Publié le 08/02/2011
Par Mathieu Pomart, Participant au voyage
Comme les autres Pays Baltes, la Lettonie est aux prises avec une difficile liberté. Depuis la chute de l’URSS et son indépendance en 1991, les habitants ont connu un brusque changement de mode de vie. D’une part, ils sont confrontés à une liberté sociale et à une liberté économique, en continuant d’évoluer sous une forme de développement, encore marquée du sceau de l’URSS. D’autre part, ils doivent développer des relations avec les pays voisins ou les pays les plus proches économiquement : la Suède, la Biélorussie, et l’Allemagne puis l’UE. Enfin ils sont amenés à s’insérer dans la mondialisation.
L’inconscient collectif est marqué par une forte ambiguïté : pour un jeune adulte prendre son autonomie va consister à exercer, sans repère fixe, une liberté nouvelle, dans une vie sociale autrefois contrôlée par l’omniprésent État soviétique et à définir son indépendance culturelle.
L’apprentissage difficile
de la liberté
Le modèle d’éducation et de société orientée vers l’Europe semble encore lointain ; le passage à l’euro ne se fera qu’après 2014, s’il se fait. Cependant la jeunesse lettone s’impatiente et découvre de nouveaux styles de vie plus européens auxquels elle voudrait s’identifier. La croyance en la stabilité de la région construite sur les échanges des Pays Baltes avec la Finlande, la Norvège et la Suède est fragile.
La Lettonie demeure souvent figée dans l’apprentissage de la liberté difficile, par inhabitude de la délibération sociale ou démocratique, entretenue par un lourd héritage soviétique. Une telle phase de transition de l’ex-URSS à l’Union Européenne (UE) est toujours une épreuve pour une société qui doit habituer ses citoyens à perdre les repères anciens de l’État socialiste et à redécouvrir et à réenchanter une culture longtemps occultée.
Un fragile désir d’être européen
Réservée quant aux relations économiques avec les Russes, elle est mieux à même de saisir une opportunité de rapprochement avec la vieille Europe. La Lettonie demeure riche de cette contradiction d’être simultanément insérée dans les relations avec le nord de l’Europe et prise dans une forme d’attentisme spécifique aux nouvelles formes de développement culturel. Le relatif retard européen de la Lettonie peut s’expliquer par ses hésitations dues à son brusque saut dans l’Europe en 1991, qui crée une peur de l’ouverture et de l’échange normalisé et égalitaire utilisant la même monnaie, l’euro, avec d’autres pays du continent.
Les Lettons s’interrogent également sur leur place dans la mondialisation. Cette peur de l’ouverture s’accompagne d’une crainte d’une dévalorisation culturelle, et d’un coût social exorbitant dérivé de l’adhésion à l’Europe. Comment faire converger l’attente et le désir de participation qu’accompagne la décision d’adopter l’euro comme monnaie nationale ? Comment faire comprendre la nécessité d’un ancrage social et culturel fort en Europe pour renforcer celle-ci ? La Lettonie et les autres Pays baltes soulignent, de par leurs positions historiques et économiques, la fragilité du désir d’être européen, la peur d’une dissolution culturelle et économique des identités nationales dans l’identité européenne de 2011, qui n’est plus l’identité européenne de 1991.
Le refus de l’hyper capitalisme
La jeunesse éprise de liberté bute sur les défauts de cette liberté et sur son caractère très nouveau. La Lettonie est éprise d’une difficile liberté comme peut l’être un pays dont les identités culturelles et historiques ont été rendues exsangues par les occupations successives et un demi-effacement raté de la mémoire. A l’heure de la progression des puissances économiques et sociales émergentes, telles que la Chine et l’Inde qui cherchent à imposer un mode de développement beaucoup plus dur, il n’est pas possible de ne pas s’interroger sur les atouts du modèle de développement européen et donc pour les nouveaux pays entrants, comme pour les vieux pays, sur ce qu’est « être encore européen » au XXIème siècle.
Désirer être européen en 2011 demande que soient interrogés de manière très spécifique les avantages issus de cette adhésion à l’Europe des 27.
Il peut paraître paradoxal de proposer une forme de développement que les grands pays comme l’Inde ou la Chine ont adopté, c’est-à-dire un développement hyper-capitaliste, où l’indexation du coût de la vie est le seul coût économique que l’on va retenir pour les habitants.
Être letton, comme être européen, ne signifie donc pas se soumettre à la forme de développement des puissances émergentes actuelles, mais refuser tous ces modes de développement, sociaux et culturels et au contraire de lier aux notions de développement économique, financier et capitalistique, la notion de bien-être humain, que savent transmettre des pays comme la Lettonie. Voyager, transmettre, être socialement lié, se cultiver, partager c’est savoir se protéger d’une dissolution des forces de la vie, le « bien-être » étant l’un des critères du développement, parmi les plus évidents, que les politiques économiques doivent prendre en compte.
Être européen et letton ; quand le possible devient désirable
La Lettonie illustre donc de façon exemplaire le paradoxe européen actuel ou le prix que l’Europe continentale doit fixer à tous les autres pays entrants pour pouvoir demeurer un continent d’accueil où vivre signifie un bien-être réel. Finlande, Suède et Norvège, ses voisins à la personnalité marquée, doivent demeurer des exemples de démocratie sociale et coopérative, dans la mesure où ils peuvent s’intégrer à la force culturelle du continent européen. Ces pays du Nord de l’Europe sont des enjeux pour les sociétés futures, des enjeux cruciaux pour équilibrer l’Europe, sur un pôle de développement sûr et réel. Un pôle qui tiendrait à distance le nouveau centre de gravité que représentent les puissances financières émergentes (la Chine, l’Inde, mais aussi le Brésil, la Malaisie…).
Avoir une monnaie unique, des règles unifiées, des institutions communes, et des types de socialisation à peu près semblables n’est en aucune manière se muer en une entité informe, mais bien, à l’inverse, vivre bien et différemment son identité européenne.