort de cette expérience, lorsqu’il déménage en 2006 à Totnes, petite ville du Devon de 8 500 habitants, il lance le TTT (Transition Town Totnes) - premier projet de transition formalisé. Dix groupes de travail mobilisent mille habitants pour imaginer une autre façon de vivre. Secteur par secteur (alimentation, habitat, construction, économie locale, nouvelles formes d’énergie, transports, éducation, santé et bien-être), la communauté fait l’inventaire de ce qui marche ou pas. Elle recense ce qui pourrait être mis en œuvre dans les vingt prochaines années pour réduire la demande énergétique et la dépendance vis-à-vis des énergies fossiles, utiliser des énergies renouvelables, mais aussi relocaliser l’approvisionnement en nourriture, en semences agricoles, en matériaux de construction et retrouver des savoir-faire anciens. Réparer et réhabiliter plutôt que détruire, coudre, cuisiner, pratiquer l’artisanat ou le jardinage… Sorte de mariage des technologies nouvelles et du bon sens du passé.

L’utopie fait école et se répand d’abord dans les pays anglophones (Angleterre, USA, Australie), puis au Japon et dans le monde entier. On recense aujourd’hui 863 initiatives de transition, dans 34 pays.

Les grands principes

Le mouvement des villes en transition introduit deux concepts (résilience et permaculture) nouveaux, et étranges pour notre société dans les faits très majoritairement pétrie de spécialisation (cf. division internationale du travail…), de monoculture artificielle, de gigantisme industriel et financier, de transports planétaires généralisés.
Résilience : c’est à l’origine un terme de mécanique, qui désigne la propriété d’un système à résister à des chocs sans se désagréger. Il s’est étendu à la psychologie à l’échelle individuelle (cf. B. Cyrulnik…), puis aux organisations sociales. Dans le cas des sociétés humaines, il s’agit de leur « capacité à réagir aux crises et à ne pas s’effondrer » notamment en cas de rupture d’approvisionnement.

Or notre dépendance vis-à-vis du pétrole constitue une énorme vulnérabilité. Les paralysies provoquées par les grèves de routiers, par exemple, illustrent bien la fragilité et le manque de résilience des sociétés modernes. D’autre part, le concept de résilience intègre et dépasse celui du développement durable, en incluant l’autonomie et la dimension locale des échanges, des circuits et des relations, qui tissent la « trame » de la société.

Permaculture : terme inventé par des écologistes australiens dans les années 70. C’est une philosophie qui consiste à travailler avec la nature au lieu de lutter contre elle. Elle s’est appliquée dans le domaine agricole comme méthode de culture diversifiée s’inspirant des écosystèmes naturels. Elle s’est élargie progressivement dans le champ social, suite à la prise de conscience des menaces systémiques qui pèsent sur les sociétés humaines mondialisées.
On peut définir la permaculture, au sens large, comme le cadre conceptuel qui combine et met en synergie divers savoir-faire et modes de vie, pour nous permettre de construire, les uns avec les autres, des communautés durables. Ce faisant, la permaculture propose aux individus de devenir des producteurs responsables, des citoyens actifs, au lieu de consommateurs dépendants. Elle prend des formes locales concrètes très diverses (jardins partagés, constructions éco-énergétiques, éco-villages…), et va dans le sens d’une relocalisation de l’économie et de la reconstruction du lien social.

Comment ça marche

Le manuel de la transition donne sur 212 pages des conseils, des procédures expérimentées, des exemples, tout en prévenant que chaque situation est particulière, qu’il faut faire en fonction du contexte local et des personnes ressources qui se manifestent. Donc organisation plutôt de type autogestionnaire. Le réseau témoigne de sa grande diversité et semble prêt à épauler des groupes locaux qui hésitent, le pragmatisme et l’optimisme sont la règle.

Un climat d’euphorie et de confiance semble libérer imagination et créativité, alors que paradoxalement la situation paraît grave et verrouillée, incitant a priori à l’abattement et à la désespérance. Au slogan ravageur TINA (There Is No Alternative) du thatchérisme triomphant, les transitionneurs opposent un audacieux et malicieux « il n’y a pas de problème, il n’y a que des solutions ». Une dynamique est manifestement à l’œuvre dans ces initiatives locales, ayant conscience de se réapproprier un pouvoir que la mondialisation lui avait ravi.
Entre une action purement individuelle, jugée dérisoire (du type « changer ses ampoules électriques ») et des actions gouvernementales, perçues comme loin des citoyens et polluées par les lobbies, le modèle de transition explore le niveau intermédiaire : ce qui peut être accompli à l’échelle de la communauté.

Le processus passe par quatre phases caractéristiques : visualisation ; planification ; réalisation ; évaluation et célébration. La précipitation n’est pas de mise puisqu’un élément clé de la réussite est l’adhésion et l’implication des citoyens de base et la naissance d’un sentiment communautaire. Le soutien de l’autorité locale est bien sûr un facteur favorable dans la phase de réalisation, mais l’initiative ne peut être pilotée « d’en haut », sous peine de soupçon de récupération politique.

Et en France ?

Partie de Totnes, la transition s’est rapidement répandue dans les pays anglophones. La barrière linguistique a été franchie au Québec pour la francophonie, et d’ailleurs c’est Serge Mongeau, le pape de la simplicité volontaire, qui signe la préface de l’édition française du manuel de transition.

En France 58 groupes sont déjà en transition et 20 en ont le projet.
Mais Luc Semal et Mathilde Szuba[[Luc Semal et Mathilde Szuba : doctorants en socio-anthropologie de l’environnement, au Cetcopra. Ils travaillent sur les stratégies de sobriété collective comme réponse à l’urgence écologique.]], pointent un obstacle culturel spécifiquement français qui freine la multiplication des groupes de transition : leur approche très ouverte, quasiment apolitique, qui refuse un militantisme d’opposition et travaille plutôt par des voies de consensus. Etrange pour nous qui affectionnons les débats théoriques très polarisés comme décroissance/développement durable ! Pourtant nous sommes capables aussi d’organiser des jardins partagés, des AMAP, des SEL, des bourses d’échanges de graines, des monnaies locales…
Un apport original de la transition, pour le mouvement écologiste, est la manière efficace d’articuler catastrophisme et optimisme, sans négliger l’un au nom de l’autre. Articuler l’écologie à la fois comme nécessité (limites non négociables des ressources naturelles) et comme un choix (rompre avec une société industrielle aliénante). La transition pose d’abord les bases de la nécessité (climat, pic pétrolier) et ensuite seulement, à l’intérieur de ce cadre, construit l’émancipation et le souhaitable. C’est un catastrophisme agissant. L’importance centrale accordée à la résilience permet de penser la catastrophe, dans le but de nous y préparer. Façon de faire de nécessité vertu et occasion de bifurquer vers un mode de vie plus soutenable. Cela incarné dans un cadre territorial précis, où vit et évolue une communauté consciente, préparée à cette mutation.

Qu’attends-tu, Citoyen ? Lève-toi et marche !

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