Publié le 16/10/2008
Jean-Claude Boutemy, Comité de rédaction
Le thème de la non-violence trouve place dans les colonnes de Citoyens grâce à l’initiative du groupe de Rodez, ce dont je me réjouis personnellement, car le fait est rare, alors que la pertinence est forte. En m’appuyant sur l’expérience du groupe de Ramonville (avant sa fusion avec Toulouse), je vais tenter d’expliciter en quoi la non-violence est cohérente avec notre conception personnaliste de l’humain et par voie de conséquence dire mon étonnement que La Vie Nouvelle n’y fasse pas plus souvent référence.
Serait-on non-violent à LVN sans le savoir, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose ? Ce serait une bonne nouvelle, mais difficile à croire sans examen plus approfondi.
La non-violence est-elle naturelle ?
Certes il existe de bons indices, comme par exemple la pratique devenue récurrente depuis quelques années de « l’éthique du débat » dans nos échanges internes. C’est une procédure, très concrète, dont chacun peut vérifier l’efficacité en terme de régulation et d’élaboration collective. Sa pratique semble généralisable en d’autres lieux, et c’est une des conditions d’une réelle démocratie participative.
Comme le rappelle l’article de Jean-Jacques Samuel, « la statue ou la vie », il ne suffit pas de vénérer d’illustres champions de la non-violence (Gandhi, Luther King…), de porter aux nues des situations héroïques, des combats historiques, sans voir que notre vie quotidienne nous offre déjà des occasions, banales mais concrètes, d’intervenir pour désamorcer une violence qui monte.
Comme pour le personnalisme, c’est la pratique et le vécu qui comptent, plus que la théorie. Si certains peuvent être personnalistes naturellement, il me semble que, dans une société comme la nôtre, la non-violence s’apprend. Elle n’est pas spontanée, ni naturelle, demande de la clairvoyance dans les concepts, de la volonté dans sa pratique, de la persévérance dans l’effort. C’est une éthique exigeante certes, comme de se vouloir personnaliste, ou simplement citoyen responsable : une démarche jamais parfaitement aboutie, mais dans laquelle chacun peut s’engager, si cela donne du sens à sa vie. Tout le contraire finalement de la prose de Monsieur Jourdain.
Une expérience locale
Les cheminements vers la non-violence sont très personnels. Le mien, que je ne cite pas en exemple mais comme témoignage, est passé par le rapprochement du groupe de Ramonville avec le 103-MAN toulousain, dans les années 77-83. La période était assez fertile en luttes souvent obscures (soutien aux objecteurs de conscience, lutte contre la répression syndicale…), et parfois emblématiques ou fortement médiatisées (Larzac, Lip, Golfech…).
La formation à l’action non-violente était à la fois théorique et pratique, avec entraînements collectifs. Comprendre l’objet réel du conflit, en faire une analyse la plus complète possible, identifier et rendre visible à l’extérieur la source d’injustice qui la justifie sont des éléments essentiels. Placer le conflit à son juste niveau, en étant conscient des enjeux et des risques, permet en effet d’éviter les dérives, de résister ultérieurement aux provocations inévitables. Une préparation mentale sérieuse, individuelle et collective, apporte une assurance précieuse pour la suite et le courage d’affronter lucidement la situation.
Le passage à la pratique permet au groupe de roder l’organisation collective, et à chacun de vérifier son contrôle émotionnel. Un des points délicats est évidemment la justesse de son comportement vis-à-vis des représentants de l’ordre ou de la puissance publique : respecter l’homme d’en face, sa fonction, ne pas l’injurier ou le provoquer inutilement, sont le b-a-ba de l’action non-violente.
Ce rapprochement du groupe LVN et du MAN (Mouvement pour une alternative non-violente) a permis une connaissance concrète réciproque des deux associations et l’organisation de manifestations et de conférences (Jean-Marie Muller, Jean Cardonnel, Roger Garaudy…) touchant un plus large public.
En tant que jeune militant à la CFDT, cette initiation à la non-violence m’a été plus qu’utile dans mes engagements, par nature conflictuels, et même tout au long de ma vie professionnelle où les négociations sont permanentes. Mais il me semble, après coup, que le bénéfice personnel peut-être le plus palpable de cette formation, c’est cette gestion de la peur, qui donne du recul et ouvre à la bienveillance et à l’humour, et m’a profondément modelé.
Les « plus » de la référence non-violente
La Vie Nouvelle est solidement assise sur un trépied idéologique prônant à la fois l’engagement politique et social pour un monde plus juste, la reconnaissance d’une spiritualité agissante et ouverte, une philosophie d’épanouissement de la personne globale, le tout étant susceptible de promouvoir une alternative personnaliste et citoyenne. Que demander de plus ? C’est vrai, la barque des exigences et des ambitions est déjà lourdement chargée, cela a convenu un temps à une génération pétrie de foi chrétienne et d’idéal marxiste. Que dire à la génération montante ?
Sans présager du débat qui peut naître à la suite de ce numéro de Citoyens, on peut déjà identifier quelques points où la non-violence risque d’apporter sa spécificité.
Sur le plan politique, la sensibilité non-violente apporterait une meilleure conscience de la violence institutionnelle subie par ceux qui sont au bas de l’échelle sociale, ou en situation de précarité ou d’exclusion. La loi (même démocratique) entérine des rapports de forces sociaux, qui par leur injustice sont porteurs de violences. Contester publiquement les lois aux effets injustes est légitime, y compris par la désobéissance civique. Repenser le système de défense est aussi une tâche citoyenne, contester la course aux armements en est une autre. La liste pourrait s’allonger car, on l’aura compris, la non-violence est tout le contraire d’un pacifisme bêlant auquel on a voulu l’amalgamer.
Sur le plan philosophique, la non-violence amène nécessairement à préciser et distinguer des termes souvent confondus (violence, force, puissance, agressivité, affrontement, lutte…). Dans ses nombreux ouvrages Jean-Marie Muller, philosophe, s’est attaché à cet éclaircissement du langage, Mounier dans ses écrits de 1933-34 évoque la non-violence comme méthode d’action dans des termes analogues à ceux de Gandhi qu’il cite à plusieurs reprises.
Sur le plan spirituel, les luttes des objecteurs de conscience ont souvent utilisé (avec succès) des arguments religieux. On peut se demander pourquoi des convictions philosophiques et spirituelles laïques fondées sur l’anthropologie et l’évolution de l’humanité n’arriveraient pas à fonder une morale non-violente, tout aussi respectable qu’une morale religieuse.
Les nuages qui s’amoncellent à l’horizon des prochaines décennies, suite aux divers problèmes planétaires (climat, population, énergies, eau…) n’annoncent rien de bon. L’humanité va-t-elle encore les régler dans le feu et le sang, comme elle le fait depuis des millénaires ? Ou bien la non-violence a-t-elle une chance ?