La souffrance au travail

Publié le 10/01/2012

Par La Vie Nouvelle de Lyon/Saint-Etienne

Travaillant à des fiches pour le Pacte civique, le groupe La Vie Nouvelle de Lyon/Saint-Etienne a rédigé un texte analysant la souffrance au travail, son évolution et les solutions envisageables.
Nous en publions un long extrait concernant la situation actuelle. L’ensemble de ce texte est disponible sur le site du Pacte civique ou ci-dessous (fichier PDF).


La fin des années 1970 voit le début d’une mutation importante dans l’organisation du travail.

Pourquoi ?

– Les placements des produits financiers offrent un meilleur rendement que les placements industriels et commerciaux.
– La concurrence, due en particulier à l’ouverture des marchés, conduit à l’abandon de certains secteurs d’activité (l’industrie informatique, le textile, la sidérurgie, les mines, etc.) ainsi qu’à la nécessité d’augmenter encore la productivité.
– Les femmes et les jeunes de la génération du baby-boom entrent massivement sur le marché du travail, la population augmente d’où une pression croissante.
– Les évolutions et même des révolutions technologiques et commerciales entraînent la transformation voire la disparition de certains métiers (les dactylos, les comptables, le petit commerce, etc.).
– Des syndicats devenus puissants et parfois déconnectés de la réalité économique, prennent le risque de devenir des lobbys au bénéfice de certaines castes professionnelles.
– Le consommateur, du fait de l’abondance de l’offre, accroît son pouvoir sur le producteur en tant que client.

Les grippages les plus visibles sont l’apparition du chômage et une tension sur les rémunérations, grippages qui ne cessent d’augmenter et bien sûr le  » mal-être  » des travailleurs.

Bouleversement du rapport au travail

Toutes ces mutations et évolutions ont conduit les financiers détenteurs du pouvoir en entreprise à prendre des mesures avec comme seul objectif l’amélioration de la productivité, c’est-à-dire du rendement du capital.

Les objectifs de rentabilité financière déjà en vigueur dans des pays comme le Japon ou les Etats-Unis ont révolutionné les conditions de travail par :
– l’externalisation des tâches et la contractualisation c’est-à-dire la sous-traitance avec des contrats à court terme.
– L’individualisation des tâches et l’évaluation de la performance individuelle sur des critères non discutés.
– La désignation des « managers » à la place des chefs hiérarchiques. Managers choisis non plus en fonction de critères liés à l’ancienneté et à la technicité mais à leur capacité à effectuer les changements d’organisation permettant de respecter les tableaux de bord financiers.
– Le management par objectifs en lieu et place du management par les moyens, corollaire de la mesure précédente.
– La transformation souvent brutale de nombreux métiers et l’affectation tout aussi autoritaire de ceux qui les exerçaient dans des activités professionnelles auxquelles ils n’étaient pas préparés (de technicien, on devient par exemple commercial).
– La mise en place d’une organisation dite « de la qualité » où la qualité ne provient plus du travail bien fait (les règles de l’art) mais du respect de critères financiers et commerciaux.
Parallèlement :
– la classe ouvrière, qui avait malgré tout su assurer sa cohérence, se réduit au bénéfice des classes moyennes.
– Le pouvoir des partenaires sociaux s’affaiblit à la suite des mesures patronales perverses et/ou coercitives mais aussi du fait de la réduction de la classe ouvrière,
– le comportement de petits ou grands chefs plus ou moins schizophrènes peut, vis-à-vis de leurs subordonnés, atteindre le sadisme. Ce comportement devient souvent non seulement permis mais suggéré et encouragé. Dans un contexte économique où la morale ne compte plus, la fin justifie les moyens, même si on pouvait croire ces pratiques d’un autre âge.

Toutes ces mesures et évolutions se sont produites dans un contexte de sous-emploi et de stagnation voire de baisse du pouvoir d’achat sauf pour ceux qui en sont les promoteurs.

Les conséquences : la souffrance des travailleurs

Tous ces bouleversements ont évidemment des conséquences : les travailleurs souffrent et cette souffrance, ils la portent souvent seuls.
Ils souffrent de ne pas avoir à donner leur avis sur des modifications qui les affectent directement.

Ils souffrent de constater que l’activité professionnelle dans laquelle ils s’étaient investis et dont la nécessité leur paraissait indiscutable, est remise en cause.

Ils souffrent de devoir accomplir des tâches pour lesquelles ils ne se sentent pas compétents ou au contraire qu’ils jugent dévalorisantes.
Ils souffrent de se voir imposer des supérieurs hiérarchiques qu’ils jugent inexpérimentés et arrogants.

Ils souffrent de se voir appliquer des critères d’appréciation personnelle qu’ils ne comprennent pas ou qu’ils réfutent.

Ils souffrent de voir leur rémunération stagner alors que celles de leurs dirigeants contestés s’envolent.

Ils souffrent de se voir imposer des objectifs (qu’ils ont parfois été obligés de définir eux-même) sans pouvoir négocier (et d’ailleurs avec qui ?) les moyens pour les atteindre.

Ils souffrent de devoir produire selon des critères de qualité qui ne correspondent pas à la qualité du produit mais à celle de l’objectif défini.
Ils souffrent d’isolement au sein de leur communauté de travail par suite de l’individualisation des objectifs, des critères personnels d’appréciation, du chantage au licenciement.

Ils souffrent de rythmes de travail accélérés qui ne laissent pas de place aux échanges, aux confrontations de savoir-faire, à un minimum de convivialité.

Ils souffrent de la réduction ou de la suppression de leur autonomie du fait du respect obligatoire et contrôlé des règles de « qualité ».
Ils souffrent de ne pas pouvoir s’exprimer sur leur mal-être et ses causes : dans un contexte de sous-emploi, surtout ne pas apparaître comme faible ou mal adapté !

Ils souffrent de la dévalorisation de leur statut, le client étant devenu roi. (Mais le client est-il vraiment roi ?)

Ils souffrent de ne plus se sentir membres actifs de la société : les critères tels que la reconnaissance professionnelle et l’appartenance vécue à un collectif de travail base de l’intégration sociale, étant en régression.

Ce qui est nouveau c’est que les cadres sont atteints alors qu’ils se voyaient plutôt arbitres des conflits patrons/ouvriers.

… Mais tous étaient frappés

Ce tableau très noir du monde du travail, ne s’applique pas à tous les secteurs et à tous les niveaux hiérarchiques.

Si l’on met à part la situation dramatique des agriculteurs dont la baisse des revenus ne permet plus de survivre, ce sont d’abord les travailleurs des secteurs fortement concurrentiels qui sont touchés (grande distribution, entreprises informatiques et de télécommunications, l’automobile, les secteurs à faible valeur ajoutée et en particulier toutes les sociétés de service, etc.).

Les secteurs riches et souvent monopolistiques, bien qu’affectés eux aussi par les réformes de management et d’organisation, souffrent évidemment moins (pétrole, production d’énergie, banques, aéronautique, etc.) parce que mieux traités et parfois plus intelligemment.

Les métiers (PME, artisanat) au sein desquels s’exerce la créativité et où existe la communauté de travail par nécessité ou par choix managérial, n’entraînent pas non plus pour les travailleurs les mêmes contraintes existentielles. La rémunération du travail, surtout dans les secteurs concurrentiels, devient alors le motif principal de mécontentement.

Le secteur public, touché lui aussi par des réformes de grande ampleur, semblait moins souffrir, du moins là où le personnel est protégé par son statut.

Mais les restrictions budgétaires, la privatisation dogmatique – ou la menace de privatisation – de pans entiers du service public, font naître aussi depuis peu la souffrance dans ce secteur, souffrance amplifiée par l’arrivée de « petits chefs-nouveaux managers ».

Tous les services publics souffrent de la pression des réductions d’effectifs et réductions de budget, en vue d’une « rentabilité » du service public ou d’intérêt général qui génère désordres et souffrances.
Selon une enquête de l’Institut de Veille Sanitaire, l’administration publique, en particulier ses professions intermédiaires, compte aujourd’hui parmi les secteurs les plus exposés.

Dans cette même enquête on constate que les employés administratifs et commerciaux des entreprises ont une prévalence au mal-être nettement supérieure à la moyenne.

De manière générale, les femmes sont plus affectées que les hommes, parce que souvent dans des situations plus précaires.
Bien que ne possédant pas d’études exhaustives sur le sujet, il apparaît par sondage que les jeunes (moins de 40 ans du moins ceux qui travaillent ; pour les autres c’est un autre problème !) souffrent moins que leurs aînés.

N’ayant pas vécu d’autre contexte professionnel, ils ne connaissent pas la remise en cause due au changement.

Il semble aussi que la valeur prégnante du travail n’ait pas du tout pour eux, la même acuité.

On peut cependant craindre que les conditions de travail continuant à se détériorer, ils subissent eux aussi à terme, les mêmes effets d’un changement basé uniquement sur l’accroissement du profit.

Travailler sans souffrir – Fiche Pacte civique par LVN Lyon/St-Etienne – 2011

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