L’habitat groupé

Publié le 01/04/2010

Par Yann et Fanny Cassin, de Rennes, Enfants de Vie-nouvelliens

J’ai passé mon enfance dans un habitat groupé dans l’Essonne, au sud de Paris. Dans les années 80, avec 5 autres familles, mes parents ont réhabilité une ancienne clinique désaffectée. En plus des appartements privatifs, ensemble ils ont créé des locaux communs (salle de jeux, salle commune avec cheminée et bibliothèque, atelier de bricolage, labo photo, chambres d’amis, jardin…). Ce lieu fonctionne encore et j’en garde un très bon souvenir.
Lorsque j’ai raconté cela à un ami architecte qui recherchait un logement, il nous a proposé de créer ensemble un habitat groupé. Fanny s’est vite approprié le projet et c’est comme ça que nous avons commencé. C’était en juin 2002 !


Nous avons commencé à imaginer ce que nous souhaitions : un bâtiment qui réunit une dizaine de foyers et qui comprend des logements privés et des locaux communs (de 10 à 15% de la surface totale). Concernant la taille des appartements, il est possible de réduire un peu la surface des logements personnels puisque nous aurons accès à des locaux communs. Les chambres des enfants peuvent par exemple se limiter à 9 ou 10 m2 puisqu’ils disposent aussi d’une salle de jeux. Il en va de même pour le reste du logement.

Définition du projet et intérêts de celui-ci

Conscients de l’importance des problèmes environnementaux, nous allons construire (évidemment) un habitat écologique et plus précisément bioclimatique, c’est-à-dire une habitation conçue de façon à tirer un profit principalement énergétique de son environnement. C’est aussi pour cette raison que nous souhaitons habiter un appartement au sein d’un immeuble avec jardin au lieu d’investir dans des maisons individuelles. En effet, « à matériau égal », une maison individuelle est beaucoup plus polluante qu’un appartement (la maison individuelle entraîne des déperditions énergétiques, contribue à l’étalement urbain, provoque l’imperméabilisation des sols, entraîne souvent l’utilisation de la voiture pour tout déplacement, induit la multiplication de l’achat de matériel d’entretien pour des utilisations occasionnelles…).

Par la suite nous avons ajouté d’autres dimensions. Aujourd’hui notre projet comprend le brassage social et générationnel de ses habitants.

Intérêts pour les participants

A mon sens, l’intérêt principal d’un tel logement, c’est un grand confort de vie. J’entends par là, la multitude des échanges humains, les toutes petites solidarités (coups de mains, dépannages, services) entre voisins, la convivialité générale qui comprend des temps faibles et des temps forts (fêtes, travaux collectifs, animations). Pour nous, c’est le plus important.

A niveau d’exigence écologique égal (construction de type bioclimatique), ces projets coûtent un peu moins cher que ce qui est habituellement proposé sur le marché de l’immobilier. En revanche ça prend du temps. Ce n’est pas du temps perdu ou désagréable, c’est simplement être acteur de sa vie d’habitant.

Il faut se rendre compte qu’avoir accès à des espaces communs autogérés est une chance incroyable : imaginez le nombre d’activités, de rencontres, de possibilités que cela offre. Il devient facile et peu onéreux d’organiser un anniversaire, une soirée jeux, un atelier cuisine, une exposition, des conférences, un concert, un repas d’immeuble, une pièce de théâtre ou un bal, que sais-je ?
La participation des habitants (décision, orientation, gestion, actions à mener) à leur devenir commun est une expérience régulière dans ce type d’habitat.

D’une part, un tel projet permet de porter haut nos opinions dans la phase projet/construction. D’autre part durant la phase habitation ou « vitesse de croisière », cela permet de les mettre en pratique de la façon la plus concrète qui soit (quitte à en éprouver les limites).
Le « logement » représente une part important du budget des foyers, de plus il agit de façon importante dans notre quotidien. Il nous paraît impensable qu’avec notre argent, nous financions des entreprises qui profitent et alimentent un système économique que l’on critique vivement.

Nous préférons investir de telles sommes et aussi notre temps dans un habitat humaniste, réellement écologique (et pas un vert de façade), qui représente une alternative à un modèle économique (et social) qui, au-delà même de la crise économique, montre ses limites.

Côté statut juridique, nous souhaitons nous tourner vers une coopérative d’habitants dont les caractéristiques correspondent à nos valeurs. Les coopérateurs ne sont pas propriétaires du logement qu’ils occupent mais de parts sociales de la coopérative. Cela permet de lutter contre la spéculation immobilière car ce sont des parts de la coopérative qui sont vendues (et non des parts d’un bien immobilier). Pour la prise de décision, il instaure le régime une personne = une voix (et non un euro = une voix) et il permet à des personnes de différents niveaux de ressources d’accéder à un logement au sein du même immeuble. Il est important de noter que ce statut juridique n’a plus cours en France pour le moment. Mais, d’une part il fait le bonheur de nos voisins européens et d’autre part il pourrait être prochainement réadopté par la France.

Les difficultés

La première difficulté est interne au groupe.
Il s’agit de la « suffisamment bonne entente » entre les participants du projet, c’est-à-dire entre les futurs habitants. Les désaccords doivent pouvoir s’exprimer sereinement, des conflits peuvent survenir mais, plus qu’ailleurs, il convient d’être vigilant à ce que les différends ne gâchent pas la vie de la maisonnée.

On peut éviter certains écueils en refusant un nombre de participants trop restreint (un projet limité à 3, 4 ou 5 foyers seulement serait plus risqué). De même, construire ce projet entre amis peut se révéler compliqué. Mais l’utilisation des outils de la communication non violente aide beaucoup.

A notre avis c’est l’un des enjeux majeurs du projet. Cela dit, personne n’est obligé de s’entendre parfaitement avec tout le monde ni de passer plus de temps qu’il ne le désire au sein du groupe. Et l’intimité de chacun est garantie dans son appartement personnel.

Les autres difficultés que nous avons relevées sont extérieures au groupe.

Ainsi l’accès au foncier reste très problématique. Comparativement aux années 70 ou 80, il est financièrement beaucoup plus compliqué de monter un tel projet. D’une part l’immobilier coûte plus cher aujourd’hui qu’hier mais d’autre part, cela génère des sommes telles que les promoteurs ont déjà obtenu la quasi totalité des opportunités foncières du type terrains constructibles ou bâtiments désaffectés. Pour accéder à un terrain constructible suffisamment grand pour le projet (1 000 à 1 500 m2 habitables) on est souvent contraint de s’adresser aux mairies et autres collectivité territoriales. Si certaines hésitent encore devant l’incertitude et la complexité de telles opérations, elles ont cependant compris l’intérêt de ces projets. Les élus des municipalités les plus engagées commencent à soutenir de telles actions. Notre projet est situé à Rennes et les élus nous affirment qu’ils le soutiennent. Nous allons voir ce que la Ville est en mesure de proposer…

Une fois les élus convaincus, nous constatons sur le terrain que les services municipaux – et particulièrement les services en charge de l’urbanisme – peuvent bloquer des projets d’habitat groupé. En effet, pour eux il est bien plus aisé de travailler avec des promoteurs qu’avec les futurs habitants. D’une part il y a une culture commune et notamment un vocabulaire à apprendre, mais en plus il y a la possible contestation des choix urbanistiques de la part de futurs habitants (et électeurs). Alors qu’avec les promoteurs les intérêts sont d’un autre ordre. C’est le « prix à payer », mais aussi à mon sens tout l’intérêt de la démocratie participative. La participation active des habitants au renouvellement urbain implique un peu moins de pouvoir aux élus, au secteur marchand et aux services municipaux et un peu plus aux habitants qui souhaitent s’investir, ce qui est bien légitime après tout.

Les statuts juridiques à disposition des porteurs de projet sont un frein à leur réalisation. Ils sont très largement prévus pour les particuliers ou le secteur marchand (voire spéculatif). Aujourd’hui par exemple si vous êtes un particulier qui achète un terrain pour faire construire une maison, vous êtes imposé à la TVA à un taux réduit mais si vous êtes un groupe de plusieurs particuliers qui souhaitent faire de même, vous payez la TVA à taux plein comme un promoteur. De même, et comme abordé plus haut, le statut juridique de la coopérative d’habitants n’a plus cours en France (depuis les lois Chalandon de 1971). Or ce statut sert l’intérêt collectif des municipalités ou de toute autre collectivité territoriale. On le constate chez nos voisins européens, il permet de lutter contre la spéculation immobilière et rend le logement privé accessible à des foyers peu fortunés. La municipalité de Fribourg, en Allemagne, qui a été à l’initiative de la construction de nombreux habitats groupés, l’a bien compris.

Actuellement l’association Habicoop défend l’adoption de ce statut juridique auprès des instances décisionnaires nationales (ministère du logement et députés), et nous sommes de plus en plus nombreux à souhaiter que ce statut revoie le jour prochainement en France.
Les promoteurs tentent, de leur côté, de récupérer cet élan et font pression sur les pouvoirs publics pour résister. Ils craignent de perdre des « parts de marché » et repeignent leurs façades en vert vif avec à la clé des plans de communication redoutables.

Devant tant de complexité, des associations d’aide à la réalisation de projet se sont créées. Elles centralisent les initiatives, mettent en contact les personnes intéressées et peuvent également venir en appui technique d’un groupe-projet. Elles sont également capables de venir en aide aux collectivités territoriales qui souhaitent implanter des habitats groupés sur leurs territoires.

Bien qu’ils représentent encore peu de réalisations en France, ces projets se multiplient. A l’étranger (Danemark, Allemagne, Belgique…) ils représentent une part non négligeable de l’habitat (8 % du parc immobilier de la Suisse et 15 % du parc locatif en Norvège).

Même s’il y a encore peu de réalisations récentes, en France également les projets d’habitat groupé se multiplient. C’est sans doute une réponse aux problèmes rencontrés par (une partie) des Français (lien social mis à mal, montée et prise de conscience de la problématique environnementale, recherche de sens dans un projet de société, méfaits de la spéculation financière et immobilière…).

Les groupes-projets se multiplient, les nouvelles réalisations commencent à sortir de terre, les associations d’appui à la réalisation se structurent et les élus sont de plus en plus sensibles à ces réponses, bref, le mouvement en faveur de l’habitat groupé français est en train de renaître avec force et vitalité.

Si vous souhaitez en savoir plus
• Parasol, à Rennes : hg-rennes.org
• Le réseau inter-régional : www.habitatgoupe.org
• Hesper’21, à Paris : www.hesper21.org
• L’Eco-habitat groupé : www.ecohabitatgoupe.fr
Et beaucoup d’autres partout en France.

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