La proximité, une notion à réinventer

Publié le 09/06/2011

Par François Leclercq, comité de rédaction

Certains anthropologues affirment que l’hominien s’est dressé sur deux pattes pour mieux saisir son environnement et que cette stature a défini son identité pour des millions d’années.
Peut-être. Mais on peut alors se demander si, aujourd’hui, l’homme n’est pas à nouveau en train de changer sa perception de l’environnement. Son horizon, sa proximité, ne sont-ils pas en train de voler en éclat, de s’élargir démesurément, au risque d’oublier l’entourage immédiat ?


Qu’est-ce qui est proche ? Qu’est-ce que la proximité ?

Les nuages ne meurent pas

Toute l’actualité du mois de mars a été secouée par les menaces qui se sont profilées à Fukushima, à l’autre bout de la Terre.
Vendredi 11 mars : tremblement de terre au large des côtes japonaises. Tsunami gigantesque. Des dizaines de milliers de morts ou disparus. La France s’émeut.
Mais voilà que le dimanche on apprend que la centrale nucléaire pourrait être ébranlée et l’Europe panique : deux millions supplémentaires de téléspectateurs se ruent à 20 heures, sur le journal de TF1, qui annonce des taux d’audience record.
C’est que nous savons maintenant que la Terre est toute petite et que nous sommes inévitablement titillés par tout ce qui se passe à l’autre bout du monde, tout près. C’est vrai, si le tsunami s’est éteint dans le Pacifique, le nuage radioactif, lui, a su franchir allègrement deux océans et un continent pour venir nous narguer au-dessus de nos têtes.
Naturellement Wall Street fléchit, ainsi que la Bourse de Paris. Mais aussi on apprend, surpris, que les usines d’assemblage Peugeot doivent interrompre leur chaîne de fabrication de la 308, car le sous-traitant japonais est en rupture.
Tout cela était inimaginable voilà seulement quelques décennies. Notre horizon n’est plus le même.

Les poires du Chili

Caddie à bout de bras, on n’est plus du tout étonné d’attraper dans son magasin des poires du Chili, des asperges du Pérou, des petits pois du Kenya ou même des champignons de Chine… Moins chers parfois que nos productions de proximité.
Voilà de quoi nous interroger. Quoi ? Les milliers de tonnes de kérosène dépensés ne suffisent pas à rendre rentables les fruits et légumes locaux.
Face à cette situation aberrante, un maraîchage de proximité se développe, réunissant un cercle de consommateurs convaincus qui restent en contact avec le producteur auquel ils rendent visite, avec qui ils discutent. L’expérience des AMAP est dans ce domaine significative[[1 – AMAP= Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne.]].
Ces solutions représentent une alternative à la domination écrasante des grandes surfaces, qui ont étouffé et continuent de le faire, année après année, le commerce de proximité, ainsi que le déplore Edgar Morin, dans son dernier livre, La Voie[[2 – La Voie : pour l’avenir de l’humanité, Editions Fayard.]].
Dans mon village, la dernière épicerie a fermé il y a dix ans, malgré le soutien de la population locale. Et le dépôt de pain n’a pas tenu, malgré un investissement municipal.

Des rues désertes

Beaucoup en ont fait l’expérience. Quand on atterrit sur un autre continent, Afrique, Asie, Amérique du sud, ce qui saute aux yeux, c’est de voir dans les rues, dans les champs, sur les chemins, tant d’hommes et de femmes qui vont et qui viennent inlassablement.
A l’inverse, dans nos villes sages, dans nos villages dortoirs, les rues sont souvent désertes. Rares de nos jours, les occasions de croiser des passants, des voisins. On s’est habitué au vide. Sauf dans les quartiers périphériques, dans les cités. Les centres-villes sont fréquentés aux heures d’ouverture des commerces, assoupis après 19 heures.

On ignore notre entourage

Et on est choqué de découvrir un vieillard ou un malade décédé depuis plusieurs semaines ou plusieurs mois dans un coin, sous des cartons ou dans un appartement.
Pour desserrer cette chape d’isolement, des solutions sont imaginées. Ainsi a-t-on créé en 1999 la fête des voisins à l’initiative d’une petite association parisienne. Idée relayée l’année suivante par l’Association des Maires de France pour la répandre un peu partout dans l’hexagone.
En 2009, la même association parisienne a proposé un système d’aide Voisins solidaires[[3 – www.voisinssolidaires.fr site très complet qui expose la démarche et la complète par un forum aux mille questions.]] en se demandant pourquoi on ne pourrait se rendre moult services entre voisins, repérer les personnes en rade, bloquées, coincées, juste derrière chez nous ou à l’étage du dessous. Des évidences, quoi, mais qu’on avait oubliées.

A qui on parle ?

En moins de 50 ans, l’interlocuteur, celui que l’on côtoie, avec qui on échange a radicalement changé.
Jusque dans les années 60 de l’autre siècle, on parlait avec des personnes qu’on voyait, qu’on pouvait toucher (le téléphone était encore rare). Aujourd’hui le dispositif de communication a complètement explosé : on s’adresse à des destinataires qui se trouvent dans la ville voisine ou aux antipodes. C’est pareil. La distance est complètement écrasée, ignorée. « Ça me permet de voir mes petits enfants, qui vivent en Australie, » annonce triomphalement cette grand-mère.
Ce contact auditif et visuel se répand de plus en plus. Skype, le plus connu. Mais bien d’autres, tels que Windows, Yahoo et même France Telecom offrent maintenant des services comparables.
On compte en France plus de téléphones portables que d’habitants. Cet appendice est devenu omniprésent. Pour beaucoup, il génère en permanence un environnement virtuel, variable et personnalisé.
La semaine dernière, Mohammed Nabbous, un ingénieur informaticien, l’un des chabab de Benghazi, a été fauché par la balle d’un soldat libyen. C’était lui le blogueur qui diffusait sur son site des images et des informations qui nous mettaient chaque jour en contact avec les combats en Cyrénaïque. Il était presque devenu un familier, un proche.

Notre horizon n’est plus ce qu’il était

Aujourd’hui quand on veut joindre EDF, la Sécurité Sociale, sa banque ou Pôle-Emploi, on tombe invariablement sur une boîte vocale. Tapez 1, tapez 2, etc.
Les chômeurs, ne peuvent bien souvent pas téléphoner directement à leur conseiller, et doivent faire le 39 49. C’est ce que déplore Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République dans son dernier rapport. Il dénonce l’absence absolue de relations humaines dans de trop nombreux cas.
Certes beaucoup de services ont été mis en place pour satisfaire la demande du public. « Il y a moins de proximité physique, nous assure l’administration, mais elle est remplacée par une proximité d’accès, grâce à Internet. C’est la qualité du service qui compte. »
Peut-on humainement se satisfaire de cette proximité ? N’est-elle pas une illusion ? virtuelle, marquée, gâtée par l’inégalité. Car consacrant la fracture technologique qui isole les plus démunis, les plus fragiles, les plus pauvres, les plus âgés.
La proximité, un champ immense à creuser. Notre horizon n’est plus ce qu’il était.

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