Réforme territoriale : un bouleversement trop ignoré du grand public

Publié le 09/02/2011

Par Georges Gontcharoff, Association pour la Démocratie et l’Éducation Locale et Sociale-ADELS, et revue Territoires

Après son intervention en juin dernier devant les membres de La Vie Nouvelle de la région Ile-de-France, Georges Gontcharoff nous adresse ce texte qui souligne les grands points de la réforme des collectivités territoriales votées le 28 septembre, mais qui suscite de vives polémiques.


Le cheminement parlementaire de la loi de réforme des collectivités territoriales prend presque fin. Commencé à la fin janvier par la première lecture sénatoriale, il s’est achevé le 23 septembre par le vote en deuxième lecture de l’Assemblée Nationale.

Nous sommes en présence d’un texte très long et juridiquement très complexe qu’il n’est pas question d’analyser ici et surtout pas de manière exhaustive. Il s’agit seulement de donner quelques éléments synthétiques et nécessairement simplificateurs.

Comme toujours avec le Président de la République et le gouvernement, la réforme commence par une série de stigmatisations de l’existant qui justifie l’intervention législative.

Haro sur le mille-feuille

La première stigmatisation est celle de notre architecture institutionnelle locale, celle du fameux « mille-feuille » : il y a trop de niveaux, trop de concurrences, de doubles emplois budgétivores. Les citoyens-électeurs ne s’y retrouvent pas et c’est pour cela que l’abstentionnisme électoral s’accroît. Il faut donc supprimer des niveaux, clarifier et simplifier. L’idée principale, mais masquée, est la suppression à terme du département, prônée par les rapports Attali et Balladur. Comme cette ambition n’est pas immédiatement réalisable et soulèverait des difficultés politiques majeures, le projet de loi comporte comme mesure phare la création d’un conseiller territorial qui, à partir de mars 2014, gérera à la fois le département et la région. Les conseillers généraux et les conseillers régionaux sont donc appelés à disparaître. Les conseillers territoriaux seront élus dans de nouveaux cantons appelés « territoires » (moins nombreux que les anciens) au scrutin uninominal majoritaire à deux tours, comme les conseillers généraux actuels. Par rapport au scrutin régional, c’est un recul considérable de la représentation pluraliste et surtout de la parité hommes/femmes. Neuf fois sur dix, les conseillers territoriaux seront des hommes, et les femmes seront suppléantes. Toutes les sanctions financières vis-à-vis des partis misogynes n’y feront rien. Les conseillers territoriaux sont appelés à mettre de la coordination et de la cohérence entre les politiques des deux assemblées qui ont pourtant des vocations totalement différentes, la première étant gestionnaire (surtout du social) la seconde étant stratégique et prospective.

Diminuer le nombre des communes

Les Pays qui, depuis 1965, sont montés en puissance et ont fait largement leur preuve de moteurs du développement local, perdent leur reconnaissance législative. Ils ne subsisteront que si les régions prennent le relais.

La carte de l’intercommunalité doit être complètement restructurée, avec l’intervention autoritaire du préfet : les 3 000 et quelque communes qui sont restées jusqu’alors en dehors de l’intercommunalité, seront intégrées – s’il le faut de force – dans les communautés ; les petites communautés seront regroupées ; une gestion moderne de la France ne peut pas s’accommoder de 36 540 communes dont plus de 22 000 de moins de 500 habitants ; le projet de loi pousse à la fusion des petites communes dans des « communes nouvelles » pour diminuer leur nombre ; le maximum de syndicats intercommunaux seront intégrés aux communautés.

Des élus trop dépensiers

La seconde stigmatisation concerne les élus locaux et elle a été très rude, en particulier dans les discours du Président de la République : des élus « usés », trop nombreux, dépensiers, mauvais gestionnaires, ponctionnant sans limite les contribuables, responsables principaux de la dette publique, se mêlant de toutes les compétences, même de celles qui ne leur sont pas attribuées ou sont attribuées à d’autres, embaucheurs de fonctionnaires territoriaux pléthoriques, souvent improductifs et inutiles. Pour remédier à cette situation, il faut, d’une part, diminuer le nombre d’élus, en particulier en diminuant le nombre de structures, et il faut, d’autre part, obliger les élus à « réduire la voilure », c’est-à-dire à s’occuper de moins de choses. L’une des mesures consiste à ramener les départements et les régions à leurs « compétences d’attribution » (c’est-à-dire les compétences qu’une loi leur attribue nommément) et à leur interdire d’intervenir dans les autres domaines. C’est ce que l’on appelle « la suppression de la clause de compétence générale » qui permet actuellement aux collectivités locales d’intervenir dans tous les domaines qu’elles jugent librement importants pour leur territoire, même si la loi ne les leur a pas attribués. Or c’est avec cette clause que sont financés les domaines nouveaux non couverts par la loi, les expérimentations, notamment associatives, la créativité des acteurs locaux… Ce sont ces domaines qui marquent les spécificités des politiques locales, les choix volontaires des élus qui autrement en sont réduits à être les simples exécutants des politiques nationales.

Réduire les financements croisés

L’autre mesure consiste à réduire au maximum les « financements croisés », eux aussi fortement stigmatisés, comme source de complexité, de retards et de dépenses inconsidérées. Par ce système plusieurs niveaux de collectivités s’unissent dans un groupe de pilotage, avec un chef de file, pour co-financer une action qu’aucune d’entre elles ne pourrait réaliser seule. Le gouvernement n’en veut plus. Tout le monde peut trouver des exemples de réalisations, en investissement ou en fonctionnement, qui ne pourraient exister sans la conjonction des financements de plusieurs financeurs. Ces mesures visent évidemment à réduire l’étendue de l’intervention publique locale.

L’avenir serait dans les métropoles

La troisième stigmatisation est relative à l’archaïsme de notre système institutionnel local, hérité de la France rurale. L’avenir est urbain et même métropolitain. Faute d’une structure et d’une gouvernance adéquates, nos métropoles sont en position de faiblesse, face à la concurrence impitoyable des grandes villes européennes et même mondiales. Le projet de loi crée donc deux nouvelles structures de coopération intercommunale : les « métropoles » et les « pôles métropolitains ». Les métropoles (7 ou 8) sont des super-puissances aux compétences très nombreuses et aux financements très intégrés. Elles posent le problème de la survie des communes qui la composent, vidées de leurs compétences et de leurs moyens, de la gestion du périurbain devant des métropoles envahissantes et même des départements qui les englobent. Surtout cette décision n’a été accompagnée d’aucune vision nouvelle de l’aménagement du territoire. Que deviennent les territoires qui ne sont pas métropolitains ? Tous les élus ruraux sont montés à l’assaut pour défendre leur espace que l’on dit maintenant « résiduel ». En quoi les métropoles peuvent-elles être des locomotives entraînant le développement de tout le territoire national ? Toutes les doctrines et pratiques traditionnelles d’équilibre entre l’urbain et le rural sont bouleversées.

Un recul de la démocratie ?

Plusieurs lectures ont été données de ce texte parlementairement imposé par l’UMP, malgré les réticences du centre qui a finalement cédé. Il contient des éléments incontestables de recentralisation, et surtout d’uniformisation, par réduction de l’autonomie locale, déjà mise à mal par la suppression de la taxe professionnelle. Il est une application de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) que l’État s’impose à lui-même et qu’il impose aujourd’hui fermement aux collectivités locales. Il constitue une nouvelle menace pour le service public et de nouvelles chances pour sa marchandisation, au moins partielle, au profit du privé. L’État a déjà considérablement rétracté l’intervention de ses services sur le territoire. Demain les élus locaux n’auront plus les moyens juridiques (clause de compétence générale) et encore moins financiers de poursuivre des services à la population qui sont pourtant plus nécessaires que jamais, comme amortisseurs sociaux de la crise. La tradition républicaine de la proximité, c’est-à-dire d’un élu enraciné dans une population, risque de s’effacer devant un élu froidement manager, plus technicien que politique. C’est un recul de la démocratie représentative, mais aussi participative dont le projet de loi ne dit naturellement pas un mot.

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