Nantes : la colonisation de La Petite Amazonie

Publié le 09/06/2011

Dans les grandes villes bretonnes, des expériences parallèles mais bien différentes, relatées dans les deux articles qui suivent, illustrent les efforts accomplis par les élus et les citoyens pour redonner vie à des cités menacées.

Par Paulette Foucher, Groupe de Nantes

Banlieue Est de Nantes, Malakoff, quartier « sensible » délimité par la Loire, le terminal SNCF et… La Petite Amazonie, marais préservé pour sa flore et ses oiseaux…
Un jour de mai 2005, les habitants sont conviés à une réunion exceptionnelle par la mairie, pour la présentation d’un projet qui les concerne, un G. P. V. Grand Projet de Ville !


Le jour dit, un aréopage de spécialistes : maire, architecte, urbaniste, promoteur, financeurs présente le généreux projet qui va changer la vie des habitants, « Grand Projet de Ville » avec les mots qui le définissent : désenclavement, reconfiguration. Des mots qui veulent dire ouverture, mixité sociale, nouvelle dynamique.

Mais très vite derrière les mots prometteurs se profilent des réalités bien concrètes : déconstruction, relogement, des mots qui pour les usagers prennent une autre connotation. Le désenclavement signifie perte des contours, de la proximité et des repères. Et la mixité sociale sous-entend colonisation (« on va faire venir des gens « bien » pour nous éduquer »). Nouvelle dynamique signifie changement des habitudes, inconnu.

L’inquiétude des hérons

Au fil des « grands-messes » l’inquiétude monte, perceptible, avec le sentiment d’impuissance. Des choses que l’on ne dit pas en séance publique. Alors des acteurs se manifestent pour prendre en compte ce qui avait été oublié : le ressenti des habitants.

Ciné-femmes tourne un film avec les habitants, Peuple et Culture (association d’éducation populaire) propose et anime des petits déjeuners radiophoniques, soirées débats, ateliers sténopé-photographie, ateliers d’écriture, travail qui aboutira à une mise en scène des textes par des comédiens dans une tour vouée à la déconstruction et qui portera le joli nom de « L’inquiétude des hérons ».
Ces créations et cet accompa-gnement sur fond de transformation, suscitent des expressions fortes, le sentiment que quelque chose de constitutif de sa vie échappe : »Je me suis construite ici », « Mes racines sont là », « C’est l’âme de Malakoff qui s’en va ».

Pour les plus anciens, la nostalgie d’une vie de village qui a existé, même si les souvenirs l’idéalisent.

Suite aux relogements à l’extérieur, des ruptures surviennent qui ont un impact sur le réseau des relations personnelles et associatives. En terme d’habitudes de vie, ces enfants qu’on laissait dans une grande liberté (un peu trop ?) dans ce lieu enclavé, il va falloir les surveiller.
Si un certain nombre d’adultes ont pu s’exprimer, si les enfants gardent leur spontanéité, malgré les changements divers, il est une population qui échappe à peu près à toute investigation et action, les jeunes de 16 à 25 ans…

La montée des violences

Peu à peu, se concrétise le désenclavement :
• nouveau collège ouvert au quartier voisin,
• nouvelle maison de quartier à la place du centre socio-culturel,
• nouveau pont reliant le quartier à un espace plus dynamique,
• mise en service des immeubles en accession à la propriété.
Et parallèlement, les actes de violences montent en puissance : incendie de voitures (ciblé), incendie du centre socio-culturel – encore en activité, puis récemment incendie du centre commercial : café, boulangerie, mairie annexe – les points de rencontres qui maintenaient l’esprit de quartier.
Ces événements affectent toute la population, confinent les personnes vulnérables à leurs domiciles, développent un sentiment de culpabilité par personne (enfant) interposée dans certaines communautés.

Et bien sûr nos questionnements

Qu’est-ce qui dérange ? Et qui est dérangé, au-delà des constats évoqués plus haut ?
Les dealers, protégés par un réseau de complicité, et qui exercent une emprise certaine sur le territoire ?
Des jeunes confrontés au chômage et sans moyens pour lesquels cet investissement lourd peut être vécu comme une provocation (« touche pas à mon quartier »)
A ce moment de l’histoire de Malakoff j’éprouve personnellement le sentiment d’un dérapage, d’un raté. Peut-être un manque d’évaluation et d’appréciation des besoins et des priorités.

A qui profite le changement?

Dernière minute : au moment de clore cette contribution j’apprends ceci : « Les immeubles en accession à la propriété – bien orientés vers la Loire – bénéficient  d’équipements particuliers : barrière de protection, vidéo surveillance. »
Bravo la mixité sociale !
Je crains que « les hérons » n’aient encore quelques raisons de s’inquiéter.

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