La Grèce, un pays inconnu

Publié le 01/04/2010

Par Michèle Le Bars, Secteur Politique

Du 25 octobre au 1er novembre dernier, emmenés par le secteur politique de La Vie Nouvelle, nous avons été 32 personnes accueillies par des Grecs, acteurs de la vie économique, associative ou institutionnelle de leur pays, qui nous ont généreusement donné de leur temps pour nous parler sans langue de bois de leur pays. Nous les remercions de leur « philoxénia », leur hospitalité.


En allant en Grèce pour notre huitième voyage d’études européen, nous pensions aller en terrain connu : la Grèce fait depuis longtemps partie de l’Union Européenne (1981), beaucoup d’entre nous y ont fait du tourisme, nos théâtres affichent les pièces de Sophocle, Eschyle ou Euripide. Or le sentiment le plus vif qui nous habite après ce voyage et toutes les rencontres que nous avons eues, c’est l’étrangeté, la singularité de ce pays en Europe. Et en même temps il suscite en nous tant d’échos !

Etre grec, c’est habiter un pays bien plus petit que ne l’était la Grèce ancienne qui s’étendait largement en Asie Mineure et avait des colonies dans tout le monde méditerranéen et moyen-oriental. Aujourd’hui, le pays compte 11 millions d’habitants, mais la diaspora est estimée entre 4 et 8 millions. Un projet de loi est à l’étude pour pour accorder le droit de vote à ces Grecs qui vivent hors du pays. En comparaison, la France compte 2 millions de Français expatriés, soit en proportion 12 fois moins…

Petit pays, forte diaspora, génie du commerce et génie maritime. Les Grecs que nous avons rencontrés voyagent, parlent des langues étrangères couramment. Deux langues étrangères sont obligatoires en primaire ! Nous avons eu la chance de rencontrer des binationaux gréco-français, s’exprimant parfaitement dans notre langue, capables d’avoir sur leur pays un regard sans complaisance parce que distancié, tout en révélant leur fort attachement à la grécité.

Il est difficile de devenir grec. En Grèce, c’est le droit du sang et non le droit du sol : le nouveau gouvernement socialiste devrait assouplir les règles. Nous avons rencontré une femme grecque de mère française, née, ayant vécu et fait ses études en France et dont le père grec vivant au Maroc ne parlait pas grec. En arrivant dans le pays elle a été considérée comme grecque d’emblée.

Sur place, on est tenté de rechercher ce qui, dans la réalité correspond à notre imaginaire de la Grèce éternelle : oui, les Grecs aiment parler politique. Est-ce un héritage du temps d’Aristote, où la polis, la vie de la cité, était considérée comme supérieure à la vie privée ? Thucydide disait : « Un homme qui ne se mêle pas de politique mérite de passer, non pour un citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile ». Le 4 octobre, jour des dernières élections législatives, impossible de rencontrer certains des interlocuteurs pressentis pour notre voyage, même les musées fermaient avant l’heure « because elections » ! Les Grecs vivant en Europe sont volontiers élus municipaux. Il y a un réseau des élus grecs de l’étranger dans les collectivités locales d’Europe très actif.

Ici la religion s’identifie à l’histoire collective : l’orthodoxie a été le lieu d’identification et de résistance à 400 ans de présence étrangère et musulmane. 96% des Grecs sont orthodoxes et jusqu’en 2002 l’indication de la religion figurait sur la carte d’identité. C’est l’Europe qui en a demandé la suppression. Vus de notre laïcité intransigeante, la présence de popes dans tous les actes de la vie politique, la richesse foncière de l’Église orthodoxe, le fait que la religion semble plus une affaire de rites que de vie spirituelle, nous ont donné le sentiment que l’orthodoxie pesait sur la vie publique et menaçait parfois le pluralisme religieux.

Etre grec, c’est aussi être à la porte de l’Orient. Cela se traduit dans la vie de tous les jours : les mezzés, assortiment de petits plats comme au Liban, des rendez-vous impossibles à prendre à l’avance mais qui se concluent très bien in extremis (nous avons su que nous serions reçus au parlement l’avant-veille !). Cela se traduit aussi sur un plan géopolitique : proximité et bonnes relations avec des pays arabes, relations distantes avec Israël et conscience que le pays peut jouer un rôle de médiateur avec la Turquie.

La Grèce, un pays qui a besoin (lui aussi !) d’affirmer son identité nationale : la question de la protection de l’appellation contrôlée du fromage feta a pris en Grèce des proportions considérables. La presse grecque, ainsi que certaines institutions et médias officiels, ont fait de cette question une revendication nationale, en la reliant à deux autres de même type : l’usage du terme de « Macédoine » et la revendication du rapatriement des marbres du Parthénon actuellement au British Museum. Ainsi, la procédure de protection de la feta auprès de l’U.E. a-t-elle été vécue comme une menace d’appropriation du patrimoine culturel grec par des puissances étrangères.

Les réalités

Nous avons tous en mémoire le rayonnement de la Grèce à l’époque antique, ses victoires sur les Perses, son expansion méditerranéenne. Ce que ressentent les Grecs aujourd’hui est loin de ces schémas : ils ressentent douloureusement les traces de leur histoire récente. Après 400 ans d’occupation ottomane, ils ont acquis leur indépendance en 1830, mais sous contrôle des puissances européennes. En 1922, près d’un million et demi de Grecs ont dû quitter la Turquie où ils étaient établis depuis des siècles. Nos interlocuteurs étaient marqués par ces faits dans leur histoire familiale proche : un grand-père décapité, une famille obligée de partir de Smyrne (actuelle Izmir)… Et l’histoire plus proche est tragique, avec la guerre civile de 1945-1949, puis la dictature des colonels (1967-1974). Pays de la naissance de la démocratie, la Grèce est en fait une jeune démocratie, aux institutions encore fragiles, malmenées par la corruption et le népotisme.
Cette histoire explique beaucoup des difficultés actuelles de la Grèce : la situation économique et sociale est grave. Notre ami Claude Petit a cité sept défis majeurs que le nouveau gouvernement de Georges Papandréou aura à relever. Le précédent premier ministre, M. Caramanlis, conservateur, éclaboussé par des scandales, critiqué pour sa gestion des incendies, a provoqué des élections anticipées à mi-mandat, malgré les mauvais sondages. Il faisait valoir la nécessité d’un mandat clair pour adopter les mesures d’austérité nécessitées par la crise mondiale. Il était arrivé au pouvoir en 2004 pour conjurer ces mêmes problèmes…

Son successeur, Georges Papandréou a donc été brillamment élu le 4 octobre dernier, suscitant un immense espoir. Il a clairement rappelé les enjeux : « Nous avons cent jours pour réussir. Pas un seul ne doit être perdu. Le peuple grec nous attend. » Papandréou est très préparé. Son modèle est l’Espagnol José Luis Zapatero. Ses priorités sont nombreuses : nouvelle loi électorale, lutte contre la corruption, fin du gaspillage de l’argent public, remise en cause des liens avec l’Eglise, plus grande libéralisation des mœurs, etc. Mais c’est essentiellement dans le domaine économique que le test sera décisif pour le nouveau gouvernement, vu l’état de délabrement des finances publiques. Car la Grèce est dans un mauvais état : le gouvernement a une très petite marge de manœuvre : le déficit public avait été largement sous-estimé par son prédécesseur, il est d’environ 13% du PIB. La dette est autour de 120 % du PIB.

Déjà en 2004, les partenaires européens avaient demandé un audit financier de l’économie grecque, les statistiques étant largement falsifiées. La même suspicion règne encore aujourd’hui : Ecofin (le conseil économique et financier de l’U.E) vient de sommer la Grèce de fournir des statistiques fiables. C’est l’une des premières mesures prises par le gouvernement : assurer l’indépendance totale de l’Institut national grec de la statistique. Le budget de décembre 2009 vise à restaurer la crédibilité, en remettant les comptes en ordre et en luttant contre le gaspillage étatique institutionnalisé, en luttant aussi contre l’évasion fiscale, en travaillant à ce que les Grecs aient confiance dans leurs institutions. Symbole de cette évolution : le ministère de la police s’appelle désormais ministère de la protection du citoyen.

La jeunesse

Les Grecs, comme l’Europe du Sud, ont peu d’enfants : 1,4 par femme (2,1 en France). Mais la famille y est une valeur fondamentale qui se traduit par une grande proximité et une grande solidarité des générations : on nous a souvent décrit la maison grecque type, avec les vieux parents au rez-de-chaussée, la génération suivante au premier étage et le jeune couple au deuxième. Plusieurs personnes nous ont parlé du stress qui pèse sur les jeunes. Le modèle éducatif est très scolaire, insuffisant. Le premier ministre envisage d’augmenter le nombre d’années en maternelle et la durée quotidienne de l’enseignement. Car aujourd’hui, les parents doivent payer très cher des cours particuliers donnés dans les écoles privées appelées « frondisterios » (voir article page 18).

La compétition est rude pour entrer à l’université. Il y a de plus en plus de Grecs qui partent se former à l’étranger, en France ou ailleurs. C’est un phénomène récent mais qui commence à avoir un impact sur le marché. Dans les faits, la Grèce a du mal à reconnaître les diplômes délivrés par les autres universités européennes. Evidemment la crainte ici, c’est que cela entraîne une concurrence déloyale avec les formations grecques. Mais on peut aussi voir les choses sous un autre angle : l’opportunité pour les universités grecques de se réformer, de se moderniser et d’augmenter ainsi la qualité de leur offre. Les Grecs envient le système éducatif français ! Alors que nous pensons qu’il se détériore largement et… se rapproche du modèle grec avec l’accroissement des inégalités liées aux origines, le recours de plus en plus fréquent aux cours particuliers, la compétition qui supplante la coopération.

Nous n’avons pas pu rencontrer de jeunes ayant participé à l’explosion de violence de décembre 2008. Il semble que la police a ses responsabilités dans les évènements, mais le malaise est réel : on parle de la génération à 700 euros, qui serait le salaire d’embauche des jeunes, mais des Grecs nous ont dit qu’en réalité, c’était souvent moins.

Autre surprise : l’environnement. Les partis Verts représentent 1,5 % seulement des votants. Le 7 juin, les Grecs n’ont envoyé qu’un député Vert au Parlement européen. Le pays est en train d’établir son cadastre. C’est dire qu’il est encore impossible de bâtir l’équivalent de nos (ex) plans d’occupation des sols. C’est aussi ce qui explique les constructions sauvages sur les régions de l’Attique déboisées après les grands incendies d’août 2009. Pour la première fois, la Grèce vient de se doter d’un ministère de l’environnement, de l’énergie et du réchauffement climatique.

C’est donc un pays bien différent de la France que nous avons découvert, qui nous éclaire sur nos spécificités françaises aperçues souvent comme positives et nous alerte sur nos déviances en cours…

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