La nécessaire transition écologique de l’agriculture : tous responsables

Publié le 10/01/2012

Par François Papy, Groupe Hauts-de-Seine-sud, atelier fédéral politique

L’agriculture porte douloureusement le poids d’une part importante de la transition écologique dont tout citoyen doit se sentir responsable. Voilà l’idée que je retiens du voyage réalisé en avril dernier en Bretagne, organisé par l’atelier fédéral politique grâce à l’appui des groupes de Saint-Brieuc et de Rennes. Un compte rendu détaillé des visites a été fait dans le numéro 340 de Citoyens ; le texte suivant renvoie aux pages de ce numéro.


Comme l’ont fait beaucoup des agriculteurs visités, il faut revenir en arrière pour comprendre la situation actuelle (pp. 3, 18).

Une nécessaire transition écologique…

Au sortir de la guerre, la majorité des exploitations bretonnes, orientées sur des productions laitières, produisent du beurre et, à partir du petit lait, engraissent des porcs. Puis, pour accroître les productivités de la terre et du travail, les agriculteurs apportent des quantités importantes d’engrais azotés sur les prairies et en diminuent les surfaces au profit des maïs hybrides ; ces derniers, ensilés, servent à nourrir les bêtes. La culture du maïs fourrage, consommatrice d’engrais, de pesticides et d’eau, est très largement soutenue, puisque la réforme de la politique agricole commune (Pac) lui octroie des primes mais pas à la prairie. Comme la production de beurre n’est plus rentable, le petit lait disparaît et le régime alimentaire des porcs change du tout au tout (p. 18). Jadis  » pendu au pis de la vache « , le porc devient un animal élevé  » hors-sol « , nourri d’un mélange de céréales et de tourteaux de soja importés. Que ce soit sous forme d’engrais ou d’aliments pour animaux (photo 1) ce modèle de production breton ne cesse de concentrer sur le territoire des quantités croissantes d’azote venant de l’extérieur, et présente un bilan d’azote excédentaire[[1 – Pour simplifier je ne parle pas d’autres éléments, dont le phosphore qu’on a peu évoqué.]].

On en sait les conséquences. Sur des terrains où l’eau de pluie ruisselle plus qu’elle ne pénètre, les pollutions se révèlent vite. Les pêcheurs de saumon ont été les premiers à réagir, dès 1969, en créant une association de défense de l’environnement. « Quand le poisson meurt, l’homme est menacé » disaient-ils. Transformée, en 1978, en Eaux et Rivières de Bretagne, l’association étend son champ d’action et prend de l’ampleur, n’hésitant pas à intenter un procès à l’État (qui aboutit, en 2007, à une amende de plus de 28 millions d’euros infligée à la France par la Cour de justice européenne) et un autre à Monsanto (p. 20). La pollution des rivières s’atténue quelque peu, mais de façon très insuffisante et la pollution des littoraux se manifeste par des dépôts d’algues vertes dans les baies d’eau peu profonde, sur fond sableux, avec peu de courant de marée, comme celle de Saint-Brieuc[[2 – Le Monde du 28 juillet 2011, rubrique Planète, p 7.]].

Bien sûr ces constats sont source de fortes tensions que nous avons senties lors de la table ronde à travers la douleur exprimée par plusieurs agriculteurs dans la salle (p. 20) ; avec des mots forts, ils ont manifesté leur rage d’être injustement accusés[[3 – Voir aussi Ouest-France Côtes d’Armor du 23 août 2011.]]. Cependant, auprès des agriculteurs et des organismes visités, nous avons rencontré une réelle conscience des problèmes et la certitude qu’il faut aller vers des formes d’agricultures plus écologiques. C’est vrai, sans surprise, des agriculteurs qui ont radicalement modifié leur système de production comme le Gaec des Trois Sources de Suzanne Dufour et Joseph Cabaret (p. 7) ou encore Claire et Yann Yobé (p. 9), mais aussi des légumiers de la baie du Mont Saint-Michel qui pratiquent des rotations légumes / céréales pour lutter contre les nématodes, avec le moindre recours possible aux pesticides (p. 13). C’est vrai aussi du Gaec de Carquitte (Bernard Le Corguillé et Hervé Guinard – p. 5) dont les agriculteurs pensent être dans les normes définies par l’État, avec 135 ha de culture pour épandre le lisier produit par les 140 truies et leurs suites, et de la Coperl (p. 11) à travers sa section sur l’environnement. Tous ont conscience des problèmes, loin du déni de certains dénoncé dans l’éditorial du Monde du 28 juillet dernier. Mais que peut-on dire de ces pratiques ?

… De la responsabilité des agriculteurs…

En simplifiant, nous avons vu deux grandes catégories d’innovations : celles des exploitations qui ont radicalement modifié leur système pour résoudre, à leur échelle, la question du bilan excédentaire d’azote et celles qui cherchent à corriger les conséquences de la concentration locale d’intrants azotés.

Aux premières exploitations (Cabaret et Yobé) ajoutons celle de Pascal Garçon qui a d’emblée adopté un système selon les mêmes principes (p. 16). Toutes trois ont comme points communs de ne pas chercher à atteindre des productions très élevées (Yobé est loin de son quota laitier), mais de rechercher sur leur exploitation une plus grande autonomie alimentaire des animaux, de réduire leurs charges d’investissement et d’intrants et de créer plus d’emploi (Yobé). Ils remplacent les intrants par une intensification de l’usage des processus écologiques : les prairies temporaires, incluses dans la rotation des cultures, augmentent le taux d’humus du sol, permettent de fixer de l’azote grâce aux légumineuses, facilitent la maîtrise des mauvaises herbes. La culture de légumineuses annuelles (féverole chez Yobé, pois chez Garçon) accroît encore la fixation d’azote dans les sols. En plus des légumineuses, la diversité des espèces cultivées (blé, maïs, triticale, colza, betterave fourragère) en rotation avec les prairies rompt les cycles des ennemis des espèces cultivées. Ainsi les trois exploitations sont autonomes également vis-à-vis des banques et, n’ayant pratiquement plus de dettes, résistent mieux aux aléas climatiques ou économiques et ont un revenu confortable sans travailler plus que beaucoup d’autres agriculteurs. Enfin ils ont en plus un bilan écologique très satisfaisant, ce que Cabaret a explicitement recherché lorsqu’il a délibérément reconverti l’exploitation de son père et qu’il a installé sur son exploitation une petite station de lagunage. D’une façon ou d’une autre chacune des trois recherche le contact le plus direct possible avec les consommateurs et, ainsi, valorise mieux ses produits, comme les collègues de Garçon l’ont montré dans le GIE commercial Brin d’herbe (p. 17).

Des différences existent cependant entre Yobé et Cabaret. Le premier, installé par principe en agriculture biologique, vend son lait et ses veaux respectivement 30 et 50 % plus cher qu’en production conventionnelle, à des consommateurs qui, ainsi, payent la qualité écologique de son mode de production. Ces prix avantageux compensent la moindre production. Cabaret préfère garder la liberté d’user, avec mesure, d’engrais et de pesticides selon un cahier des charges que le Centre d’étude pour le développement d’une agriculture plus autonome (Cedapa) est arrivé à faire accepter, de haute lutte, par la commission de Bruxelles comme une mesure agri-environnementale (MAE) d’agriculture durable[[4 – Pochon A., 2008. Agronomes et paysans, un dialogue fructueux, éditions Quae, 72 p.]]. Il signe des contrats de cinq ans et s’engage à cultiver 75 % au moins de la surface fourragère principale en herbe. La fertilisation organique doit apporter moins de 140 kg/ha d’azote organique en moyenne sur l’exploitation. Aucun apport d’azote minéral n’est autorisé sur prairies et cultures de printemps (maïs, betterave), mais 100 kg/ha sont permis sur les cultures d’hiver (blé, colza) pour régulariser d’une année sur l’autre les rendements, ce que n’arrive pas à bien faire Yobé en culture biologique. Aucune terre ne doit rester nue en hiver. L’emploi des pesticides est très limité. A travers la MAE, c’est le contribuable plutôt que le consommateur qui paye la qualité écologique du mode de production.

Un deuxième groupe d’agriculteurs tentent de réduire les conséquences des pratiques actuelles. La visite à la Coperl (p. 11), au cours de laquelle ont été évoquées les actions du « service de l’environnement », nous a permis d’entrevoir les recherches de solutions aux problèmes environnementaux des exploitations qui, comme le Gaec Carguitte (pp. 5 et 6), ont un bilan d’azote excédentaire[[5 – Le lisier des 140 truies est épandu sur 135 ha, ce qui correspondrait aux normes présentées p. 18 si l’azote apporté était exporté par les récoltes, ce qui n’est pas le cas puisqu’il est en grande partie consommé par l’élevage laitier qui produit lui-même des effluents. ]]. Mais ni le paillage des porcheries qui évite les odeurs et produit une meilleure matière organique pour amender les champs, ni la méthanisation qui récupère de l’énergie et réduit les émissions de gaz à effet de serre ne réduisent les excédents d’azote. Encore 75 000 t de nitrates s’écoulent chaque année des bassins versants bretons vers la mer qui ne pourront disparaître sans une réduction de 15 % de la taille du cheptel[[6 – Allix G. Un fléau possible à combattre sans sacrifier l’agriculture. Le Monde 28 juillet 2011, p. 7 ]]. C’est toute la filière de l’élevage hors-sol qui doit évoluer vers la recherche d’une plus-value par la qualité des produits et la gestion territoriale des effluents en organisant les flux au sein des bassins de production et bassins versants[[7- Sur ce sujet l’Inra a initié un groupement d’intérêt scientifique (Gis) appelé « porcherie verte » regroupant 16 partenaires. ]] (p. 19).

Dans tous les cas les changements à concevoir sont radicaux. Encore faut-il que les politiques qui relèvent de chacun de nous, citoyens électeurs, les impulsent, dans leurs dimensions règlementaires, économiques et de redistribution.

… Et de chacun de nous

Quand arriverons-nous à admettre « que l’agriculture n’est définitivement pas un secteur économique comme les autres »[[8 – Griffon M., 2010. Pour des agricultures écologiquement intensives, éditions de l’Aube, 144 p.]]? En effet, de façon strictement liée à sa production de biens marchands, l’agriculture peut aussi rendre des services écologiques comme la captation et la filtration de l’eau de pluie vers les nappes, la préservation des sols de l’érosion, la séquestration du carbone et, par suite, la réduction de l’excédent d’émission de gaz à effet de serre et l’augmentation du taux d’humus dans les sols, la préservation de la biodiversité… Or les politiques agricoles, qui ne considèrent que la fonction productive sans rémunérer les services écologiques, exacerbent la première, non seulement au détriment des seconds, mais aussi en favorisant la dégradation des ressources (eau, sol, air, biodiversité). Les politiques actuelles confient au marché mondial le soin de réguler les volumes de production ; elles entraînent une compétition entre pays (ou groupe de pays) sur la base d’avantages compétitifs acquis, le plus souvent au détriment des services écologiques que devraient rendre leurs agricultures et elles font des agriculteurs le maillon faible d’un système agro-alimentaire entre l’agrofourniture et la transformation/distribution. Si elles puisent leur justification dans la forte croissance démographique de la seconde moitié du XXe siècle qu’elles ont permise, on constate, de fait, (i) qu’elles favorisent la dégradation du capital écologique de l’humanité, (ii) qu’elles n’assurent pas de revenu correct à l’ensemble des agriculteurs des pays développées qui reçoivent des aides directes, fort mal réparties et perçues comme déshonorantes, (iii) et, plus grave encore, qu’elles condamnent les agricultures familiales des pays du Sud, soumises à la concurrence libre et faussée d’agricultures qui ont pu, au cours de l’histoire, se moderniser en se protégeant de la concurrence. Ces politiques ne pourront nourrir les 9 milliards d’humains attendus pour 2050 (soirée du 27, p. 20)[[9 – Voir articles d’Aurélie Trouvé et de Jean-Christophe Kroll dans Politis du 14 au 20 juillet 2011.]].

Et si l’Europe reconnaissait la réalité des services écologiques en rémunérant les agriculteurs par la généralisation des très timides dispositifs du genre des MAE ; si les collectivités territoriales avaient la possibilité de les adapter aux contextes locaux en associant contrats individuels et rémunérations d’actions collectives concertées (p. 19 et soirée du 26 p. 20) ; si, pour ce faire, on incitait les agriculteurs à monter des coopératives de gestion territoriale de services écologiques. Si, à l’échelon mondial, se mettait en place une coordination entre pays excédentaires et pays déficitaires, si on reconnaissait à tous les pays le droit de définir leur politique agricole selon leurs besoins sans porter préjudice aux voisins, si on répartissait les efforts de recherche sur toute la planète… Et si, enfin, les citoyens des pays nantis comprenaient qu’à travers leur alimentation ils sont responsables des différentes agricultures du monde.

Quand donc une majorité de citoyens fera-t-elle pression pour l’abandon de la doctrine libérale qui imprègne ce qui reste de politiques agricoles ?

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