Publié le 08/02/2011
Par Alix Vourch, Groupe de Brest
Deux atouts expliquent l’intérêt que les voisins de la Lettonie ont toujours porté au territoire qu’elle occupe actuellement : d’une part un beau golfe échancrant le littoral Est de la mer Baltique, le plus souvent libre de glaces, d’autre part l’aval d’un grand fleuve, la Daugava ou Dvina, large entrée vers l’espace russe.
Une population spécifique y vit, indo-européenne, mais dont la langue de famille, ni slave, ni germanique, ni scandinave, reste minoritaire. A ce jour le lituanien et le letton sont les seules langues survivantes de ce rameau particulier.
Dès l’antiquité ce peuple est entré dans des relations commerciales qui se sont poursuivies durant le haut moyen âge : l’ambre de la Baltique intéresse les Byzantins comme les habitants de l’actuelle Russie. Mais dans un ensemble européen qui se christianise les peuples vivant dans cette contrée sont des païens incontrôlables.
En 1201, l’évêque Albert de Brême, après avoir créé Lübeck, première ville allemande de la Baltique, fonde Riga et son évêché. C’est le début de l’européanisation, accompagnée de la christianisation. C’est la perte de l’indépendance d’un peuple qui ne la retrouvera qu’en 1918 dans un pays qui prendra pour la première fois le nom de la langue parlée depuis toujours : le letton.
Les Chevaliers Teutoniques
Le Saint Empire et Rome s’intéressent à ce territoire : pour convertir ces païens le pape missionne un ordre religieux qui a fait ses armes en Terre sainte : les Chevaliers Teutoniques, quadrillent l’intérieur de forteresses, spécialement le long de la Daugava. Leur expansion est cependant freinée par les Russes (victoire d’Alexandre Nevski en 1242).
En 1278 la Ligue hanséatique, qui contrôle le commerce en mer du Nord et en Baltique, intègre Riga dans son réseau.
Les Polonais infligent aux Chevaliers Teutoniques une sévère défaite à Tannenberg en 1410, limitant ainsi leur progression dans le monde slave. Cela n’empêche pas que jusqu’au XVIème siècle tous les éléments dominants de la société, les élites, soient allemands. L’allemand est la « lingua franca » de toute cette Europe centrale et nordique. Les thèses de Luther parviennent rapidement à Riga. Les derniers Chevaliers Teutoniques s’y rallient et font souche.
Au XVIIème et au XVIIIème siècles la suite de l’Histoire est celle d’un peuple dont le territoire est partagé entre ses différents voisins, essentiellement Polonais catholiques, ou Suédois luthériens, cependant que les terres appartiennent à ceux qui sont communément appelés les « barons baltes » de langue allemande, les paysans lettons étant réduits à l’état de servage. Les Suédois intéressés au sort des paysans, créant des écoles, peu appréciés par les barons baltes, ont laissé un souvenir positif. Selon qu’ils ont été dominés par les uns ou par les autres la Lettons sont catholiques ou protestants sans que cela engendre des tensions interreligieuses. De nos jours la culture lettone est restée unifiée autour d’un respect quasi religieux pour la nature : beaucoup d’arbres, surtout des chênes, sont ressentis comme sacrés.
Sous le joug russe
L’année 1795 voit le partage et la disparition de la Pologne. Les territoires baltes sont annexés jusqu’en 1917 à l’empire russe. Ce XIXème siècle est néanmoins une période constructive pour le peuple letton. Le servage est aboli au début du siècle. L’éducation se développe, profitant du courant d’éveil national de 1848 qui traverse l’Europe centrale. En ce milieu de siècle 70 % de la population est alphabétisée, en allemand mais aussi en letton. En fin de siècle il se fait un important collectage de textes lettons transmis par la tradition orale depuis le moyen âge.
Au début du XXème siècle Riga, troisième ville industrielle de Russie, est de population à majorité lettone. Un prolétariat s’y développe. La ville devient un centre de réflexion intellectuelle et politique avec une presse d’avant-garde. Cela inquiète le pouvoir tsariste qui tente sans grand succès d’impulser un mouvement de russification, d’implantation de l’orthodoxie. Le mouvement révolutionnaire de 1905 trouve un écho très favorable, l’existence d’une nation lettone est de plus en plus ressentie comme essentielle.
Vers l’indépendance
Le 1er août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la Russie. Les Lettons participent au combat contre les troupes du Kaiser, mais très vite les Allemands s’installent. En 1918 les Lettons envoient une délégation à Versailles, il faudra deux ans pour que la Lettonie soit reconnue, mais elle a le soutien des vainqueurs qui veulent créer un cordon sanitaire contre les Soviétiques et aident les Lettons à chasser les corps francs allemands.
Cette courte période de l’entre deux guerres est faste pour le nouveau pays. Les terres des barons baltes font l’objet d’une réforme agraire et sont récupérées par les paysans. Les minorités nationales sont respectées, l’industrie se développe. Cependant, devant les difficultés dues à la crise et la complexité de la vie politique, à l’instar de ce qui se passe dans les pays voisins, le président élu Ulmanis prend les pleins pouvoirs en 1934.
En 1939, le pacte germano-soviétique entraîne l’occupation du pays par l’URSS, occupation très dure, avec la déportation de l’élite locale et des intellectuels en Sibérie.
1940 marque la rupture du pacte : au début les Allemands sont accueillis en sauveurs, mais pas pour longtemps. La quasi-totalité des juifs (80 000) sont massacrés dans les forêts ou exterminés dans les camps.
En 1945, les Soviétiques reviennent, le pays se voit imposer un régime contre nature, avec déportation en masse de paysans propriétaires, collectivisation des terres. Toutes les relations établies depuis des siècles avec les pays européens sont rompues, une industrie lourde est créée avec l’apport de population russe.
Enfin l’indépendance
1991 : l’indépendance. Comment se remettre de 45 ans d’occupation ? Par déportation ou émigration la population lettone a diminué, et sur les 2 300 000 habitants les Russes en représentent 50 %. Qui a droit à la nationalité lettone ? En 1918 elle avait été donnée à tous sans discrimination, mais maintenant ? Comment considérer les Russes arrivés depuis 1945 ? La nationalité ne leur est reconnue qu’à certaines conditions : posséder la langue lettone et connaître l’histoire et la Constitution du pays, ce qui explique qu’il reste encore un certain nombre de « non-citoyens lettons » sans droit de vote mais qui ont accès aux services sociaux comme tout citoyen.
Quelle confiance avoir en la politique ? Et de toutes façons comment échapper à une multiplication des partis qui, sous des noms divers, représentent avant tout des intérêts de communautés linguistiques, et sont en grande partie gangrenés par la corruption ?
Pourquoi ne pas s’unir, au-delà de déclarations d’intention avec les autres pays baltes ? C’est difficile : leurs intérêts économiques sont globalement les mêmes. Les deux autres sont plus assurés : la Lituanie s’appuie sur la Pologne, l’Estonie sur la Finlande. Et la Lettonie ? Sur la Russie ? Surtout pas ! Il faut savoir qu’il n’y a pas une famille qui n’ait été frappée par les déportations de l’ère stalinienne.
La situation actuelle
En 2008, la crise économique frappe très fort. Dettes accumulées vis-à-vis du FMI, de l’UE, les salaires des fonctionnaires sont divisés par deux, de nombreux Lettons partent chercher du travail à l’étranger.
Le 2 octobre 2010, comme tous les quatre ans, ont lieu les élections législatives. On peut lire dans la presse internationale « bien informée » que l’on va assister à un tournant. Devant le mécontentement dû aux mesures économiques drastiques le parti du premier ministre risque de ne pas obtenir de majorité. Le parti du « Centre Harmonie », qui rassemble essentiellement des russophones (actuellement 30 % de la population), a le vent en poupe. Il a d’ailleurs accédé récemment à la tête de la municipalité de Riga, il promet de revoir les mesures financières trop dures pour la population, se tournant vers la Russie, il est en liaison avec « Russie Unie », le parti de Poutine.
D’après les sondages on devait assister à un succès de l’Harmonie, beaucoup de Lettons de souche étant atteints très durement par les mesures gouvernementales et dégoûtés de la corruption généralisée de leurs élites.
Résultat : la majorité revient à l’Unité, regroupement de centre droit, mené par Valdis Dombrovski, âgé de 39 ans, premier ministre depuis mars 2009, qui a promis la poursuite d’une politique d’austérité, tournée vers l’Union Européenne dont la Lettonie est membre depuis 6 ans. L’Unité a refusé toute alliance avec la droite populiste impliquée dans des scandales financiers ; en revanche le premier ministre a tendu la main aux 29 députés élus du « Centre Harmonie » qui est arrivé second.
Les Lettons, bien que sceptiques sur le politique, ont plus voté que précédemment (participation de 62,6 %) cependant qu’une forte abstention se constatait dans les régions les plus russophones.
Espérons que, comme le dit un électeur au soir des élections : « Valdis Dombrovski est sérieux et en plus c’est sans doute notre premier chef de gouvernement à être honnête » ; il est le plus jeune chef de gouvernement de l’UE, mais l’objectif d’atteindre en 2012 les critères d’adhésion à l’euro est-il réalisable ? A suivre…