Semaines sociales de France – religion et anthropologie

Publié le 07/04/2011

Du 26 au 28 novembre dernier, au Parc Floral de Paris, se sont tenues les 85èmes Semaines Sociales de France.
Cette année les Semaines Sociales de France avaient choisi comme thème « Migrants, un avenir à construire ensemble », un titre qui est aussi un programme. L’atelier « Les étrangers et nous », du groupe de la Vallée de la Bièvre a évidemment eu envie d’y participer activement.
A côté de conférences ex cathedra les Semaines sociales avaient imaginé de susciter des rencontres entre des étrangers et/ou immigrés vivant en France et des petits groupes d’une dizaine de personnes participant aux semaines (les semainiers) pour donner à ces journées un moment, non plus d’écoute passive des participants, mais d’écoute active, éventuellement engagée, sur ce que nous vivons les uns et les autres dans la relation entre ceux qui vivent ici et ceux qui arrivent dans notre pays.
La méthode : demander aux associations de proposer des rencontres avec 4 ou 5 personnes en situation de migration et des petits groupes de semainiers pour des « témoignages » réciproques, chacun s’exprimant sur ce qu’il vit ou a vécu dans des relations entre migrants et non-migrants.
Tout à fait vie-nouvellien ce projet ! Nous nous sommes engouffrés dans le projet et avons proposé un ou plusieurs « ateliers » sur la question « femmes et migrations ». Nous avons embarqué dans l’aventure Marie-Anne Lambotte qui est bénévole à la Cimade et Dona Mubumbyi, du Groupe de Lyon, Béatrice Mushashi du Groupe des Boucles de la Marne, originaire du Rwanda et Michèle Lejeune qui l’accompagnait, une Algérienne, Aicha Nouairi rencontrée par Claire Lafore, Ibtihel Bouchoucha, doctorante en France et originaire de Tunisie et Zahia Ouadah-Bedidi, enseignante à Paris VII-Diderot, originaire d’Algérie.
Ce fut bousculé, parce que les conditions matérielles (bruit, mauvaise disposition des lieux, détestable acoustique, changement en dernière minute de l’organisation…) étaient vraiment défavorables… Mais passionnant. Tous, les
« semainiers » et les migrantes, ont été vraiment intéressés par les témoignages très personnels et les discussions qui se sont engagées. Chacun a parlé en « personne ». Et nous avons apprécié de redécouvrir la complicité d’un travail à plusieurs Groupes de La Vie Nouvelle (Lyon, les Boucles de la Marne, Vallée de la Bièvre). Le sérieux de la préparation de cet échange a vraiment été au rendez-vous. La richesse des échanges que nous avons eus nous a incités à poursuivre les contacts plus directs avec des personnes ou des groupes qui travaillent sur tous les sujets du « vivre ensemble » dans notre environnement.

Thérèse Locoh, Vallée de la Bièvre

Religion et anthropologie

Par Claire Lafore, Groupe Vallée de la Bièvre

Dounia Bouzar est anthropologue, spécialiste de l’Islam. C’est surtout une femme musulmane qui nous donne un témoignage sur la manière dont elle vit sa religion et le regard de ces concitoyens sur son appartenance religieuse.
Elle nous prouve que l’islam n’est pas cette doctrine immuable incompatible avec la laïcité et le monde moderne, comme les discours extrémistes – aussi bien islamistes qu’islamophobes – nous en persuadent.

Son idée est que, quelle que soit la religion, ce n’est pas celle-ci qui détermine l’individu : celui-ci comprend sa religion à partir de ce qu’il est et de ce qu’il vit ici et aujourd’hui.
Le texte reste le même mais la compréhension du texte évolue selon ce que vit la personne.
Pour nous parler des musulmans en France aujourd’hui et de leurs relations à l’islam, elle distingue 3 catégories.

Les musulmans qui vont bien

Il y a ceux qui ont grandi dans la république laïque et s’y sont construit une place. « Ils ont appris à dire « Je ».
Ils se réapproprient les textes musulmans et remettent en question les interprétations traditionnelles en faisant la différence entre tradition et religion. Ils se rendent compte que ce qui peut être présenté comme sacré peut parfois n’être qu’une tradition.
Leur relation à la religion se subjectivise : certes le texte est sacré mais son interprétation dépend de leur expérience de vie.
Cette évolution est particulièrement nette pour ce qui concerne la condition des femmes.
Les femmes musulmanes, en particulier, qui ont grandi dans la société laïque d’aujourd’hui, en côtoyant des enfants de cultures et de religions diverses, ou sans religion, ont forcément un rapport à la religion et une compréhension des textes sacrés différents de ceux qu’avaient leurs grands-mères.

Les musulmans qui vont moins bien

Ils ont vu leurs grands frères investir la devise de la République, investir l’école avec souvent de longues années d’étude. Mais beaucoup d’entre eux se sont retrouvés au chômage alors que leurs camarades, français de souche, à diplômes équivalents, avaient souvent des postes importants.

Ces grands frères se sont battus contre la discrimination liée au prénom, au quartier et ont été déçus que les médias aient « culturalisé » leur révolte – qu’ils ont appelée Marche des Beurs – alors qu’il s’agissait d’une « marche pour l’égalité » provenant de revendications sociales (égalité, emploi, logement). Cette « culturisation » faisait l’économie d’une analyse des conditions sociales qui régnaient dans les quartiers.
Leurs petits frères aujourd’hui ne croient plus dans la République. Ils trouvent que la distance est trop importante entre la devise de la République et le vécu quotidien.

Du coup, ils désinvestissent la sphère politiques et surinvestissent l’islam comme si une politique juste ne pouvait pas se mettre en place sans être tirée vers le haut par la religion. Comme si seul l’islam pouvait répondre aux dysfonctionnements sociaux. C’est pour eux une utopie, un espoir existentiel auquel ils s’accrochent.

Quand on leur reproche leur visibilité, ils pensent que le principe de la liberté de conscience ne s’applique pas pour eux. De même que celui de l’égalité ne s’est pas appliqué à leurs grands frères. Et qu’il y a une laïcité à deux niveaux. Ils demandent ainsi qu’on inscrive au calendrier la fête de l’Aïd – comme il faut le demander aussi pour celle de Yom-Kippour – car ces fêtes font partie, comme Noël, de notre patrimoine culturel commun.

De même, l’attachement à la viande Halal est une demande pour que soit respectée leur différence (pourquoi, d’ailleurs, n’y a-t-il pas plus de poisson dans les cantines ?)
Ils vivent dans les contradictions et les paradoxes et n’ont pas forcément les bonnes réponses.

Les jeunes qui vont très mal

Ils se sentent de nulle part et le discours radical fait de plus en plus autorité sur eux car il inverse leur vécu et le transforme en sentiment de supériorité sur les autres religions et sur les autres musulmans.
Alors qu’ils ont grandi dans des « trous de mémoire », ils ont l’illusion de s’inscrire dans une filiation sacrée. Illusion qu’en reproduisant les mêmes gestes que le Prophète et ses compagnons, ils peuvent recréer l’ambiance de création de l’islam, devenir tout puissants et sauver les autres.

Pris dans ce rêve de toute puissance, ils inversent la question de l’autorité : alors que le croyant est soumis à Dieu et s’efforce de lui obéir, ils prennent sa place, et empruntent son autorité en leur nom propre.

Le discours radical utilise l’islam comme une frontière radicale par rapport aux autres : les parents, la société, les autres religions, mais aussi les autres musulmans qui en sont les premières victimes.
A l’intérieur du groupe, ce discours détruit les contours identitaires et permet aux jeunes de se sentir en symbiose dans une exaltation groupale. C’est un phénomène de type sectaire.

Les jeunes qui se sentent une appartenance territoriale sont relativement protégés de cette adhésion qui fonctionne comme un espace de substitution pour ceux qui se sentent de nulle part.
Une moitié de ces jeunes ne proviennent d’ailleurs pas du monde musulman (affaire récente en Bretagne où de jeunes Bretonnes revendiquent le port de la burka) et 90% des groupes radicaux recrutent par Internet.

La problématique actuelle, c’est qu’on ne sait plus bien placer le curseur entre ce qui relève de la liberté de conscience (à laquelle a droit tout individu tant qu’il n’impose pas sa vision du monde aux autres) et ce qui relève du radicalisme : on prend des musulmans pour des intégristes s’ils pratiquent sans se cacher, et des radicaux pour de simples musulmans qui pratiqueraient au pied de la lettre leur religion.
Le débat sur la burka est très révélateur de cette confusion et des représentations négatives qui règnent sur l’islam : les débats ont été posés comme s’il s’agissait d’une simple pratique de l’islam alors qu’il s’agit de la revendication d’un groupuscule sectaire.

Être féministe et musulmane

Ce qui m’a beaucoup intéressée, c’est d’abord la position de Dounia Bouzar comme féministe musulmane qui lui permet d’affirmer que l’islam n’est pas incompatible avec l’égalité hommes/femmes.
Même si elle reconnaît que la position des féministes musulmanes est difficile :
• elles sont considérées par beaucoup de musulmans comme des musulmanes trop modérées alors qu’elles cherchent à revenir aux textes sacrés et à les détacher d’interprétations liées à des traditions révolues.
• Mais, dès qu’elles ont un signe de visibilité, elles sont perçues par les Occidentaux comme des traditionalistes, à travers les images de ce qui se passe dans les cultures traditionnelles.

Je me suis sentie aussi interpellée par ce qu’elle dit du malaise que vivent les musulmans et les musulmanes de France.
Il s’agit pour eux de faire comprendre à leurs concitoyens qu’ils sont des gens comme les autres, qu’ils partagent la même culture française, même s’ils sont de confession différente.
Leur difficulté c’est d’être considérés comme des gens venus d’ailleurs alors qu’ils sont profondément français.
« Ne nous enfermez pas dans une étrangéité qui n’est pas la nôtre ; on ne supporte plus les pressions du clan, on a développé comme vous notre subjectivité et on veut retourner vers le Coran en tant qu’individus », s’écrie Dounia Bouzar.

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