Un livre de François Chérèque : le travail, entre souffrances et fierté

Publié le 10/01/2012

Par François Leclercq, Groupe de Caen, Comité de rédaction
Sur le livre de François Chérèque : Patricia, Romain, Nabila et les autres, chez Albin Michel.

Loin des grandes dissertations ou des ambitieux discours sur l’emploi et le travail appréhendé en termes génériques, dans une vision d’ensemble qui englobe tout et ne voit personne, le parti pris de ce livre est imprégné d’une estimable modestie : porter un regard discret et honnête sur le mode du travail en France aujourd’hui.


Comme son nom l’indique, le livre trace le portrait de personnes, Patricia, Romain, Nabila et les autres, beaucoup d’autres. Au total une cinquantaine de travailleurs issus de quinze secteurs variés et représentatifs. François Chérèque les a rencontrés, les a écoutés, a observé les lieux et conditions de travail et livre quelques clés qu’il pense utiles pour comprendre ces différents univers, tous en profonde mutation.

Rentable, de plus en rentable

Le maître mot qui retentit dans chaque secteur est l’efficacité, la rentabilité. Tous le connaissent, tous en pâtissent. Le travail en open space sous la surveillance d’un superviseur relève de cette stratégie. Parfois le salarié, fût-il cadre, n’a même plus de bureau, comme cet ingénieur de Thalès auquel on attribue chaque matin une place différente en lui remettant le coffre qui contient ses documents de travail.

« Plus de lieu avec mon nom, plus de téléphone ! J’ai le sentiment de ne plus exister », soupire-t-il.

Et c’est bien de manque de reconnaissance que souffrent le plus grand nombre. Les tâches étant multipliées, rendues anonymes, plus personne ne sait plus qui fait quoi. Ça se fait, c’est tout.

C’est ce que déplore Bob, agent de sécurité amené à faire plus que de la surveillance : « Quand les employés arrivent le matin et trouvent le parking déneigé, qui sait que c’est moi qui l’ai fait ? Personne. »

Où est la fierté ?

C’est un leitmotiv. François Chérèque insiste sur la fierté des travailleurs. Et effectivement tous ou presque veulent croire à leur utilité, à la noblesse de leur labeur.

Pourtant on est parfois perplexe. Ainsi Virginie, boulangère moderne dans une chaîne, est seule à tenir son magasin. Non seulement elle assure la vente, mais elle cuit le pain. En réalité, elle met au four des pains et croissants qui lui sont livrés surgelés. Seulement elle revendique un rôle, social et humain auprès de la clientèle, quelques mots échangés, un sourire, une présence.

On veut bien la croire. Mais Bruno, qui travaille dans un abattoir de Vitré, comment peut-il être fier de ce qu’il fait ? Une tête à couper toutes les cinquante secondes ! L’atmosphère humide et malodorante des locaux… « S’il n’y avait pas l’argent au bout, j’aurais lâché depuis longtemps ! »

Une sidérurgie sans usine

La sidérurgie, François Chérèque connaît : « Dans mon enfance, j’ai parfois eu la chance d’accompagner mon père sur son lieu de travail. »
Mais lorsqu’il pénètre dans l’usine d’Arcelor Mittal à Montataire, il ne reconnaît plus rien. Tout a changé : les lignes sont automatisées, les interventions manuelles limitées, à l’exception des opérations de maintenance.

Et la grande inquiétude est : combien de temps durera cette usine ?

Désabusés, les ouvriers répondent : « c’est monsieur Mittal qui décidera en fonction de ses intérêts, depuis Londres. Il n’est jamais venu ici. »

Le chapitre commençait par l’évocation d’un étrange concept : l’entreprise sans usine. Concept lancé par Serge Tchuruk, PDG d’Alcatel en 2001 : on choisit le maintien en France des centres de recherche, et on délocalise ou on sous-traite à l’étranger tout ce qui est production.

Est-ce vraiment l’avenir ? Déjà, Renault fait fabriquer 75 % de ses pièces détachées ailleurs qu’en France.

Modeste et sans Pompon

Je ne veux pas résumer les chapitres troublants sur l’hôpital, sur l’éducation, sur France Télécom, sur l’usine nucléaire de Nogent-sur-Seine, sur les jeunes précaires, etc.

Je l’ai dit la qualité de ce livre, c’est sa modestie. François Chérèque ne vient pas expliquer la vie aux travailleurs : il les écoute, porte témoignage. Pas de marche à suivre figée dans l’airain ou de pamphlet appelant au grand soir. Une invitation permanente à la solidarité. Et en lisant ces lignes on mesure combien elle est indispensable.

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