Publié le 07/10/2009
Nicole Fondeneige-Vaucheret, Groupe de Bruxelles
Faut-il vraiment accepter que la croissance du PIB doit être de 3% au moins pour créer des emplois ? La croissance européenne étant en dessous de ce seuil depuis des années, que dire des années de croissance négative ?
Après avoir accompagné Patrick Viveret dans le travail associatif qui l’a mené à la rédaction de son ouvrage « Qu’est-ce que la Richesse ? », La Vie Nouvelle suit de près le travail de la commission Stigliz, auquel participe Jean Gadrey, professeur d’économie à l’Université de Lille I. Celui-ci attire notre attention sur un rapport britannique intitulé La prospérité sans la croissance venant à pic pour apporter une crédibilité plus tangible à ces idées qui jusqu’à présent était portées très justement par des philosophes (P. Viveret, D. Meda). Tim Jackson, le très officiel commissaire du développement durable du Royaume-Uni, a rédigé ce rapport : il est connu des spécialistes des « nouveaux indicateurs de richesse » pour avoir coproduit en 1996 un indicateur de « bien-être économique durable » (ou « PIB vert ») pour le Royaume-Uni et la Suède.
Refus de la croissance à son rythme actuel
Ce livre affirme qu’il n’existe pas de scénario plausible dans lequel le progrès technologique pourrait à lui seul réduire suffisamment les émissions de gaz à effet de serre si la croissance se poursuit à son rythme actuel. « La taille de l’économie mondiale est presque cinq fois supérieure à ce qu’elle était il y a un demi-siècle. Si elle continue à croître au même rythme, ce chiffre sera de 80 fois en 2100 ». Les efforts déployés pour utiliser au mieux la technologie afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre seront vraisemblablement submergés par ce rythme rapide de croissance. Si nous voulons sérieusement éviter les pires effets du réchauffement de la planète, nous devons aller au-delà de ce genre de solutions technologiques et repenser la croissance économique elle-même.
D’autres emplois dans une économie durable
Quant au contenu en emploi de cette « économie durable », Jean Gadrey commente : « Cessons de penser croissance et productivité : si l’on admet que les changements à venir seront d’abord qualitatifs, que les grands gisements d’emplois se trouveront dans la qualité, la durabilité, la solidarité et la proximité… on ouvre d’autres perspectives de plein emploi.(…). Pour améliorer le bien-être de tous dans le respect des équilibres écologiques, il faut (nettement) plus de travail que dans le système productiviste et inégalitaire aujourd’hui dominant, au Sud comme au Nord, notamment dans l’agriculture, l’énergie et de nombreux services. Et cette progression du contenu en travail ne peut pas s’analyser en termes de productivité, c’est au contraire une montée en valeur ajoutée durable, en utilité sociale et écologique, pour une production qualitativement différente, une alimentation différente, une mobilité et une énergie différentes, des services de bien-être devenant universels….»
Mettre un terme à la croissance économique n’implique pas pour autant faire des sacrifices.
Les extraordinaires avancées des sciences et des techniques ont permis à l’humanité d’accumuler un savoir-faire et une capacité de production à même de satisfaire la plupart de ses besoins, et pourtant cette richesse potentielle, loin de se traduire par l’accomplissement des promesses du progrès, s’accompagne aujourd’hui d’une inégalité toujours accrue, d’une énorme demande sociale non satisfaite. Par ailleurs, le système économique – hérité des temps où la rareté dominait – poursuit sa trajectoire qui nous rapproche inexorablement de l’épuisement des ressources primaires et de la dévastation de notre planète.
Stagnation du sentiment de bien être
Les études montrent qu’une fois atteint un certain niveau de revenu (estimé entre la moitié et les deux tiers de ce qu’il est aujourd’hui aux USA), le sentiment de bien-être n’augmente plus en relation avec l’accroissement des revenus, pas plus que d’autres mesures plus objectives comme l’espérance de vie et la réussite scolaire. Dans les pays développés, nous sommes arrivés à un point où la croissance économique ne nous apporte que peu ou pas d’amélioration. Ceci montre qu’une double approche est requise : en plus de ces changements économiques, il est nécessaire qu’aient lieu des changements sociaux permettant le passage d’une économie qui vise à l’opulence à une économie qui vise à l’épanouissement humain.
Ce sont les pistes explorées par l’atelier national « modes de vie » et qui seront à nouveau empruntées lors de la rencontre régionale à Bruxelles (avec les groupes de Luxembourg, Metz et Strasbourg). La session d’été du Secteur Politique (11-14 juillet à Branguier) reviendra à nouveau sur ces concepts avec un examen plus approfondi (et traduit) du travail de la Commission du Développement Soutenable Britannique http://www.sd-commission.org.uk/index.php