Publié le 08/02/2011
Interview de William Mejia[[1 – William Mejia est attaché de presse à l’ambassade de France en Lituanie depuis quelques mois ; il a habité à Riga 6 mois lors de son mastère.]]
Par Arlette Mauriès, participante au voyage
De nombreuses minorités existent en Lettonie, originaires de Lituanie, Estonie, Pologne, Allemagne, Biélorussie, Ukraine et surtout Russie. En s’appuyant sur les statistiques, William Mejia ne nous parlera que de la minorité russe, très importante, et dont la présence est un objet de crainte en Lettonie.
On a peu parlé en France de cette minorité russe, sauf lors de l’adhésion de la Lettonie à l’Europe en 2004 à propos du statut, étrange et unique en Europe, de « non-citoyens ».
Pourquoi ces craintes ?
La population russe de Lettonie est importante mais inégalement répartie. Elle est beaucoup plus dense dans les villes comme Riga et dans ses alentours, ainsi que dans la province de Latgalé près de la frontière russe où elle peut atteindre – voire dépasser – 50 % de la population !
Lors de l’indépendance, en 1991, les Russes arrivés pendant la période soviétique (depuis 1940) sont restés en Lettonie où la situation se révèle meilleure qu’en Russie. Effrayés par leur nombre et par le risque d’une nouvelle perte d’indépendance, les Lettons créent pour eux le statut de « non-citoyen », qui leur interdit de voter et d’accéder à certaines professions (juge, avocat, fonctionnaire…).
Non-citoyen
Lors de l’indépendance de la Lettonie, une première loi provisoire accorde la citoyenneté automatiquement à toutes les personnes qui résidaient en Lettonie avant 1940 ainsi qu’à leurs descendants. En effet pour les Lettons, l’indépendance obtenue en 1991 prend la suite de la première période d’indépendance de 1918 à 1940. La période 1940-1991 est ainsi mise entre parenthèses, car il s’agit d’une période d’occupation illégale par les Soviétiques. Les personnes arrivées après 1940 ne sont donc pas considérées comme des citoyens lettons.
Après le départ définitif des Soviétiques le 24 avril 1994, la question de la nationalité est relancée. Il y a d’une part le souhait de verrouiller le pourcentage de population lettone dans le pays (au moyen de quotas annuels de naturalisation) et d’autre part celui de s’ouvrir à l’Europe. Un compromis est nécessaire, ce qui conduit à voter une nouvelle loi.
Les Lettons ont intégré de plus en plus de minorités russes de leur territoire. La proportion de Lettons croît ainsi lentement mais régulièrement : + 10 % de 1996 à 2010. En 2010 les citoyens lettons constituent environ 82 % de la population, les non-citoyens de Lettonie environ 15 %, les autres 3 %.
Depuis le processus de naturalisation initié en 1995, 133 050 personnes ont reçu la citoyenneté lettone. De 1995 à 1998 les naturalisations s’opèrent d’abord par fenêtres d’âge ; puis leur nombre explose par deux fois : d’abord à la suite de la loi sur la citoyenneté de 1998 puis lors de l’entrée dans l’Union Européenne en 2004. Le nombre des non-citoyens diminue de 49 % alors que les citoyens augmentent d’environ 4 %.
Un démographie inquiétante
On observe une forte baisse de la natalité et la population vieillit : depuis plusieurs années il y a moins de naissances que de décès ! En conséquence les deux populations, tant lettone que russe, décroissent ; de sorte que « l’accroissement naturel » – solde entre naissances et décès – est en fait négatif, et ce aussi bien chez les Russes que chez les Lettons. La crise apparue en 2008 accentue encore le phénomène.
L’émigration a surtout concerné les Russes qui se sont installés en Ukraine et au Biélorussie de 1995 à 2002. Elle a repris en 2006 avec un nouveau départ de Russes vers la Russie et, depuis la crise de 2008, avec une forte émigration des Lettons, principalement vers la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Ukraine et les États-Unis.
En résumé la proportion de citoyens lettons augmente avec l’intégration d’une partie des populations russophones mais une question reste : les Russes seront-ils toujours loyaux à la Lettonie ?
Diabolisation de la minorité russe
L’histoire : les Lettons se souviennent de la brutalité du retour dans le giron soviétique après leur première indépendance (1918-1939). Ils savent que chaque fois que l’URSS a perdu des territoires elle s’est agrandie à nouveau en en annexant d’autres. De plus la Lettonie a été une des républiques les plus avancées du territoire russe ou soviétique : Riga, 2ème port tsariste, fleuron de la Russie, constitue une position convoitée.
Deux visions de l’Histoire s’affrontent : selon les Russes, les pays baltes sont entrés de leur plein gré dans l’empire soviétique ; alors que selon les Baltes il y a eu occupation et colonisation de leur pays, avec la déportation massive de dizaine de milliers de Lettons vers la Sibérie soviétique.
De plus le doute existe sur la loyauté des Russes intégrés : ne pourraient-ils pas se retourner un jour vers leur ancienne patrie ?
La situation est d’autant plus cruciale que le pays dépend de la Russie pour ses ressources énergétiques (Gazprom).
Rancunes et stéréotypes sont entretenus, conduisant à une mauvaise image les uns des autres. Les Russes considèrent généralement les Lettons comme des fascistes qui les ont chassés lorsque les Allemands sont arrivés, croyant recouvrer leur liberté. De plus ils estiment qu’ils ont permis le développement du pays qui, en 1940, n’était qu’un pays de paysans ; idée fausse puisque, avant la 2ème guerre mondiale, la Lettonie était plus avancée économiquement que l’Union soviétique !
De leur côté les Lettons constatent que les Russes les ont spoliés de leurs biens et expropriés de leurs appartements – récupérés par les officiers soviétiques. De plus il leur était interdit de parler letton.
Griefs et rancunes sont toujours utilisés par les politiques.
La vie politique est essentiellement fondée sur les origines ethniques : sur l’échiquier politique, les Lettons se situent à droite et les Russes à gauche. Même les Verts sont situés à droite. Le parti communiste est désormais interdit.
Dans le système à la proportionnelle, il est difficile d’obtenir la majorité tant il y a de partis en lice. Cela oblige à la formation de coalition qui donne du pouvoir aux radicaux lettons ; en effet les partis moins extrémistes préfèrent s’allier à ces partis lettons plutôt qu’à des Russes plus modérés. Les Lettons nationalistes ont donc du poids.
Empêcher les Russes de voter (statut de non-citoyen) permettait de garder une vie politique dominée par les Lettons.
Mais la situation évolue : pour la première fois, en 2009, les habitants de Riga ont élu un maire russe : écœurés par les affaires de malversations et de gaspillages les Lettons n’étaient pas allés voter. Du coup, les russophones, profitant des naturalisations, ont pu peser sur les élections.
La langue ciment de l’identité lettone
Avec des minorités d’origines différentes, la Lettonie n’a jamais été un pays unifié avant 1919.
En fait l’unité lettone tient à la langue qui constitue son identité.
Cela laisse une chance aux russophones d’intégrer l’identité lettone par son apprentissage.
La population a évolué par rapport à la langue lettone. Les Russes arrivés entre 1950 et 1960 ne connaissent pas du tout la langue et ne veulent pas l’apprendre. C’est surtout à eux qu’est refusée la nationalité. Mais avec le temps leur nombre diminue et ils vont progressivement disparaître.
Depuis 1991 le letton est la langue officielle. Le système soviétique d’écoles russes et lettones a persisté après l’indépendance. En 1998 la réforme de l’éducation a obligé les écoles russes (et d’autres minorités) à accroître le nombre de cours donnés en letton (70 % en terminale). En 2004 obligation est faite à toutes les écoles de dispenser les cours en letton.
Comme langue d’enseignement, la part du letton ne cesse d’augmenter, celle du russe diminue. Le nombre d’élèves diminue pour les deux ce qui confirme l’évolution démographique très inquiétante.
Comme langue étrangère, le russe est en croissance ; c’est la deuxième langue enseignée après l’anglais, qui reste stable comme le français, aux dépens de l’allemand qui diminue.
Il y a une forte cassure dans la progression en 2008 liée aux coupes importantes dans le budget de l’éducation nationale.
En conclusion, la population lettone incorpore de plus en plus de citoyens russophones. Le programme de naturalisation a un impact sur la vie politique.
Les Lettons apprennent le russe et les jeunes Russes parlent de plus en plus letton même s’ils habitent dans des quartiers plus ou moins exclusivement russes.