Publié le 29/09/2011
Par Jean-Paul Lelong, groupe de Rodez
Au lendemain de la guerre, les fermes bretonnes vivent modestement. L’activité principale est un petit troupeau de vaches laitières dont le lait est transformé en beurre à la ferme. Le petit lait et le babeurre, résidus de cette transformations sont d’excellents aliments azotés : additionnés à des grains, des betteraves, un peu de trèfle éventuellement, et à tous les déchets domestiques, voilà la base de l’alimentation des cochons qui sont avant tout des « valorisateurs » de sous-produits.
Mais le nombre de porcs est limité au volume de petit lait ; et avec l’arrivée de la P.A.C., le prix du lait entier à la collecte (déjà aidé à l’époque) rend la fabrication du beurre à la ferme moins rentable, diminuant encore les volumes barattés et le petit lait disponible.
Mieux que le petit lait, tourteau de soja et caillebotis – pour élever des cochons ad libitum ?
Qu’à cela ne tienne, la même P.A.C., avec l’aide (désintéressée) de nos alliés américains, facilite l’entrée en Europe du tourteau de soja américain : c’est un aliment azoté exceptionnel, parfaitement adapté aux besoins du porc ; voilà qui va débloquer le verrou du petit lait. Les ports sont sur place, il suffit d’acheter le soja et on peut augmenter le nombre de cochons dans un contexte de marché très demandeur (1960). Cet élevage est rentable !
Quant les céréales viennent aussi à manquer, on passe à l’achat de « l’aliment complet », mélange de céréales et de soja, un plat unique qui se décline en plusieurs versions : truies, porcelets, engraissement… calculé avec précision et livré par la coopérative à la demande. On vient d’inventer le hors-sol : une activité d’élevage déconnectée des surfaces cultivables et de la ressource alimentaire locale.
Il n’y a plus qu’à construire des bâtiments pour loger tout ce cheptel, et comme la paille pour faire la litière vient aussi à manquer, qu’elle est coûteuse et pénible à manipuler, il reste à inventer le caillebotis, plancher à claire-voie sur lequel sont installés les animaux, au-dessus d’une fosse de stockage du lisier.
Il n’y a plus de limites : partis de quelques truies en 1960, les élevages des Côtes-d’Armor passent de 50 truies/élevage en 1988 à 160 en 2005. Aujourd’hui, un élevage sur six dépasse les 250 truies.
Oui mais : à la même vitesse que les cochons augmente la production de lisier, et là commencent les problèmes.
A faible dose, le lisier est un bon engrais pour les terres ; à haute dose, c’est la catastrophe : les eaux superficielles dans ce pays de granit qui n’a pas de nappes profondes se chargent en nitrates provenant (presque directement) des lisiers et deviennent impropres à la consommation avant d’alimenter les trop fameuses algues vertes.
Une truie et sa descendance (25 porcs/an) rejettent à peu près la quantité maximale d’azote (170 kg) qu’un hectare de culture peut valoriser et donc retenir dans de bonnes conditions (épandage pendant la période de végétation).
Or il y a dans le département de l’ordre d’une demi-truie (et sa suite) par hectare. Il faut y ajouter les vaches, les volailles qui elles aussi produisent des déjections. Sans oublier les épandages d’engrais azotés qui, même s’ils ont été réduits, continuent et toutes les autres activités polluantes, pas forcément bien réparties sur le territoire. Résultat : sur 52 cantons, 14 dépassent de très loin la dose maximale (plus de 230 kg d’azote/ha), et seuls 13 sont en dessous de 170 kg/ha.
Le casse-tête des nitrates et de la préservation de la qualité de l’eau
D’où la mise en place, surtout après 1990, d’une série de mesures pour « régler » le problème et revenir à une situation acceptable : résorption des excédents, pratiques agronomiques, répartition des surfaces d’épandage…
Difficile de se faire une idée de la situation aujourd’hui : certains (le Conseil Général, la Chambre d’Agriculture) disent qu’on est sur la bonne voie ; les membres de l’association Eau et rivières n’ont pas l’air d’être du même avis, même s’ils reconnaissent que, ces dernières années, la norme de 50 mg de nitrates/litre d’eau est mieux respectée dans les rivières.
Personne n’a évoqué devant nous la solution drastique à problème : réduire les effectifs. Cela remettrait trop de choses en cause dans l’économie locale et il n’y a pas d’alternative prête à l’emploi et garantie sans douleur.