La « Crise » est-elle une opportunité pour l’Europe ?

Publié le 18/05/2009

Regards croisés autour d’une table ronde

Par Gwenn Belbéoch, Secteur Politique

A partir des questions issues des Ateliers du samedi après-midi, Alain Lipietz (député européen), Aurélie Trouvé (co-présidente d’ATTAC), Guillaume Duval (rédacteur en chef d’Alternatives Economiques) et Christophe Deltombe (Président d’Emmaüs France), invités à la table ronde du dimanche matin, ont débattu de l’Europe (de l’Union européenne) face aux crises en exprimant parfois quelques divergences significatives. Unanimes, ils dénoncent le manque flagrant de solidarités, le caractère systémique et profond de la crise. Pour eux, l’objectif à long terme est clair : refonder la société sur des valeurs d’humanité, redéfinir le lien entre le politique et le citoyen, intervenir dans le domaine écologique et agir ensemble à l’échelon du citoyen comme à l’échelon des Etats. Il semble que ce soit ensemble qu’il faille mettre en œuvre des solutions. Mais, à l’heure actuelle, le « ensemble » est réduit à une portion congrue, même au niveau européen.
La route peut paraître longue et sinueuse mais ô combien passionnée et passionnante.


L’Europe a une responsabilité particulière pour sortir de la crise : G. Duval (Alter’ Eco) et A. Lipietz (député européen) ont insisté sur ce point. L’Europe par ses actions doit emmener dans son sillage le « reste du monde » vers un nouveau modèle de société, une société d’humanité qu’appelle C. Deltombe (Emmaüs) de ses vœux. Plusieurs raisons pour expliquer ces propos qui n’ont rien de prétentieux : tout d’abord, l’Europe n’a pas joué de rôle majeur dans cette crise, son économie est moins touchée que l’économie américaine. Elle peut donc se montrer plus réactive.

Par ailleurs, l’Europe est riche, et est seule apte à jouer ce rôle de « leader » pour initier des solutions, les pays émergents étant loin derrière en terme de richesses et de « développement ». Enfin, l’Europe est la structure transnationale la plus poussée : elle devrait avoir les moyens de se doter d’une politique européenne réellement efficace pour fondamentalement changer la société.

Une Europe immobile et mortifère

Pourquoi n’est-il pas possible d’avoir un plan de relance global européen ?

La principale raison en est l’immobilisme de l’Europe : Pour A. Trouvé (ATTAC), cela tient au caractère hégémonique de l’Union européenne, de son organisation et sa construction réalisée sans les citoyens. Trop peu de place leur est faite pour s’organiser.

A. Lipietz (député européen) parle d’Europe « mortifère » : l’immobilisme se traduit par une incapacité à prendre des décisions efficaces et globales, du fait de l’absence de processus décisionnel collectif efficace. Le Traité « constitutionnel » européen ou le Traité de Lisbonne aurait dû pallier cette faiblesse puisque ces textes devaient faire passer bon nombre de matières actuellement soumises au vote à l’unanimité des 27 Etats membres au vote à la majorité qualifiée. Cela aurait permis à l’Europe et aux Etats membres de se doter de textes ambitieux sans l’aval de tous, et donc, sans être obligé de passer par des compromis souvent basés sur « le plus petit dénominateur commun ».

G. Duval (Alter’ éco), lui, espère qu’avec la crise l’Europe sera contrainte de remédier à ses faiblesses.

Comment améliorer les choses ? Il ne suffit de panser le système qui s’écroule, il faut le changer profondément.
A. Lipietz (député européen) parle de « reconversion industrielle » et de « conversion des esprits ». Les constructeurs automobiles pourraient construire des bus, les citoyens pourraient apprendre à consommer vert, éthique, à prendre les transports en commun et non la voiture quand c’est possible, à penser long terme. Reconversion et conversion radicales.

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Les quatre intervenants encouragent et prônent une redéfinition du lien Citoyen(s)-Politique.

Selon A. Trouvé (Attac), les actions menées notamment par Attac vont dans ce sens : il faut donner davantage d’importance et de moyens à l’éducation populaire, outil de la démocratie participative. Il faut (ré)investir l’espace public européen propice aux actions collectives. C’est ce que tentent de faire le Forum Social Européen, les Universités européennes d’Attac; l’objectif étant de peser sur l’échelon politique européen, puis international. En guise d’action concrète, A. Trouvé (Attac) se réfère à l’appel lancé par le réseau « Climate Justice Now! » suite au Forum Social Mondial de Belém[[1 – http://climatjustice.org/]]. Il doit permettre à la société civile de se mobiliser sur la question financière, revendiquant notamment la défense de biens communs. Il faut également gérer de manière collective des biens communs: ressources, mais aussi la monnaie qui pourrait être gérée par un « pôle public bancaire ».

A. Lipietz (député européen) quant à lui insiste sur trois leviers, indissociables, qui devraient permettre de faire évoluer les choses en profondeur :

D’abord, la mobilisation des citoyens par les manifestations : il déplore la présence française trop faible dans des mobilisations européennes alors qu’elles peuvent faire reculer le pouvoir politique ou faire évoluer certaines réformes envisagées. Deux exemples concrets : le réajustement de la Directive Bolkenstein et le rejet de la Directive « temps de travail »[[2 – http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+IM-PRESS+20081216BRI44590+ITEM-005-FR+DOC+XML+V0//FR&language=FR]], fin 2008, par le Parlement européen.

Le deuxième levier est celui de la démocratie participative : ceux qui ont réussi à faire prendre en compte leurs préoccupations par le pouvoir politique, sont ceux qui ont agi, de manière organisée, comme par exemple les lobbys. Conscient des inégalités entre lobbys (moyens matériels, humains, linguistiques, financiers), A. Lipietz (député européen) aimerait voir l’Europe s’engager dans une politique ouverte et généreuse pour permettre une réelle démocratie participative.
Dernier levier, et non des moindres, le vote : il est entre nos mains. A nous d’avoir conscience de ce à quoi on dit oui ou non, de pour qui on vote : Pour A. Lipietz (député européen) le vote d’un « non » au referendum sur le traité « constitutionnel » européen équivalait à donner un blanc seing à la situation actuelle, pourtant scabreuse à 27. Point sur lequel G. Duval (Alter’ Eco) et A. Trouvé (Attac) ont réagi en rappelant que le NON ne signifiait pas un rejet de l’Europe, mais une réaction aux manques de moyens dans le texte pour répondre à des préoccupations, légitimes, des citoyens. Cependant, il est primordial de laisser ces différends derrière soi et aller de l’avant, ensemble.

La pierre angulaire de toute relance : la solidarité pour une meilleure répartition des richesses

Pour faire avancer l’Europe il faudra des mesures politiques, générales ou sectorielles, nouvelles et fortes. Tous les intervenants sont d’accord : il est primordial de ces mesures permettent une nouvelle répartition des richesses, pierre angulaire de toute restructuration globale de l’économie et de la société.

Répartitions Nord/Sud, intra-européenne et nationale, répartition au niveau de la société entre les différentes catégories de personnes.

En matière agricole, A. Trouvé (Attac) prône la reconnaissance au sein des Nations Unies du droit à la souveraineté alimentaire : ceci permettrait à l’ONU d’agir, dans le sens d’une solidarité internationale.

En matière de taxation, les intervenants ont avancé plusieurs pistes, qui montrent toutes la nécessité d’augmenter substantiellement le budget communautaire, notamment pour le poste des fonds structurels, instrument de solidarité entre régions d’Europe. G. Duval (Alter’ Eco) souligne l’importance d’une solidarité interne à l’Europe, au risque, sinon, d’un échec réel et douloureux de l’élargissement aux Etats d’Europe centrale et orientale.

A. Trouvé (Attac) préconise l’établissement d’une taxe européenne qui permettrait de financer au niveau européen les « Biens publics » ; elle souhaite aussi voir les transactions financières taxées, combat que poursuit Attac depuis toujours. G. Duval (Alter’ Eco), en désaccord sur ce point, préconise une taxation sur les revenus financiers car cela touche plus de produits financiers que les transactions. Il encourage également à ne pas avoir peur de voir l’impôt sur les revenus augmenter.

Le vert, couleur de l’espoir

A côté des pistes « sectorielles », une sortie vers le haut, globale, est unanimement souhaitée : la relance (globale) verte. Cette relance permettrait d’enrayer la crise sociale par la création et de développer des activités dépolluantes, créatrices d’emplois. La reconversion industrielle et la conversion des esprits dont parle A. Lipietz (député européen) passent forcément par cela.
G. Duval (Alter’ Eco) estime que l’Europe a dans ce domaine une responsabilité particulière puisqu’il s’agit d’un domaine nouveau (c’est-à-dire qui n’est pas une « chasse » gardée des compétences nationales, au contraire par exemple de la matière sociale) : elle doit donc impérativement investir ce nouvel espace, ce pour quoi en général elle est plutôt bonne, et ce, de manière ambitieuse.

A. Trouvé (Attac) souligne également qu’une telle relance va de paire avec une transformation au plan social: changement global de mode de développement, de consommation.
A. Lipietz (député européen) va dans le même sens mais estime que le système n’est pour l’heure pas prêt à investir cet espace du fait de sa faiblesse structurelle.

La crise, une opportunité pour l’Europe ?
L’Europe, une opportunité pour sortir de la crise ?

G. Duval (Alter’ Eco) et A. Lipietz (député européen) constatent que l’Europe connaît un regain de popularité car elle apparaît comme protectrice dans la tempête que nous traversons.
L’Euro est la deuxième monnaie refuge et semble plus stable que les autres monnaies. Les Anglais pourraient se pencher sur la question de l’adhésion à l’Euro… C’est dire! De même, les Irlandais, dans les sondages, voteraient OUI au Traité de Lisbonne aujourd’hui.

Néanmoins, il faut faire attention à ne pas « vendre » l’Europe uniquement pour ses vertus économiques protectrices (d’autant plus que rien ne garantit qu’elle le restera), il faut aussi et avant tout avoir envie de faire avancer le projet européen des Pères fondateurs : établir une union toujours plus entre les Peuples. L’élément de PAIX qui nous semble acquis aujourd’hui doit rester essentiel ! On fera renaître ainsi les notions de solidarités, d’actions collectives, on parviendra à dépasser les réflexes nationaux, véritables freins à toute progression, tant au niveau des citoyens que des politiques.

Cette table ronde a mis en perspective l’importance des élections du 7 juin prochain. Je ne peux que vous encourager à voter en faveur de ceux et celles qui peuvent donner autant de saveur que possible à l’Europe. N’hésitez pas à convaincre votre entourage qu’il faut vraiment donner à l’Europe des députés impliqués et conscients des enjeux mondiaux actuels.

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