L’agriculture sahélienne 20 ans pour relever les défis

Publié le 01/06/2010

Par Joseph Serin, Groupe de Rodez

Ce regard est le résultat d’un voyage au Burkina Faso effectué en janvier 2009 avec cinq autres personnes du Groupe de Rodez .
L’article propose un cheminement autour de trois idées :
– l’agriculture est l’enjeu majeur de l’Afrique ;
– nous avons constaté un extraordinaire foisonnement d’initiatives au Burkina Faso ;
– il y a urgence pour une Politique Agricole et Alimentaire Commune (PAAC) au niveau de l’Afrique de l’Ouest.


L’agriculture sahélienne est limitée par le manque d’eau et la grande variabilité de la pluviométrie. Le niveau de productivité de l’agriculture familiale reste très faible : un actif cultive en moyenne un hectare et produit une tonne de céréales en culture pluviale. Les paysans et de leurs familles cultivent à la main et la culture attelée reste encore trop minoritaire. Cette très faible productivité explique la pauvreté de masse de la population agricole.

L’histoire du développement agricole depuis l’indépendance peut être résumée en trois périodes qui présentent des contextes très différents :
La période 1960-1980 au cours de laquelle le développement agricole, considéré comme prioritaire, a été impulsé par les Etats nouvellement indépendants et a été réalisé sous l’influence de l’ancienne puissance colonisatrice et des grandes organisations financières. Globalement cette période fut un échec et les Etats, endettés sous la contrainte des ajustements structurels du FMI, se sont alors désengagés.

Au cours de la période 1980-2007, le contexte mondial est néolibéral, la production alimentaire mondiale est supérieure à l’augmentation de la population, la population urbaine africaine est de plus en plus nourrie avec des produits à bas prix provenant de pays qui subventionnent les exportations (Europe, USA) ou des pays compétitifs au niveau du commerce international (Brésil, Thaïlande).

Les agricultures sahéliennes, peu protégés, sans politique propre, sans financement important de la part des mêmes organisations internationales (l’aide publique aux projets agricoles ne représentent en 2000 que 4 %), ne peuvent compter que sur leurs propres ressources avec le soutien financier et l’appui d’ONG de pays riches.

Les années 2007-2010 se caractérisent par une extrême volatilité des prix agricoles (flambée suivie d’effondrement de ces mêmes prix), par des émeutes de la faim dans les villes, par une nette augmentation de la population mondiale souffrant de la faim (1 milliard en 2010 dont 75 % sont des paysans et des ruraux), par l’apparition de la concurrence des agrocarburants et enfin par l’achat de terres agricoles par des pays tels que la Chine et la Libye.

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En réaction, il est affirmé que la souveraineté alimentaire et le droit à l’alimentation sont des revendications légitimes ; que l’agriculture redevient une priorité dans la perspective de nourrir l’humanité en 2050 et que le développement agricole est à nouveau considéré comme outil principal de lutte contre la pauvreté.
L’agriculture en Afrique Subsaharienne doit quintupler sa production pour parvenir, en 2050, à nourrir sa population. Michel Griffon démontre que c’est possible[[1 – Nourrir la Planète, Michel Griffon]].

Un extraordinaire foisonnement d’initiatives au Burkina Faso

La population du Burkina Faso (15 millions d’habitants) a doublé au cours des 25 dernières années. Les actifs agricoles représentent 80 % des actifs totaux.

L’augmentation importante de la population agricole a modifié le mode d’exploitation des sols : à une brousse avec jachères et cultures itinérantes ont succédé maintenant des champs cultivés en permanence. L’absence de jachère pose le problème du maintien de la fertilité des sols.

Pour faire face à de nombreux défis : croissance démographique, fertilité des sols, emplois, ont été mises en œuvre de multiples initiatives sous l’impulsion de nombreuses ONG burkinabées.

– Intensification agronomique et agroécologique

Dans le contexte climatique et de fertilité des sols sahéliens, l’apport d’intrants industriels ne peut être la solution immédiate parce que trop coûteux et aléatoire au niveau des résultats.
Ainsi dans le Sahel sec (entre 500 et 1 000 mm d’eau par an sur quatre mois, soit au nord de la capitale Ouagadougou) ont été mises au point, sous l’impulsion d’ONG locales de développement tels que les « groupements Naam », l’ASDC à Méguet et bien d’autres dans tout le pays, plusieurs techniques agroécologiques :
– le Zaï (réalisations de petits trous avec apport de compost avant la saison des pluies),
– les cordons pierreux disposés selon les courbes de niveau pour éviter l’érosion,
– les fosses fumières pour fabriquer le précieux compost,
– la préservation d’une savane arborée dans laquelle certains arbres (acacia albida, karité, jujubier, morenga…) sont utiles à la fois pour les sols, les hommes et les animaux,
– et enfin une indispensable intégration agriculture/élevage.
Lorsque ces techniques sont appliquées on obtient un doublement des rendements. Celles-ci nécessitent toutefois un énorme travail en saison sèche et dans la durée, travail parfois allégé et facilité mais pas rémunéré.

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– Des succès incontestés : le maraîchage et le coton

La production de maraîchage dans de petits périmètres enclos et irrigués pendant la saison sèche de novembre à février constitue le véritable succès des deux dernières décennies.
L’effet bénéfique sur l’alimentation ne peut être que positif.
Le coton3 cultivé dans les zones plus pluvieuses du Sud-Ouest est destiné à l’exportation.

Bénéficiant d’un filière bien organisée, soutenue par une organisation dynamique de producteurs, cette production a hissé le Burkina Faso au niveau des plus importants producteurs africains. Le système coton démontre la capacité et le potentiel d’une agriculture soudano-sahélienne qui peut se prévaloir de bons résultats pour la culture elle-même comme pour les cultures vivrières en rotation. Malheureusement la filière coton connaît d’importantes difficultées financières depuis 2005 à la suite des baisses des cours des marchés mondiaux.Cela démontre la fragilité des dynamiques qui dépendent du contexte international.Cela réhabilite l’urgence de l’organisation de grands marchés régionaux et la nécessité de diversifier les cultures d’exportation. Maurice Oudet pense que le sésame, peu répandu au Burkina, pourrait être une culture d’avenir[[2 – www.abcburkina.com]].

– Des diversifications d’activités

La fédération des groupements Naam a créé une organisation regroupant plusieurs ONG de développement situées dans les autres pays d’Afrique de l’Ouest, qui se nomme Six S (Savoir Se Servir de la Saison Sèche au Sahel). Cela veut traduire une volonté farouche de créer de l’activité en dehors de la saison pluviale. Outre le maraîchage déjà évoqué, on rencontre de multiples initiatives : fabriques de savon, élevages de moutons de case, fabriques de beurre de karité… Et aussi des initiatives plus collectives : alphabétisation, microcrédit, greniers de sécurité, moulins collectifs motorisés…

– La force de l’animation

Nous avons rencontré Bernard Lédéa Ouédraogo, qui est le créateur des groupements Naam et qui incarne la volonté de « développer sans abîmer notre culture et la nature ». Ancrée dans les valeurs et les mentalités des populations et grâce à des outils pédagogiques appropriés, l’animation vise à susciter un « éveil de conscience » qui génère l’effort de réflexion pour explorer et améliorer toutes les capacités de production.

– Les organisations paysannes

Le mouvement paysan d’Afrique de l’Ouest est devenu une réalité. En 2000 des organisations paysannes de 10 pays ont créé le ROPPA (Réseau des Organisations Paysannes et de Producteurs d’Afrique de l’Ouest). Elles prennent des positions sur la souveraineté alimentaire nationale, elles défendent les exploitations familiales face aux importations alimentaires venant des agricultures industrielles. Des leaders paysans incarnent ce mouvement[[
3 – Défis agricoles africains, direction Jean-Claude Devèze]].

L’urgence d’une PAAC en Afrique de l’Ouest

Au vu de cet acquis patiemment construit par les paysans africains, certaines conditions de base sont réunies pour permettre à l’Afrique de développer son agriculture. Toutefois seul le politique peut créer les conditions de faisabilité et décider notamment de deux facteurs essentiels : le problème des prix agricoles et l’organisation d’un grand marché régional ouest-africain.

– Le problème des prix agricoles

L’organisation actuelle du commerce agricole mondial libéralisé est très dangereuse pour les pays pauvres, car elle tend à privilégier l’achat extérieur à bas prix au détriment des productions locales. Le Burkina Faso importe ainsi des brisures de riz de Thaïlande, de la poudre de lait subventionnée à l’exportation par l’Union Européenne, maintenant à des prix non rémunérateurs la production locale de riz et la production de lait à proximité des villes[[2]].

Des prix rémunérateurs et stables peuvent créer un effet de levier considérable pour résoudre la pauvreté, pour accroître le revenu de 80 % de la population et pour soutenir les efforts de productivité, d’intensification agronomique et de création d’emplois ruraux.
Ces prix peuvent être obtenus par une protection douanière.
Mais de nombreux gouvernements hésitent en raison de la crainte de nouvelles « émeutes de le faim » de la part des populations pauvres des villes.

– L’organisation d’un grand marché commun régional

Actuellement il est inexistant, mais sous la pression des organisations paysannes il y a une lente amorce de concertation au sein de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), en vue de la création d’un tarif extérieur commun dans le but d’accroître la protection douanière.

Se déroulent aussi des négociations entre l’Union Européenne et les Pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). Elles visent à mettre en place des accords de partenariat économique. De nombreux pays africains, dont l’exportation vers l’Europe n’est pas significative, sont très mécontents et considèrent que les propositions de l’Union Européenne sont dangereuses : l’agriculture n’est pas traitée à part et les grands ensembles régionaux en cours de construction ne sont pas considérés.
Il a fallu moins de 20 ans aux pays européens et asiatiques, dans les années 60, et dans un contexte de politiques publiques volontaires, pour construire une agriculture qui nourrisse leur population. Il a fallu 20 ans au Brésil, dans les années 80 et dans un contexte totalement libéral, pour devenir un géant agricole. Parions qu’au cours des 20 prochaines années, les agricultures africaines auront relevé les nombreux défis.

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