Publié le 17/12/2008
Par Claire Dyèvre, Aumônier
Septembre 2007, je fais mes premiers pas comme aumônier catholique dans un hôpital, dans les services de moyens et longs séjours (gériatrie). Dans ces lieux où la mort fait partie de la vie du service, où elle est prise en compte, préparée, accompagnée, elle surprend toujours malgré tout, elle est chaque fois particulière, unique, et elle touche.
« Mais comment peux-tu être ainsi tous les jours avec des gens proches de la mort, ou confrontée à celle d’un membre de leur famille ? Ça doit être terriblement dur et déprimant… »
On me demande souvent comment je peux être tous les jours confrontée à des gens proches de la mort.
Difficile de faire comprendre le bonheur que je peux avoir de vivre ces situations de VIE… autour de la mort ! Ce qui ne veut pas dire que ce ne soit pas dur, que ça ne remue pas… mais ce sont des moments de grande intensité. Il s’agit de vivre chaque instant… avec humilité et en vérité. Rencontres humaines riches, expérience spirituelle profonde et simple à la fois. Etre là, à côté, présente, témoin de ce qui se vit, autant dans le silence que dans les paroles… Etre là au nom du Christ, donc pas seule : combien de fois cela m’a-t-il apaisée et vivifiée ! Nous percevons… Nous vivons des instants intenses… Souvent, je découvre la tendresse du regard, de mon regard sur la personne souffrante, ou diminuée,… Le Seigneur pose sur l’homme un regard bienveillant, à travers nos regards d’hommes.
En tant qu’aumôniers, nous vivons des « petits bouts » de ce temps vers la mort, avec le malade, comme avec sa famille. La relation des proches avec celui qui va mourir est complexe (comme le sont toutes les relations humaines !!!), remplie de leur histoire personnelle, et de l’histoire de leur relation. Relation imprégnée des expériences des uns et des autres… influencée par les « on dit » et les « on fait », les « il faut », et « il ne faut pas »… coincée dans ce lieu qu’est la chambre de l’hôpital. Et il faut accueillir d’abord et composer avec toute cette complexité.
La mort… pas facile d’en parler quand on est si concerné : la famille ne veut pas choquer le malade, le malade préfère qu’on n’en parle pas, il ne veut pas savoir, ou il ne veut pas inquiéter ses proches… Tout est si chargé en émotion ! Quelquefois nos paroles permettent d’éclaircir des situations… Notre simple présence peut permettre une parole. Essayer de recréer un contexte de vie… la vie est Vie jusqu’au bout !
Partage de quelques situations
Le fils de madame N. ne peut approcher du lit de sa maman. Il est là tous les jours, dans un coin de la chambre. « Elle n’entend rien… elle n’est plus là » dit-il. Nous avons beau les uns et les autres (les agents de service, les aides-soignantes, les infirmières, moi-même…) essayer de l’accompagner au mieux, pour qu’il apprivoise cette situation qui le révolte… Distance… quelquefois infranchissable…. Je suis bien démunie. Bien sûr j’aurais aimé qu’il puisse s’approcher, lui tenir la main, c’est ce qui me semblait bon pour elle et pour lui (mais l’était-ce ?). Au fil des visites, je trouverai juste les mots pour qu’il puisse être présent pour sa mère, par mon intermédiaire… « Mon Dieu, éclaire-moi afin que je trouve les mots, et les gestes justes… ».
Je me souviens de M. B. et de sa fille. Celle-ci, attentionnée, aimante et aimée, est tous les jours auprès du lit de son père. Dans une ambiance sereine… Et cela dure des jours et des jours. Je viens tous les soirs. Souvent nous nous quittons après une courte prière. Une habitude venue progressivement, dans une confiance mutuelle. M. B. semble « loin » depuis des jours déjà. Et il faudra qu’un soir, sur la suggestion d’une infirmière, la fille dise à son Papa « tu sais, je suis prête, tu peux partir tranquille » pour qu’il lâche prise et meure dans les minutes qui suivent…Mystère…
Il y a aussi madame S. qui, lors d’une visite de ma collègue aumônier, a exprimé sa peur d’être seule la nuit. De ce fait elle dormait très mal ; par contre elle somnolait facilement dans la journée, rassurée par une présence à ses côtés. Sa famille pourtant très proche, préparée à sa mort,… n’a pas entendu… N’ont-ils pas pu, pas voulu ?… Pour elle, pour eux ?… incompréhension ? Et elle… peut-être n’a-t-elle pas pu, pas voulu ? Elle n’a pas insisté… Peur de déranger ? Maman qui s’occupait d’abord des autres jusqu’au bout « il faut penser à faire la lessive des draps »… ? Nous n’avons pas pu intervenir… Et avons été malheureuses de savoir qu’elle était morte seule une des nuits suivantes…
Visage un peu fermé… Monique est en plein grand nettoyage : désinfection du lit, de la table de nuit, du placard… Mon bonjour suivi d’un petit mot sur la mort de Mme R., qui date d’il y a 2 jours… me fait l’effet d’avoir ouvert les vannes. « Vous vous rendez compte, elle n’est même pas encore enterrée qu’elle va être remplacée ! Cela fait 9 ans qu’elle vivait dans cette chambre… ce n’est pas normal de faire si vite ! Avant on attendait plusieurs jours. Maintenant il faut « remplir ». On ne respecte plus rien. » Au fil de la conversation nous aborderons la difficulté pour la famille, qui revient quelquefois le jour des obsèques, soit pour récupérer les affaires personnelles, soit même souvent pour dire bonjour à la voisine de chambre… et qui va trouver déjà quelqu’un dans ce lit où elle a si longtemps vu sa mère, sa grand-mère, sa tante… la difficulté pour la voisine, à qui on ne laisse pas le temps de réaliser ce départ, de vivre l’absence… la difficulté pour les membres du personnel qui trouvent que les pages sont trop vite tournées…
Le moment du passage
Que savons-nous de ces instants de la mort ? Nous n’avons que nos expériences de proches, de soignants, d’accompagnants…
Et cette expérience semble nous dire que certains attendent quelque chose ou quelqu’un pour mourir : un enfant, un proche, une réconciliation, une date, une « autorisation », une prière, le sacrement des malades, une présence, ou au contraire un moment de solitude… Souvent lorsqu’une situation de fin de vie se prolonge, le personnel se pose la question « de qui, de quoi la personne a-t-elle besoin pour pouvoir partir dans la paix ? » et la pose avec délicatesse à la famille. Il suffit quelquefois de quelques mots, pour « libérer » la personne, l’apaiser, et lui permettre de mourir.
Ce ne sont que quelques situations…Tant d’autres restent avec leur mystère (et heureusement !) Mais nous sommes témoins…
Je dis « nous »… Car tout cela ne se vit pas seul. Je partage beaucoup au quotidien avec le personnel, et avec ma collègue aumônier ; et c’est une grande chance. De plus des partages de notre vécu avec d’autres aumôniers du secteur, des analyses de situations, des temps de parole nous permettent de mettre des mots sur ce que nous vivons et ressentons, et c’est capital. Nous portons aussi ensemble notre mission dans la prière.