Relancer ou reconvertir notre économie ?

Publié le 18/05/2009

Atelier Ecologie, Pascal Canfin

Par Jean-Claude Boutemy, Secteur Philosophies de la personne

Dans cet atelier fort riche, animé par Claire Papy, l’intervenant Pascal Canfin a répondu aux diverses questions des participants. De cette mine d’explications claires et convaincantes, j’ai extrait les quelques pépites suivantes.


Faut-il séparer les crises écologiques et économiques ?

Le président Sarkozy les dissocie et n’évoque pas l’écologie, sauf à propos de la taxe carbone. C’est ne pas voir le caractère structurel et à long terme de cette crise, liée à notre mode de développement. Au-delà des péripéties financières, importantes certes, c’est notre pratique de l’économie qui n’est pas durable. Paradoxalement le capitalisme ne prend en compte que le capital financier, en ignorant le capital humain (savoir-faire, emplois, temps gaspillés) et en dilapidant le capital écologique, patrimoine commun de l’humanité.

Relancer ou reconvertir ?

Dans le plan de relance annoncé nous sommes loin des cadrages chiffrés du Grenelle, qui pourraient favoriser une relance verte : par exemple sur l’isolation des bâtiments (publics et collectivités locales), là où 24 milliards étaient estimés sur 10 ans, 300 millions sont prévus au plan de relance, soit huit fois moins.
Entre relance par l’investissement ou la consommation, le débat est intéressant pour des économistes, mais la vraie question est plutôt faut-il « relancer », c’est-à-dire revenir comme avant, ou bien « reconvertir » notre économie, c’est-à-dire changer notre mode de production et de consommation. Cette conversion n’est pas seulement nécessaire au plan individuel, mais aussi à l’échelle régionale, européenne et mondiale.

Il faut arrêter de croire que c’est impossible : les Etats-Unis ont reconverti en trois mois leur appareil productif à leur entrée en guerre, c’est affaire de volonté politique. La crise est aussi une bonne opportunité pour agir.

Riches et pauvres : à la même enseigne ?

Cette nécessité « écologique » de changement de cap est-elle identique pour tous les pays, riches et pauvres ? Bien sûr que non, répond Pascal Canfin, et il utilise pour sa démonstration un graphique maintenant classique. En ordonnée figure l’empreinte écologique, c’est-à-dire la surface utile utilisée par chaque individu selon son mode de vie, (1,8 hectares pour un prélèvement soutenable des ressources par la population mondiale actuelle).

L’abscisse de ce graphique est graduée selon un indice de développement humain (IDH, indice intégrant la richesse, l’accès à des services et une qualité de vie, éducation, santé…).

Les pays sont positionnés selon ces deux critères. Le rectangle « vertueux », correspondant au développement soutenable (niveau satisfaisant d’empreinte écologique et de développement humain), est vide. On peut distinguer trois situations : les pays « riches » (USA, UE, …) qui doivent réduire leur empreinte écologique sans réduire leur qualité de vie, les PMA (pays moyennement avancés) qui ont des gains potentiels importants à faire en qualité de vie et des marges écologiques, et les pays émergents (Chine, Brésil,…) qui peuvent légitimement améliorer leur qualité de vie mais sont déjà proches du niveau écologique soutenable. Dans chaque cas une stratégie d’évolution adaptée est nécessaire pour arbitrer entre les aspirations sociales et la contrainte écologique, mais une chose est certaine, notre modèle de développement n’est pas le bon et doit être réformé.

Pourquoi y a-t-il urgence ?

L’empreinte écologique mondiale a franchi le seuil du soutenable dans les années 1980, malgré de grandes disparités entre pays. En France c’est dès 1960 que notre mode de vie n’est plus soutenable (au détriment des ressources d’autres parties du monde). Depuis, le problème est devenu global, avec le développement des pays émergents et la croissance démographique. Il faudrait 3 planètes pour que le reste du monde vive comme nous.

La plus grande urgence vient du réchauffement climatique. Le GIEC a lancé l’alarme : si on n’inverse pas la tendance actuelle, l’augmentation des températures moyennes d’ici à 2100 dépassera 2°C, valeur au-delà de laquelle les conditions de vie de l’humanité sont menacées. Pour y arriver, il faut que les pays industrialisés divisent par quatre leurs émissions de CO2 d’ici à 2050.

Concrètement, nous avons entre 3 et 10 ans pour prendre un virage radical, et l’Europe est le bon niveau pour intervenir efficacement.

Que peut l’Europe ?

C’est dans la prochaine mandature de l’Union Européenne que se prendront, ou non, les décisions capitales. Les élections européennes de juin 2009 sont donc stratégiques. Elles sont une chance de pouvoir envoyer au Parlement des représentants conscients de ces enjeux et porteurs d’une réelle volonté politique écologique (cf. Citoyens p : 28, il n’y a que 43 Verts sur 783 députés au Parlement Européen).

Dès la fin 2009, l’Europe doit peser dans la conférence mondiale de Copenhague, qui régira l’après-Kyoto (à partir de 2012).
C’est en prenant en compte le long terme qu’il faut orienter les politiques.

Diminuer l’empreinte écologique, c’est bon pour l’emploi
Les activités écologiques sont généralement créatrices d’emplois (utiles et localisés) : agriculture bio, isolation des bâtiments… De plus, l’argent économisé par la diminution de la facture énergétique peut être réinvesti ailleurs. Aujourd’hui les syndicats européens le comprennent mieux et soutiennent généralement les objectifs de croissance verte : une étude demandée par la CES (Confédération européenne des syndicats) a montré que s’engager vers une réduction de 30% des gaz à effet de serre induit 600 000 emplois de plus.

Cette conversion nécessaire de plusieurs secteurs (BTP, sidérurgie, automobile, …) doit être gérée en s’opposant au chantage aux délocalisations, et l’Europe, dans le contexte actuel, n’est pas dépourvue de moyens, par exemple l’accès qualifié au marché.

Accès qualifié au marché

C’est un concept qui a été mis en œuvre avec succès dans la directive REACH. Elle institue des normes sur la sécurité des produits chimiques, qui ne sont pas seulement applicables au pays de production, mais à l’accès au marché européen (le premier marché du monde). Comme la discrimination ne porte pas sur le pays mais sur le produit, elle reste compatible avec les contraintes de l’OMC : la contrainte écologique est la même quel que soit le pays de production.

C’est un progrès de santé publique et aussi un frein au dumping écologique, et aujourd’hui le Japon l’adopte, comme quoi l’Europe a aussi un effet d’entraînement.

Cette procédure d’accès qualifié au marché est généralisable à la gestion des quotas de carbone, et peut contribuer à améliorer l’efficacité énergétique globale.

Quelles solidarités avec les pays du Sud ?

Outre la dette financière (déjà plusieurs fois remboursée, qu’il serait plus que légitime d’annuler), on peut considérer que les pays industrialisés, vu leur utilisation abusive des ressources mondiales, ont une dette écologique vis-à-vis des pays en développement. Cette dette, non directement monétisable, peut se traduire par des politiques internationales plus coopératives, une mutualisation de brevets pour le développement des énergies propres, des compensations pour la préservation des milieux naturels et des ressources, nombreux sujets à débattre à la conférence de Copenhague.

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