Boquen, une communauté qui cherche la communion

Publié le 16/02/2010

Chargé de représenter La Vie Nouvelle dans la période de turbulence, Pierre Bourges était le plus à même d’évoquer cette expérience mystique et communautaire.

Par Pierre Bourges, Groupe Bretagne Sud

Boquen, c’est une affaire d’indisciplinés. Et de recherche d’une nouvelle mystique.
Le premier de ces indisciplinés, c’est Alexis Presse (1883-1965) qui restaure l’ancienne abbaye cistercienne de Boquen tombée en ruine, et y réintroduit une communauté monastique, appliquant la Règle de saint Benoît, dans l’esprit de Bernard de Clairvaux, fondateur des Cisterciens.
Le second, c’est Bernard Besret, qui, adolescent inquiet, se pose dès quatorze ans des questions existentielles.


« Enthousiasmé par les textes mystiques, confiera-t-il quelques années plus tard, je m’étais mis à rêver d’une sorte d’ashram ou de monastère où il serait possible de vivre suivant des choix ou des critères, autres que ceux que pouvait m’offrir la vie de tous les jours. Je rêvais d’une contre – société dans laquelle la recherche ascétique et mystique serait privilégiée. »

Une illumination

Informé par un de ses condisciples du Lycée de Saint-Brieuc de ce qui se passe à Boquen, il va voir. Et c’est le coup de foudre !
« La pauvreté presque franciscaine du père Alexis et de ceux qui vivaient avec lui, le fait qu’il n’y avait là rien de ce monde contemporain qui me paraissait suspect, m’ont tout de suit accroché. J’ai senti que ce lieu était privilégié, qu’il s’y vivait quelque chose d’intense. »

Il poursuit ses études tout en maintenant sa volonté d’entrer dans le monastère. Deux ans plus tard Dom Alexis, qui a des vues sur lui pour sa succession, envoie Bernard faire des études à Rome.
Nommé prieur en 1964, à l’hospitalisation de Dom Alexis, il achève la restauration de l’abbatiale.

Une communauté qui devient communion

Les anciens moines partis à Saint-Gildas furent remplacés par de jeunes nouveaux venus, soucieux de vivre en communauté mais pas nécessairement de façon définitive en prononçant les vœux traditionnels.

Et c’est la vie de cette communauté, à laquelle venait s’ajouter chaque week-end une foule de laïcs que le renouveau liturgique attirait, qui faisait soudain prendre conscience au noyau monastique que la Communauté était en train de devenir Communion ou plutôt que la Communion pourrait naître au cœur de cette foule assemblée.

Et pourtant les gens qui se rencontraient chaque dimanche à Boquen étaient si différents et pour certains si peu assurés dans leur foi qu’il paraissait difficile, de l’aveu même de Bernard Besret, de célébrer avec eux l’eucharistie. Mais la qualité des recueillements personnels de chacun « aidait (dira plus tard Bernard Besret) peut-être chacun à se mettre en rapport avec Dieu… sans qu’il puisse établir des relations avec les autres à côté de lui. »

« Nous étions capables de créer un climat émotif de qualité mais non d’inventer une véritable pédagogie de la foi. Alors que le plus important était sans doute de permettre à ceux qui venaient à Boquen de trouver les conditions qui leur permettent de découvrir par eux-mêmes le véritable sens de la foi ».

Et Bernard Besret de conclure : « Je pense que célébrer, et partager l’Eucharistie n’a de sens que si l’on appartient à une communion d’Eglise ». (Dcec p. 47, 48, 49)

Quelle est donc cette communion ?

Bernard Besret l’expose dans l’ouvrage qu’il publie en 1971, Clefs pour une nouvelle église chez Seghers. Il désigne l’une des quatre clefs qui fondent la compréhension de ce qu’est l’Église.

La foi « conviction qu’en Jésus il s’est passé quelque chose qui nous concerne encore, hommes d’aujourd’hui… Confesser ma foi c’est avouer mon espérance.

Le souvenir. Les disciples immédiats de Jésus… furent les premiers à percevoir, non sans peine ni hésitations, l’importance de ces évènements, pour eux et pour tous les hommes. C’est ainsi que naît l’Église, rassemblement de ceux qui veulent se souvenir de Jésus. »

La prophétie comme manifestation de l’utopie

« Nous appelons prophétie tout acte qui, ici et maintenant, anticipe sur la réalisation de l’utopie en en manifestant le sens et en provoquant les hommes à sa réalisation dans l’opacité et la pesanteur du monde quotidien… C’est une exigence de vie, une provocation à une croissance, à un dépassement… »

La Communion

« Le rassemblement de tous ceux qui se souviennent de Jésus et lui accordent leur foi, est une communion dont la vie doit être au cœur du monde la prophétie lumineuse de ce que ce monde est appelé à devenir. »

Mais quel est ce projet qui la sous-tend et qui doit la justifier ? « Quelle est cette « bonne nouvelle » que l’on se retransmet de génération en génération ?

« La bonne nouvelle c’est que l’homme n’est pas définitivement seul dans un univers hostile… Que la force qui le crée… l’amour, qui lui semble aveugle parce qu’il ne la saisit jamais est une force attentive, bienveillante, désir de notre joie de vivre. Le Royaume de Dieu (annoncé) est d’abord réconciliation de l’homme avec Dieu… Se libérant de toute aliénation religieuse. »

La conférence de 1969

L’Eglise est entrée dans la période post-conciliaire et les séquelles de mai 68 ont inoculé dans la société, et dans le Mené, en pleine « Rénovation Rurale » tout particulièrement, l’idéologie autogestionnaire du vivre-travailler-décider au pays qui met en cause tout pouvoir centralisé (dont celui de l’Eglise romaine).

Réincorporé à l’ordre de Cîteaux en 1950, Boquen de par la volonté farouche de son refondateur reste un geste de contestation, une sorte de cri contre les idées reçues, les conformismes établis dans les ordres monastiques, mais pas seulement.

Le 20 août 1969, un millier de personnes assistèrent à la conférence prononcée par Bernard Besret dans l’abbatiale à l’occasion de la fête de la Saint Bernard, dans le but de répondre à toutes les questions que la vie à Boquen suscitait dans l’opinion et de l’ambiguïté qui résultait de l’attitude de l’ordre cistercien, qui tout en maintenant Bernard Besret dans ses fonctions, ne ratait pas une occasion de lui signifier son désaccord sur sa façon de diriger la communauté.

Articulant sa conférence autour de : Boquen hier, aujourd’hui, demain, Bernard Besret soulignait clairement la continuité avec le passé, expliquait les positions de l’aujourd’hui, et disait les espérances pour l’avenir.

« Pour l’aujourd’hui, je disais notre volonté de ne plus être seulement un monastère renouvelé mais un lieu où l’on rechercherait des voies nouvelles pour vivre « en église » dans le monde contemporain. Je soulignais que dans cette recherche, nous étions affrontés aux problèmes de tous les hommes et non aux seuls problèmes spécifiques de la petite caste monastique. Cela m’amenait à dire que dans le contexte de crise de l’Église, il était malhonnête de continuer à ordonner des prêtres aussi longtemps qu’on n’aurait pas clarifié leur statut. Je demandais la possibilité d’une année sabbatique pour les prêtres déjà ordonnés. Et j’expliquais enfin que, logique avec ma réflexion, je n’avais plus l’intention de prendre de nouveaux novices à Boquen. »

Cette conférence relayée par les médias fit grand bruit et provoqua une vague de dénonciations à Rome de la part des milieux intégristes du diocèse de Saint-Brieuc. Et en octobre l’abbé général prononçait la destitution de Bernard Besret en tant que prieur de Boquen.

Pour Rome l’affaire était embarrassante, et présentait deux aspects différents. Un problème disciplinaire qui se trouvait réglé par la destitution du prieur, mais aussi l’existence de la Communion, de ces centaines de fidèles rassemblés chaque fin de semaine, nouvelle forme de la vie de l’Eglise et qui n’entendaient pas être dispersés.

A la fin octobre l’abbé général nomme un nouveau prieur à Boquen, Guy Luzsenszky, maître des novices de l’abbaye de Lérins. C’est par amitié pour Bernard, qu’il a rencontré à Rome pendant le Concile, qu’il accepte de lui succéder à Boquen, dont Bernard est prié de s’éloigner. Mais finalement Bernard Besret revient après une courte absence pour prendre en charge l’animation de la communion tandis que Guy reprend la vie conventuelle avec les trois moines revenus de Saint-Gildas. Mais trois ans plus tard ils quitteront Boquen et se disperseront définitivement.

En 1970, pour donner un statut juridique à la communion, est créée l’Association Culturelle de Boquen.

En septembre 1976, la communauté quitte l’abbaye de Boquen désormais occupée par une communauté de religieuses.

La Communion acquiert dans la région de Mûr-de-Bretagne une vieille ferme (Poulancre en Saint-Mayeux) et poursuit ses activités dans le cadre de l’association culturelle. Mais sans communauté permanente de vie, peut-elle atteindre à cette communion à laquelle elle aspire ? Les tenants d’une recherche intellectuelle plus élaborée, autour du Personnalisme, des pensées de Teilhard de Chardin, de Levinas, Hannah Arendt entre autres, poursuivront leur cheminement de gyrovagues (cette espèce de moines dont Benoît de Nurcie disait qu’elle était la plus détestable). Mais n’est-ce pas une recherche plus domestique qu’universelle ?

Et ceci est une autre histoire que l’Esprit continue d’habiter, et qui, dans le cadre (ou hors cadre) des Réseaux des Parvis, demeure toujours actuelle…

Partager cet article :

S'inscrire à la newsletter

Newsletter

Suivez l'actualité de l'Association LVN avec la lettre d'information trimestrielle