Publié le 06/11/2007
Monique et Bernard Langevin, Eliane et Michel Legrand
Groupe de Luxembourg
Nous sommes allés 18 jours en Palestine et Israël pour visiter ce(s) pays et surtout pour rencontrer des associations israéliennes et palestiniennes qui se battent pour la paix, examiner deux projets de développement soutenus par les ONG dont nous faisons partie (Comité pour une paix juste au Proche-Orient et Action Solidarité Tiers-Monde) et rendre visite à cinq jeunes gens qui avaient été accueillis par Eliane et Michel en juillet 2003.
Nous revenons avec la tristesse et la révolte au ventre. Cet article n’est pas écrit pour confirmer malheureusement ce que vous avez déjà lu cent fois et témoigner une fois de plus de l’écrasement impitoyable d’un peuple, mais surtout pour porter les deux messages lancinants de nos interlocuteurs : ne nous abandonnez pas et concentrez vos actions sur le plan politique, car c’est le seul où un espoir subsiste.
Il ne faudrait plus parler du mur mais plutôt des murs qu’Israël continue à construire à grande vitesse, se raccordant à des routes interdites aux Palestiniens, bordées de clôtures électroniques et de barbelés (et qui ont donc la même fonction de coupure des Territoires). D’ores et déjà, la Cisjordanie, ou plutôt ce qu’il en reste, est coupée en trois morceaux. A l’intérieur de ces morceaux, une dizaine d’« enclaves » (faut-il parler de bantoustans [[Le terme bantoustan désigne par extension tout territoire ou région dont les habitants sont victimes de discriminations et se sentent considérés comme des « citoyens de deuxième classe » dans leur propre pays.]] ?) complètent ce morcellement d’où les habitants ne peuvent pas sortir librement.
Une Palestine dévorée
L’accaparement des terres revêt toutes sortes de formes : confiscation des terres « non officiellement enregistrées » ou « non cultivées » (et on fait tout pour empêcher la culture…), des « biens abandonnés » (par les réfugiés expulsés au cours des guerres de 48 et 67…), des terres saisies « à des fins militaires » ou « dans l’intérêt général… », création d’« espaces verts » (qui se transformeront après quelques mois ou années en zones de construction de colonies). Accaparement pour des « raisons de sécurité » (on peut, par exemple, détruire les maisons sur une largeur de 30 à 100 m de part et d’autre du mur)…
De fait, la moitié de la Cisjordanie est déjà annexée (y inclus la vallée du Jourdain dont on ne parle pas alors que c’est un des enjeux majeurs de la « guerre de l’eau »).
Quant à Jérusalem-Est, le « Master plan 2025 » élaboré par Israël montre sa détermination d’annexer tout Jérusalem-Est (et au-delà jusqu’à la Mer morte). Il prévoit d’y ramener le nombre de Palestiniens de 235 000 à 85 000 !
Des Palestiniens étranglés
L’armée israélienne est partout. Plus de 500 points de bouclage : points de contrôle fixes, barrages routiers, buttes de terre et barrières (537 en avril, soit 45% de plus qu’en novembre 2005), sans compter les 200 check points volants par semaine [[Chiffres les plus récents fournis par l’OCHA, United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs]], quadrillent et découpent ce pays grand comme un demi-département. Lors des contrôles aux check-points, l’impunité des soldats israéliens, fusil mitrailleur à l’épaule, est totale et débouche trop facilement sur l’arrogance et un arbitraire laissé à la liberté des (parfois très jeunes) soldats. Ils peuvent être « corrects » ou prendre plaisir à faire peur, à opprimer, voire à humilier : retenir des écoliers, des étudiants, des femmes, un vieillard… Dix minutes ou une demi-heure ou une heure ou deux heures, selon leur humeur ; bloquer un camion de légumes ou de fleurs toute une journée sous le soleil ; arrêter l’ambulance pour la « fouiller » soigneusement sans égard pour l’urgence ; obliger à se déshabiller le paysan qui va à son champ… Et il n’est pas question de demander la moindre explication ; même lever les yeux est, pour un Palestinien, un acte dangereux.
Plus insidieuse encore est la multiplication des « contraintes administratives » de toutes sortes : interdiction de construire, de creuser des puits, de se rendre à Jérusalem (sauf autorisation spéciale) pour les Palestiniens de Cisjordanie ; interdiction pour les sportifs de sortir du pays ; autorisation extrêmement difficile à obtenir pour les chercheurs et universitaires qui veulent participer à des conférences à l’étranger…
Interdiction dans certains cas d’acheter des produits autres qu’israéliens. On pourrait multiplier les exemples de ces restrictions administratives, souvent différentes suivant les « enclaves », et pour lesquelles l’administration israélienne fait preuve d’une imagination sans cesse renouvelée mais avec un objectif constant : empêcher au maximum les échanges économiques et humains.
Le premier résultat concerne le moral des Palestiniens. Ces femmes, ces hommes, aimables, ouverts, accueillants, si cultivés (le taux d’universitaires palestiniens est parmi les plus élevés du Proche-Orient) aiment leur pays et veulent rester malgré des conditions de vie insupportables. Toutefois, beaucoup confessent bien souvent qu’ils sont désespérés et « exténués ». Pourtant, ils continuent à résister de toutes les manières possibles et imaginables. Les attentats terroristes (à ne pas confondre avec les actes de résistance armée ) ont malheureusement porté un important préjudice à l’image de la Palestine, mais il y a d’autres formes pacifiques de résistance : nous avons participé, par exemple, à la manifestation hautement symbolique du village de Bi’lin qui, chaque vendredi, réunit depuis deux ans des habitants du village, des pacifistes israéliens et des « internationaux » pour protester contre le mur qui a coupé le village en deux et accaparé la moitié des terres.
L’autre résultat est l’impossibilité d’une vie économique normale, avec toutes les conséquences qui s’ensuivent aux plans social, éducationnel, de santé, culturel etc. Le PIB par habitant a chuté de moitié ces dernières années et se situe actuellement aux environs de 700 € par an et par habitant. Le commissaire européen, Louis Michel, en visite en avril en Palestine, a souligné que « près de 60% de la population vit désormais sous le seuil de pauvreté de 2 € par jour et que cette pauvreté a augmenté de 30% depuis 2006. Près d’un quart de la population n’a pas accès à l’eau et l’économie dans les Territoires est devenue largement une économie de subsistance, voire de survie au quotidien. En morcelant le territoire, en bloquant ou limitant les mouvements de manière imprévisible et arbitraire…, ce système annihile toute chance de développement économique dans les Territoires ».
Ce constat est corroboré par le rapport que la Banque Mondiale (peu suspecte de gauchisme) vient de publier [[ Movements and Access Restrictions in the West Bank : Uncertainty and Inefficiency in the Palestinian Economy, World Bank Technical Team, May 9, 2007, 18 pages. En fait, ce rapport couvre pratiquement tous les aspects abordés dans le présent témoignage : obstacles administratifs (contrôle du Registre de la Population, système des permis, limites à la réunification familiale et à la résidence), zones de la Cisjordanie interdites d’accès (colonies, routes réservées aux colons, mur/barrière, zone tampon, exclusion de la vallée du Jourdain, restrictions à et exclusions de Jérusalem-Est, restrictions dans les zones « C »)… Ce rapport fait grand bruit et est évidemment et comme d’habitude contesté par les organes de propagande israéliens et leurs relais dans le monde.
]]. Son analyse est particulièrement accablante pour la politique suivie par les autorités israéliennes et conclut que « c’est seulement au travers d’une redéfinition fondamentale de la « clôture » que le secteur privé palestinien pourra recouvrer et alimenter un développement soutenable ».
En attendant, les échanges économiques avec l’extérieur étant rendus impossibles, le PIB palestinien se réduit aux échanges locaux, aux aides fournies par la diaspora palestinienne et à l’aide internationale, notamment de l’Union Européenne et des pays arabes. Le blocage des taxes douanières qu’Israël perçoit « au nom des Palestiniens » et devrait donc leur retourner, le blocage de l’aide de l’UE, puis sa reprise, mais dans des conditions différentes et par des canaux assez acrobatiques, ont induit toute une série de graves dysfonctionnements qui affectent surtout les petits fonctionnaires, souvent payés partiellement ou avec un retard – parfois de plus d’un an.
La volonté expansionniste israélienne
La Cour internationale de Justice de La Haye a condamné la construction du Mur en territoire palestinien. Pourtant, Israël continue à le construire, Il mesure déjà 700 km de long (alors que la ligne verte fait moins de 300 km !) Il s’enfonce jusqu’au cœur des territoires occupés, encercle les villes et villages, les coupant de leurs champs, voire coupant carrément des villes en deux. Bethléem en est à ce point de vue un exemple frappant. Ne parlons pas d’Hébron, dont le cœur est devenu une ville fantôme, vidée de ses habitants parce que 400 colons parmi les plus extrémistes s’y sont installés avec
1 500 soldats pour les « protéger», fermant les commerces et empêchant toute activité.
Nous avons été impressionnés par la « cohérence » des actions du gouvernement israélien qui révèle son véritable objectif : agrandir au maximum Israël jusqu’au Jourdain
• en annexant le territoire palestinien arpent de terre après arpent de terre
• et en rendant la vie insupportable aux Palestiniens.
C’est une politique systématique et persistante, qui fait fi, avec cynisme, de toutes les résolutions internationales prises par l’ONU.
Israël habille ces annexions et ces mesures au nom de la « sécurité »[[Ce caractère programmé, organisé, systématique et méticuleux des actions israéliennes amène d’ailleurs certains historiens israéliens (dont, parmi les « nouveaux historiens israéliens », Ilan PAPPE) à parler d’ « épuration ethnique », certains sociologues palestiniens de « sociocide » et d’autres de « politicide ».]]. Mais si telle était la véritable raison, comment peut-il expliquer que les murs soient construits à l’intérieur des territoires occupés et non sur « la ligne verte », frontière de 1967 internationalement reconnue ?
D’autre part, comment justifie-t-il la poursuite de l’installation de colonies israéliennes de peuplement à l’intérieur des territoires occupés ainsi que l’agrandissement continuel des colonies existantes pour un total qui est monté aux environs de 450 000 colons ?
Mais nous avons aussi rencontré des Israéliens qui se battent pour une paix juste : de multiples associations existent : les « Femmes en Noir », les « Machsom watch » (qui surveillent les comportements des soldats aux check points), Bet Selem (Organisation israélienne des Droits de l’Homme), Coalition of Women for Peace, et de nombreuses autres encore. Nous avons participé à la « vigile » des « Femmes en Noir » qui, chaque vendredi, manifestent en plein Jérusalem avec leurs panneaux « Stop à l’occupation », souvent sous les injures de passants. Des centaines d’Israéliens (dont les Rabbis for Human Rights) se déplacent dans les territoires en septembre et octobre pour aider les Palestiniens à récolter leurs olives (pour les protéger des attaques des colons), ou chaque vendredi à Bi’lin pour manifester contre le mur ; des médecins israéliens (Physicians for Human Rights) vont soigner des Palestiniens à l’intérieur des territoires occupés, dans des antennes médicales. Mais il ne s’agit que de (trop) petites minorités…
Quelle démocratie en Israël ?
Le leitmotiv suivant lequel Israël est la seule démocratie au Proche-Orient est hautement discutable.
Certes, tous les Israéliens ont le droit de vote. Mais il vaut mieux être juif pour bénéficier de tous les droits en Israël : droits de manifestation, de protestation, d’acheter des terrains où l’on veut, d’exercer le métier que l’on veut… Cela concerne 80% de la population qui se dit « juive » (20% des juifs russes ne le sont souvent que sur le papier). Les 20% d’« Arabes israéliens » sont des citoyens de seconde catégorie : ils sont « dispensés » de faire leur service militaire, etc., ce qui leur interdit l’accès à la plupart des postes de la fonction publique ainsi que l’accès aux prêts à taux réduit pour l’achat de maisons. Ils ne peuvent ni construire ni habiter où ils veulent : l’extension des villages arabes est limitée par tous les moyens imaginables. Il existe en Israël de nombreuses lois ou règlements discriminatoires. D’ailleurs les textes fondateurs d’Israël précisent que c’est un « Etat juif » et le Shin bet est en faveur de punir ceux qui prétendraient le contraire. Quelle place alors, quels droits pour les « non-juifs » ?
D’ailleurs les Arabes israéliens n’ont pas intérêt à avoir des opinions défavorables à la politique israélienne. Ils sont en effet très vite taxés de connivence avec l’ennemi car Israël se considère « en guerre » : Amzi Bechara, un des rares députés arabes de la Knesset, vient de choisir l’exil de peur d’être arrêté.
D’autre part la démocratie peut-elle se réduire au seul droit de vote ? Les militaires et les membres des services secrets sont nombreux dans les hauts rouages de l’Etat israélien. Le poids de l’économie de guerre est massif : les armes, les recherches qui y sont liées, notamment dans le domaine de l’électronique, les techniques de surveillance et de communication, la construction des colonies, du Mur et des clôtures, sans compter les services de sécurité et de renseignement. Comment peut-on penser que ces milieux liés à la guerre ne font pas tout pour convaincre l’opinion que la guerre est « malheureusement » inévitable, en oubliant de parler de son coût énorme en termes financier, économique et… éthique.
De plus, l’imprégnation guerrière banalise la violence au sein de la société israélienne.
Mais la véritable imposture de cette soi-disant « démocratie » israélienne réside dans le fait que les Palestiniens des Territoires occupés n’ont aucun droit, alors que leur territoire est entièrement sous le contrôle de l’Etat d’Israël et alors que c’est lui qui fait entièrement « la loi ». L’« Autorité » palestinienne n’est qu’une parodie d’autorité et les Palestiniens des Territoires occupés ne peuvent participer ni aux débats ni aux décisions quant à leurs conditions de vie et de travail et l’exercice de leurs libertés qui sont décidées par la Knesset ou le gouvernement israélien. Sur les territoires constituant Israël et la Palestine, existent donc en quelque sorte des « citoyens de 3ème catégorie » sans droit démocratique autre que celui de voter pour une « autorité » qui n’a pas de pouvoir.