Publié le 27/03/2012
Enquête de Marie Geny, Comité de rédaction
Si la finance moderne est souvent critiquée pour ses abus en tout genre, elle a aussi pu montrer qu’elle savait répondre aux attentes des épargnants de plus en plus sensibles aux questions éthiques. Des produits financiers socialement responsables ont ainsi récemment été créés par des fonds d’investissement et établissements bancaires. Ce n’est bien entendu pas de l’altruisme de leur part, mais bien le reflet des nouvelles préoccupations citoyennes. Ce type d’investissement, pour se généraliser, devra toutefois faire face à de nouvelles problématiques. C’est un des enjeux pour une finance responsable.
Le phénomène Investissement socialement responsable (ISR) n’est pas nouveau, puisqu’au XVIIIème siècle, on trouvait déjà ce concept chez les Quakers, qui interdisaient à leurs membres d’investir dans des sociétés d’armement, d’alcool ou de tabac. Plus récemment, c’est en 1971 que naissait aux Etats-Unis le premier fonds d’investissement refusant de participer au capital des entreprises liées à l’armement. En France, le CCFD et le Crédit Coopératif créaient en 1983 le fond Faim et Développement, qui existe toujours à l’heure actuelle, preuve de la sensibilité des particuliers à ce type de produits. Une partie des revenus de cet OPCVM (organisme de placement collectif en valeurs mobilières) est dédiée à la création d’entreprises dans les pays du Sud et participe ainsi à leur développement économique.
Un essor rapide…
Une dynamique globale en faveur des investissements ISR s’est progressivement installée au cours de la dernière décennie, avec le soutien des Nations-Unies, qui ont adopté en avril 2006 les Principes pour l’Investissement Responsable. L’investissement responsable a par exemple connu une croissance rapide en Europe, les encours ISR du marché français atteignant plus de 68,3 milliards d’euros fin 2010 contre 50 milliards fin 2009. Cette augmentation de 35 % illustre l’attrait des particuliers et des ménages, puisqu’elle s’explique notamment par un infléchissement de l’épargne salariale en faveur de l’ISR.
Les fonds socialement responsables intègrent des critères de risques et de rentabilité (comme tous les fonds), mais également une dimension qualitative, constituée de critères éthiques et moraux dans l’environnement, le social, et la gouvernance :
– ils peuvent exclure des critères négatifs : armement, tabac, alcool, travail des enfants, expérimentations animales, dégradation de l’environnement, exploitation des pays du Sud…
– ils peuvent inclure des critères positifs : activité dédiée à la protection de l’environnement, égalité des chances, recyclage, préservation des ressources naturelles, transparence de l’information, engagement solidaire avec la société, aide à la formation et à l’éducation, règles de bonne gouvernance, démarches de labellisations et de certifications (label BBC, certifications HQE dans le domaine des constructions…)
Pour être éligible à un fonds socialement responsable, une entreprise peut se faire noter par des agences selon un faisceau de critères, communément rassemblés sous l’acronyme ESG (Environnement, Social, Gouvernance). A cet égard, il est probablement une bonne chose d’observer qu’il existe un grand nombre d’agences de notation « éthiques » qui déterminent dans quelle mesure une entreprise satisfait aux critères ESG. Une des critiques faites aux agences de notation financière classiques est justement leur faible nombre et leur situation monopolistique.
… Mais qui doit trouver les ressources de son développement futur
Si cette dynamique en faveur de l’ISR est encourageante, elle demeure marginale au regard des montants des capitaux engagés sur les marchés financiers. Il faudrait également la relativiser si on la comparait à la croissance explosive des produits bio et éthiques ces dernières années. Il semble donc que des éléments empêchent d’aller plus loin dans le domaine de l’ISR. Si l’on part de l’idée que la finance est un domaine particulier où la confiance tient un rôle primordial, peut-être qu’une des questions essentielles concernant l’ISR aujourd’hui serait : doit-on faire confiance aux agences de notation éthiques ?
Or ces agences de notation éthiques doivent faire face à des difficultés importantes pour crédibiliser leur notation. Elles ont par exemple adopté chacune leur propre démarche d’analyse, et elles ne communiquent pas toujours dessus, si bien qu’il est probablement difficile pour les gestionnaires de fonds socialement responsables d’évaluer et de comparer les différents rapports. D’autre part, les critères ESG touchent à l’ensemble des domaines d’activité d’une entreprise, aussi on peut imaginer la difficulté pour ces organisations de rassembler les informations nécessaires, et de pouvoir la traiter de la meilleure manière possible. Il faut encore tenir compte de l’environnement juridique, institutionnel de chaque entité notée, ce qui demande des ressources considérables que n’ont pas forcément pu acquérir certaines de ces agences encore jeunes. La crédibilité de ces agences pourrait elle-même être mise en question, notamment si elles s’attachent essentiellement à considérer la communication de l’entreprise notée plutôt que la réalité des faits. Enfin, le problème des mesures quantitatives permettant d’évaluer les résultats d’une action nécessite des recherches importantes. Par exemple, suffit-il vraiment de calculer des économies en équivalent pétrole pour évaluer l’action d’une entreprise en faveur de la protection de l’environnement ?
La notation socialement responsable semble donc être un métier en devenir, qui doit trouver sa maturité. En l’état, il demeure encore difficile d’apprécier les qualités d’analyses des critères de développement durable revendiqués par ces agences.
Le Conseil Économique et Social Européen conseille ainsi à la Commission européenne et aux États membres de promouvoir le développement de l’ISR de manière à faciliter cette normalisation et la consolidation des systèmes actuels, en promouvant une information transparente, la comparabilité des analyses, une formation technique et l’échange de bonnes pratiques.
Afin de renforcer la crédibilité des agences éthiques, il serait également envisageable de promouvoir en leur sein la réalisation d’enquêtes et de tests sur le terrain, qui seraient complémentaires à la revue documentaire afin de compléter la vérification des conclusions des rapports. Au-delà, les difficultés méthodologiques d’une notation ISR ne peuvent pas tout expliquer. Il ne faut pas oublier qu’un investisseur recherche d’abord la rentabilité et qu’en l’état, les critères ESG ne peuvent donc être qu’un plus, d’une importance relative selon la sensibilité de chacun. C’est pourquoi nous pourrions envisager de renforcer ces critères en leur donnant une vraie valeur marchande. On peut penser de prime abord à tarifer les entreprises ne respectant pas des normes sociétales ou environnementales, mais seuls des mécanismes plus fins et rassembleurs permettront une convergence des objectifs. C’est donc notre capacité à innover et à inventer des solutions qui permettra d’instaurer une véritable finance responsable.