Publié le 27/03/2012
Par Jean-Claude Boutemy, Groupe de Toulouse
Le premier décembre 2011 était l’occasion pour le Forum régional de l’économie sociale et solidaire de Toulouse (FRESS) de faire un premier bilan de l’expérimentation du sol Violette. Cette monnaie complémentaire Toulousaine lancée en mai 2011 a suscité un accueil assez favorable pour élargir en 2012 son emprise territoriale et lui donner un second souffle. Ce bilan des six premiers mois a été présenté par Jean-Paul Pla, conseiller municipal délégué à l’économie sociale et solidaire, Frédéric Bosqué et Andéa Caro, devant une salle comble. Le débat qui a suivi, entre les acteurs concernés, des curieux venus parfois de loin, une presse éclectique, a montré l’intérêt suscité par cette initiative.
Issu de la volonté de produire et consommer localement dans le respect des humains et de la nature, le projet a pris racine depuis 2009, associant plus de 150 personnes à son élaboration. Le sol Violette se donne quatre objectifs :
1 – développer une économie locale durable liée aux besoins réels des habitants-e-s de Toulouse, regroupés en réseau.
2 – faire dialoguer ses parties prenantes (par un comité local d’agrément pour décider démocratiquement des orientations du réseau).
3 – impulser l’usage d’un moyen d’échange éthique, entre des consom’acteurs/trices informé-e-s et formé-e-s à cet usage.
4 – piloter démocratiquement sa circulation (aux bénéfices des habitant-e-s de Toulouse, de ses entreprises et de sa collectivité).
Les solistes, joli nom donné aux adhérents du réseau, sont passés en six mois de 150 à 600, hommes et femmes de diverses catégories socioprofessionnelles (dont 25% sont des étudiants, chômeurs ou en situation de précarité), signe de la volonté affichée d’innovation sociale.
Les prestataires, au nombre de 70, sont des entreprises et associations de l’économie sociale et solidaire, agréées par le CLAS (comité local d’agrément du sol Violette), qui proposent une variété de biens et services : alimentation saine (30 %), transport (15 %), insertion, conseil et formation (10 %), métiers de la communication (9 %), services et fournitures de bureau (8 %), bien-être, sport et soins (7 %), vêtements et accessoires (6 %), loisirs, culture et tourisme (6 %), éducation populaire et vie associative (6 %), financier (3 %).
Les partenaires : la ville de Toulouse, le Crédit Municipal et le Crédit Coopératif, et trois maisons des chômeurs (TO7, ANMDC, Partage Faourette).
La gouvernance du projet est construite sur un mode participatif et collectif de démocratie. L’association CLAS organise les plénières, les Conseils des collèges et les Assemblées générales. Le Conseil des collèges est constitué de 17 co-présidents, représentants de 5 collèges (solistes, prestataires, financeurs, collectivités, fondateurs). Les plénières sont des lieux de réflexion collective travaillant sur les problématiques du sol Violette. Les réunions restent ouvertes aux adhérents comme aux sympathisants. Cette organisation complexe permet d’expérimenter et de mettre en œuvre un pilotage partagé, reposant sur des valeurs fortes et une charte éthique.
Comment ça marche ?
Le postulat de base est que la richesse se crée quand la monnaie circule.
Le soliste adhérent au réseau qui partage ses valeurs, procède d’abord au « nantissement » (conversion d’euros en sols-Violette : 1 euro = 1 sol Violette) auprès des banques partenaires. Ces euros-là, gagés et placés sur des livrets d’épargne solidaire, permettent des prêts spécifiques (d’un montant six fois plus élevé) à l’économie sociale, solidaire et écologique, ou bien à des personnes en situation d’exclusion financière (sous forme de microcrédit). Dès le départ donc, démarche militante et politique : ces euros sont de véritables bulletins de vote au service de l’humain et de la nature, qui sont soustraits au marché bancaire habituel, hautement spéculatif. Pour ces premiers six mois les solistes ont nanti effectivement 13 243 euros, qui s’ajoutent aux 27 000 euros nantis par la ville pour initier le système.
Dans un second temps, le soliste utilise pour ses besoins ses coupons-billets sol Violette dans le réseau des prestataires locaux adhérents à la charte éthique et agréés démocratiquement par le CLAS. Chaque utilisation génère du chiffre d’affaire (PID = produit intérieur doux). Plus la monnaie circule, plus elle est efficace. Dans cette phase expérimentale les billets ont été « traçabilisés » pour vérifier leur vitesse de circulation : le taux de rotation du sol Violette est en moyenne de 3 fois sur 6 mois, soit 6 fois par an (comparé à 2,4 fois par an pour l’euro). Il s’agit d’éviter les stocks (chez les solistes comme chez les prestataires), ce qui n’est pas simple, mais l’élargissement du territoire prévu en 2012 doit faciliter cette adéquation entre offre et demande locale. On appelle « fuite » la conversion inverse de sols Violette en euros. Elle a été de 12 243 sols Violette, soit 30 % de la masse en circulation.
Pour inciter à la fluidité, la monnaie est dite « fondante », c’est-à-dire qu’elle perd 2 % de sa valeur si elle n’est pas utilisée au bout de 3 mois. Chaque transaction de chaque coupon-billet est datée, ce qui complique évidemment les opérations, mais évite les stocks inutiles, et bien sûr la thésaurisation.
Pour faciliter le lancement du sol Violette dans les couches populaires, un bonus promotionnel a accordé 5% de pouvoir d’achat supplémentaire : pour 20 euros nantis, le soliste reçoit 21 sols Violette, prime qui est récupérée en cas de fuite.
De fait 80 % des achats ont été effectués chez 20 % des prestataires, essentiellement dans le secteur « alimentation saine » (Biocoops, restaurants, épiceries…). Après enquête il apparaît que plus de la moitié des solistes ont découvert des magasins et des structures grâce au réseau, et que les prestataires ont identifié de nouveaux clients grâce au sol Violette. De plus 90 % des personnes interrogées, affirment avoir acquis une meilleure compréhension des systèmes financiers, grâce au travail de vulgarisation lors des réunions et des sessions de formation. Pédagogie renforcée par la matérialisation de la monnaie locale en billets : « on n’est pas dans l’utopie, on est dans du concret ».
La mairie de Toulouse a investi 120 000 euros dans cette opération, dont 59 % pour la mise en œuvre du lancement, 19 % pour le nantissement, 12 % pour l’implication des maisons des chômeurs dans un travail d’éducation populaire auprès des populations fragiles et des subventions directes (30 sols/mois) aux familles en difficulté, et 10 % pour la réalisation d’un film (par l’association les Zooms Verts). Le projet du Sol-Violette reçoit également le soutien financier de la caisse des Dépôts et Consignations, ainsi que de la fondation GRDF.
Quelles perspectives ?
La réussite de cette phase expérimentale ciblée permet d’envisager la poursuite et l’extension du projet. Extension territoriale d’abord à la ville entière de Toulouse, puis en 2014 à la communauté urbaine.
Diversification des publics aussi en direction particulièrement des étudiants et des seniors. Construction de nouveaux partenariats culturels (Utopia, cinémas d’art et d’essai, théâtres…), convaincre d’autres prestataires. Les attentes des solistes sont orientées vers les transports (Tisséo), les loisirs, le sport, les services municipaux, les assurances et mutuelles militantes. Une autre banque engagée et solidaire (le Crédit Mutuel) est sollicitée.
Par cette approche originale de la monnaie locale, le citoyen a une occasion (« en or » ?) de se réapproprier une maîtrise partielle mais concrète des finalités et des modalités des échanges économiques qui lui échappent si souvent. Saura-t-il s’en saisir ?
L’avenir le dira.