La démocratie en Europe

Publié le 18/05/2009

Pour finir, les organisateurs avaient convié Renaud Dehousse pour analyser ce qu’était la démocratie en Europe, et plus spécialement dans la perspective des élections européennes. Professeur à Sciences-Po, il s’est attaché à aborder cette question non d’un point de vue théorique, mais d’une façon concrète, en rapportant comment on avait vécu la démocratie au début de l’histoire européenne et en exposant les péripéties actuelles.

Propos rapportés par François Leclercq, Comité de rédaction

Puisant dans une connaissance précise des structures européennes et de l’histoire politique des dernières décennies, Renaud Dehousse a su dégager pour nous quelques-uns des principaux traits de cette démocratie, certains évidents auxquels on ne songe pas assez, d’autres moins connus.


Mais, nous avoue-t-il pour commencer, il voudrait « poser au moins autant de questions qu’apporter des réponses ». C’est que nous sommes au milieu d’un chantier et que les écueils émergent en cours de route sans qu’on en ait soupçonné la présence.

Ainsi les pères de l’Europe ne se sont jamais interrogés sur l’existence de la démocratie au sein de l’organisation qu’ils mettaient en place. Il était si évident que, puisque tous les pays fondateurs étaient démocratiques, la construction européenne qu’ils constituaient l’était également. « Ceux qui ont lancé le mouvement avait tous le sentiment diffus que ce qu’ils faisaient était appuyé par l’opinion publique. Et effectivement les sondages confirmaient cette conviction. »

Cependant, ils ont senti, dès la fin des années 60, qu’il fallait trouver des points qui permettaient de prendre en compte les attentes populaires, par exemple en construisant l’Europe sociale, en développant des mesures pour la protection de l’environnement, du consommateur.

Une élection unique dans la vie politique mondiale

Enfin, on a pensé qu’il fallait donner un plus grand poids aux décisions européennes en procédant à l’élection directe de la représentation européenne, car dans les premiers temps de l’histoire de l’Europe, les représentants étaient issus des diverses représentations nationales.

Belle idée qui a débouché sur un paradoxe, dénoncé à l’origine par Michel Debré : le pouvoir de ce parlement serait un leurre car élire un parlement pour ne pas lui donner de pouvoir, ça n’a pas de sens.

« On a assisté à une montée en puissance du pouvoir du parlement, qui est passé en vingt ans d’un statut d’assemblée consultative au statut d’assemblée législative qui décide sur un pied d’égalité avec les représentants des États membres». « Le Parlement peut s’opposer à l’adoption d’un texte législatif. »
Renaud Dehousse a souligné l’importance de cette élection : aucune autre structure internationale ne possède un parlement démocratiquement élu, doté d’un pouvoir décisionnel.

Mais une élection fondamentalement faussée

Or, face à ces élections, on constate plutôt indifférence et déceptions.

L’élection devrait conduire à un débat sur l’Europe. Or on constate dans les faits que ces élections ressemblent plutôt à une sorte de sondage, « c’est un sondage délibératif à l’échelle nationale ».

« Dans la plupart des cas, les sujets qu’on aborde lors de ces élections ont beaucoup plus à voir avec les politiques nationales qu’avec la politique européenne. Ce qui d’ailleurs conduit à des résultats qui ne sont pas toujours très heureux pour les gouvernements en place. Les élections européennes sont
traditionnellement catastrophiques pour les gouvernements en place : lors des dernières élections de 2004, dans 19 États sur 25 la majorité au pouvoir a été battue parce que c’est une formidable occasion d’exprimer sa mauvaise humeur. Et on le fait d’autant plus volontiers qu’on a l’impression que c’est gratuit puisque les gouvernements désavoués restent en place. »
C’est pour ça que vous avez des partis qui ne sont pratiquement candidats qu’aux élections européennes, Philippe de Villiers vit là-dessus ! ou les partis d’extrême gauche.
Autre constatation, certains députés européens investis et compétents ont du mal à se faire réélire parce que les états-majors des partis trient les candidats qu’ils présentent en fonction de critères nationaux. Et Renaud Dehousse cite, parmi d’autres, l’exemple de deux excellents députés européens, l’un à droite, Alain Lamassoure (écarté par Sarkozy de la tête de liste aux prochaines élections) et l’autre à gauche, Olivier Duhamel (qui n’a pas été réinvesti par le PS pour les élections européennes de 2004).

Deux systèmes opposés

Nous sommes confrontés à deux systèmes d’élections opposés.
D’une part les élections nationales, dont la finalité est en principe d’élire nos représentants. Mais dans la réalité, on vote surtout pour désigner un gouvernement.

Et d’autre part les élections européennes dont on ne sent pas l’objectif puisque dans les faits, quel que soit le bulletin, ça ne changera pas la composition de la Commission qui préside à Bruxelles.

« Il ne faut pas laisser à la dinde le choix du menu de Noël »
Actuellement c’est au niveau des États membres que se choisissent les responsables de l’exécutif européen. Mais, assure Renaud Dehousse, « Rien n’empêche les partis européens de désigner un candidat à la présidence de la commission. » Les textes ne s’y opposent pas. Les candidats seraient alors amenés à faire une campagne réellement européenne parce qu’ils ne pourraient pas se contenter des électeurs de leur propre pays.

C’était ce qu’avait proposé Jacques Delors dans une conférence de presse très remarquée… qui est restée lettre morte, parce que « il ne faut pas laisser à la dinde le choix du menu de Noël, c’est-à-dire que si les candidats sont désignés par les partis européens, ils échapperont aux leaders nationaux.
« Les partis nationaux ne franchiront pas facilement ce Rubicon-là, parce que précisément, ils n’y ont pas intérêt. »
Les députés de Strasbourg respectent scrupuleusement les consignes de leurs chefs de parti quand on aborde une question d’intérêt national.

Nous nous trouvons dans une situation étrange car, contrairement à ce qu’on pense trop souvent, le Parlement européen est puissant d’autant qu’il ne risque pas d’être renversé par une élection défavorable comme pour les parlements nationaux.

Souvent les listes aux élections européennes permettent aux partis nationaux de recaser ceux qui ont connu des échecs aux élections nationales.

Inventer une démocratie européenne

Actuellement, la démocratie en Europe est incarnée par les élections des représentants au parlement de Strasbourg. Ce n’est sans doute pas la seule façon d’envisager l’Europe.
On sait qu’autrefois, au XVIIIème siècle par exemple, quand on citait le mot démocratie, on pensait au système qui prévalait dans les cités grecques, où chaque citoyen pouvait s’exprimer sur l’agora.

En passant au niveau national, on a dû inventer une autre forme de démocratie, la démocratie représentative. Ce passage a entraîné une mutation dans la démocratie. « Comment penser qu’il n’en va pas de même avec le passage de l’État nation à la démocratie transnationale ? Peut-on vraiment imaginer que pour démocratiser un espace de cinq cent millions d’habitants, il suffise de transposer des mécanismes que nous connaissons au niveau national ? Or c’est ce qu’on a fait jusqu’à présent. »
Cette situation incite à imaginer d’autres formes de démocratie, par exemple en instaurant un dialogue avec la société civile ou en développant des modèles de démocratie participative. Ce sont des outils nouveaux très prometteurs.

« Quelle que soit l’évolution de ce système européen, il est condamné à être différent de ce que nous connaissons à l’échelle nationale. »

Et Renaud Dehousse conclut en affirmant que c’est toute la difficulté de la tâche, mais aussi tout son intérêt.

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