Faire vivre la société

Publié le 07/02/2008

Jean-Baptiste de Foucauld – Président de Solidarité Nouvelle face au Chômage

Significative est la question : comment faire société, comment réussir le vivre ensemble ? Ce qui allait de soi ne va plus de soi. Pourtant, les conflits idéologiques sont moins forts aujourd’hui qu’hier. Le mal se serait-il aggravé, aurait-il pris d’autres formes, serait-il, finalement, plus profond ? Manquerait-on à ce point de repères qu’il faille en revenir au fondamental, à l’anthropologique, au sacré, au spirituel ? Oui, sans doute. Et peut-être même tant mieux.


Cette question est un signal d’alarme, il faut la prendre comme telle. Ce qui mobilisait la société, le progrès, les idéologies, cela ne marche plus. Les mécanismes de pilotage automatique du progrès sont enrayés (Rozès). L’humanité risque la sortie de route, à divers titres (Viveret). Le risque d’exclusion, dont on n’a pas pris la mesure encore, ne s’assure pas avec les moyens habituels. Il faut du lien, mais le lien se délie. Il se transforme en contacts, désirés s’ils sont gratifiants, mais rejetés s’ils sont pénalisants. L’individu auto référencé, qui ne doit rien à personne mais seulement à lui-même, ne peut faire société.

Et pourtant elle fonctionne, malgré tout, la société, avec ses imperfections, malgré les représentations individualistes qui la minent. C’est que l’anthropologie de base du donner-recevoir-rendre, qui crée la dette, la réciprocité, le lien, continue à s’exprimer, en amont de tout contrat social, hors de toute norme d’efficacité, mélange de liberté et d’obligation, d’intérêt et de gratuité. C’est le don initial de la vie, de la langue, de l’éducation, de l’entraide, de la solidarité, qui nous précède et qu’il nous revient de transmettre, qui fonde la société et la dette intergénérationnelle. Faire vivre la société, c’est en tout premier lieu réévaluer la perception de ces mécanismes de base dans notre vision de nous-mêmes et de la société[[Alain Caillé, Anthropologie du don, le tiers paradigme (Desclée de Brouwer, 1999) ; Jean-Baptiste de Foucauld, Les 3 cultures du développement humain, page 107 à 112 (Odile Jacob, 2002).]].

C’est ensuite lutter contre les phénomènes d’exclusion qui se répandent autour de nous, sous différentes formes, et qui vont comme une rançon inévitable du progrès, comme l’a bien montré Philippe d’Iribarne[[Philippe d’Iribarne, Vous serez tous des maîtres (Seuil, 1996).]]. Le risque d’exclusion qui caractérise les sociétés modernes se combat par des cultures d’action nouvelles, plus personnalisées, car fondées sur l’initiative, la coopération, l’écoute, la discipline commune, relevant plus de la non-violence constructive que de l’action syndicale traditionnelle. Face au chômage, ce terrible multiplicateur d’exclusions, face au sous-emploi des capacités humaines, quelles qu’elles soient, il faut inventer un « devoir d’entourage »[[ Jean-Baptiste de Foucauld et Denis Piveteau, Une société en quête de sens, chapitre 14 (Odile Jacob, 1995).]], promouvoir des « comportements de solidarité active », fondés sur le don en temps, en argent, en lien,[[Voir par exemple www.snc.asso.fr.]] et construire l’action avec ceux qu’elle concerne, c’est-à-dire leur donner cette parole dont ils sont, de fait, privés.[[ Jean-Baptiste de Foucauld, Une citoyenneté pour les chômeurs, (Droit social 1992).]]

La société fluide dans laquelle nous sommes a besoin de personnes solides, aptes à assumer les défis particuliers de l’époque et à développer une identité ouverte. C’est la vocation de l’éducation populaire aujourd’hui que d’équiper les acteurs à cet effet.

Cet équipement est assuré de manière optimale, l’expérience le montre, quand quatre conditions sont remplies :
– d’abord, l’acteur fait un travail régulier d’intériorité sur lui-même et s’impose un minimum de règle de vie ;
– ensuite, il dispose d’un groupe de pairs et d’amis pour échanger sans être jugé sur les questions délicates qui se posent inévitablement à lui et pour travailler en commun sur les préoccupations des uns et des autres ;
– en troisième lieu, il se rattache à une institution dotée d’un corps de doctrine ayant surmonté l’épreuve du temps, institution qui l’interpelle par une parole venue d’ailleurs et qui l’oblige à sortir de lui-même et de la chaleur rassurante du groupe d’amis, tout en lui assurant cette forme particulière et précieuse, bien que sous-estimée aujourd’hui, de vivre ensemble qu’est le culte[[Quel autre moment de l’existence nous permet d’être ensemble, toutes classes sociales confondues, en silence et à l’écoute d’un message qui nous dépasse et nous oblige en nous posant question, corps immobile et esprit tendu, intériorité et extériorité simultanément activées ? Ceux ou celles qui se privent de ce qui ne devrait pas être, sous une forme ou une autre, une obligation dominicale, mais une nécessité intérieure, font quoi de ces moments ou de ces parts d’eux-mêmes qu’ils ou elles croient économiser ?]] ;
– et enfin il reste malgré tout ouvert sur les autres traditions philosophiques, spirituelles ou religieuses, sur les apports des sciences, sur l’universel en un mot.

A chacun d’organiser cet équipement, de façon la plus compatible possible avec son mode de vie. Aux institutions religieuses, aux mouvements d’éducation populaire d’y contribuer, à l’organisation sociale de le permettre !

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