Réflexions à propos de l’homoparentalité

Publié le 07/02/2007

Le comité de rédaction de Citoyens a invité à réfléchir ensemble des personnes qui n’appartiennent pas toutes à La Vie Nouvelle. Ce qui est mon cas. A une question posée quelles sont nos peurs actuellement ? j’avais parlé de ma préoccupation devant l’absence de réflexion à gauche sur le mariage homosexuel et l’homoparentalité. Après un certain temps, la rédaction de cette revue a organisé un débat pour « construire nos différences » (avec Patrick Viveret). Débat honnête, respectueux des idées de chacun.
Alors que je me croyais plutôt isolée sur ce sujet, il est apparu que certaines des personnes présentes étaient intéressées par les arguments que j’avais proposés et même proches des positions que j’avais prises au cours de ce débat.
Il m’a paru juste de répondre à l’invitation qui m’était faite de les rédiger pour Citoyens.


Marie Balmary

Ecrivain et psychanalyste

La question de l’homoparentalité paraît réglée si on considère la transmission de la vie humaine comme un droit individuel. « Le droit à l’enfant » est en effet un argument essentiel en faveur de l’homoparentalité. Peut-on accepter en démocratie que certains couples puissent se marier et avoir des enfants et d’autres pas ? Bien qu’une question se pose alors : comment l’enfant sera-t-il sujet de droit, étant lui-même l’objet de droit d’autres personnes ?

Autre argument : l’homoparentalité, au nom de quoi l’interdire ?

Question qui revient sans cesse. Paradoxe : le nombre des interdits sexuels diminue, tandis que le nombre de gens qui transgressent les interdits restants augmente – nos prisons sont pleines de condamnés pour abus sexuels. En Hollande, un nouveau parti demande la légalisation de la pédophilie, la pornographie enfantine et la zoophilie. Le juge saisi de la demande d’interdire ce parti n’a pas trouvé « au nom de quoi » l’interdire puisque cela « ne trouble pas l’ordre public ». On pourrait objecter : l’inceste non plus apparement. Ce sont toutes des « orientations sexuelles ». Alors, au nom de quoi ? Nous sentons bien qu’il faut réexaminer les fondements de ces interdits.

L’homoparentalité signifie la reconnaissance du couple homosexuel comme pouvant être à l’origine de la vie humaine.

Il ne s’agit pas seulement d’éducation par tel ou tel couple mais d’origine de l’enfant. Nous sommes là au niveau des principes et non des cas particuliers.
Je repars de plus haut en reprenant chacun de ces mots : différence, origine, humanité.

A quoi peuvent bien servir les lois qui ont gardé la différence des sexes et des générations, ces lois maintenues partout dans l’histoire et le monde (sauf récemment en Occident) quelles que soient les variations culturelles et les transgressions dont elles sont l’objet ?
Première différence, celle des sexes. Est-elle un préjugé dépassé, ou est-elle favorable à l’humanité, malgré tous les dangers qu’elle comporte (inégalités entre hommes et femmes, discriminations, mépris et persécutions envers ceux qui ne désirent pas l’autre sexe…) ? Cette différence se présente à nous comme une limite à notre maîtrise. Au moment où nous avons acquis un certain nombre de pouvoirs sur la vie, il devient nécessaire de réfléchir ; toute limite est-elle seulement un obstacle à la liberté et au bonheur ? Les interdits sexuels sont-ils des tabous dépassés ou ont-ils leur raison d’être ? Et si nous abolissons pour le mariage la différence des sexes, les enfants vont-ils perdre quelque chose d’irremplaçable ? Pour ma part, je le crois.

La différence des sexes est une bonne affaire pour les enfants

Deux parents de sexe différent n’ont pas les mêmes pouvoirs en matière de vie par rapport à l’enfant. Ils n’ont pas eu la même place dans l’origine de l’enfant (dehors du corps du père, dedans du corps de la mère…). La différence des sexes établit entre l’homme et la femme une ignorance, une inconnaissance. Si vous êtes un homme, vous ne savez pas ce que c’est que d’être une femme et vice-versa. Cette irréductible différence empêche chaque parent de devenir pour l’enfant un parent qui sait tout. Il ne sait pas la mère s’il est le père, elle ne sait pas le père si elle est la mère.
De façon générale – nous sommes toujours au niveau des principes -, l’enfant d’un homme et d’une femme ne se trouve pas devant deux adultes ayant même compétence ni même expérience. La loi de relation nécessaire pour qu’on se parle joue ici à plein pour l’enfant. Il est protégé d’une toute puissance, d’un tout savoir, d’une parenté totalitaire. Si malheureusement un parent s’octroie tout le pouvoir, c’est une erreur, dit le mythe fondateur lorsqu’on le lit de près. En principe, il n’en est pas ainsi.

En quoi est-ce que cette différence des deux parents garantit mieux que leur ressemblance l’accès de l’enfant à la parole en tant que sujet, pouvant dire « Je » ? L’enfant a pour origine un couple dont l’un est semblable à lui et l’autre différent de lui. Sa parole se trouve garantie. L’un des parents sait comme lui, et l’autre doit le croire, puisque toute différence demande d’accueillir ce que l’autre dit sans pouvoir le vérifier d’après sa propre expérience. Ressemblance et différence, deux dimensions essentielles à l’identité d’un être.
Les démocraties qui reposent sur la distinction des pouvoirs peuvent êtres intéressées à ce que l’origine de l’enfant, grâce à la séparation des pouvoirs en matière de vie, soit à la fois masculine et féminine.

L’origine universelle des humains va-t-elle disparaître ?

La différence des sexes à l’origine de la vie assure l’unité du genre humain. Qu’on soit homme ou femme, noir, jaune, blanc, né ici ou là, jadis ou aujourd’hui, une chose nous a été commune à tous : l’origine. Tous nés du même acte entre un homme et une femme.

Si nous abolissons la différence des sexes, nous perdons cette unité d’origine. L’effacement d’une différence là où il y en avait une (les sexes), va en créer trois là où il n’y en avait pas (l’origine). En effet, s’il y a désormais, non pas une forme de couple, mais trois – homme-femme, homme-homme, femme-femme – il y a trois origines possibles. La multiplication des différences en une matière aussi grave que l’origine mérite un très sérieux examen : les discriminations les plus meurtrières, les insultes les plus graves s’appuient sur le mépris de l’origine de l’autre.

La parole humaine et les modifications de la filiation

La science, de l’aveu des scientifiques, ne peut rien nous apprendre sur l’origine du langage humain et nous renvoie au mythe. Dans le mythe, la vie est remise au plaisir (non au travail) de la relation différenciée, et la parole apparaît comme la vie lorsque homme et femme se rencontrent.
Si l’on opte pour l’homoparentalité, le langage va-t-il s’en trouver modifié et dans quel sens ?
Un exemple : les récentes lois du Québec (Code Civil – 7 juin 2002) qui établissent la filiation des enfants nés par procréation assistée pour couples homosexuels.

« 538. Le projet parental avec assistance à la procréation existe dès lors qu’une personne seule ou des conjoints ont décidé, afin d’avoir un enfant, de recourir aux forces génétiques d’une personne qui n’est pas partie au projet parental (…).
538.2. L’apport de forces génétiques au projet parental d’autrui ne peut fonder aucun lien de filiation entre l’auteur de l’apport et l’enfant qui en est issu.
Cependant, lorsque l’apport de forces génétiques se fait par relation sexuelle, un lien de filiation peut être établi, dans l’année qui suit la naissance, entre l’auteur de l’apport et l’enfant (…).
539.1. Lorsque les parents sont tous deux de sexe féminin, les droits et obligations que la loi attribue au père, là où ils se distinguent de ceux de la mère, sont attribués à celle des deux mères qui n’a pas donné naissance à l’enfant. »

Pour instituer cette filiation, on a dû destituer partiellement le langage : le mot « père » est remplacé par le terme « force génétique ». Le père n’apparaît que pour être annulé, puisqu’il s’agit d’attribuer à une mère les droits et les obligations que la loi antérieure lui reconnaît.

Le mot « mère », lui, se voit attribuer deux sens contraires : il est question de « deux mères » dont l’une est « celle des deux mères de l’enfant qui n’a pas donné naissance à l’enfant ». Or, dans toutes les langues de la terre, le mot « mère » veut dire précisément : « Femme qui a donné naissance à un ou plusieurs enfants ».

Ayant décroché le langage de la différence des sexes, on se trouve demander à un terme primordial de signifier à la fois une affirmation et la négation de cette affirmation.
Ces réflexions, bien que formulées au niveau des principes, s’appuient sur mon expérience clinique et celle de collègues psychanalystes. J’espère qu’elles apportent des éléments pour les graves décisions que notre société doit prendre.

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