Le Personnalisme communautaire une référence patiemment cultivée

Publié le 30/07/2018

Par Jean-Claude Boutemy, Comité de rédaction

Cette référence gravée au fronton de La Vie Nouvelle depuis sept décennies a fait l’objet d’un nombre impressionnant de sessions répertoriées par Hubert Hausemer (voir encadré) et a été largement interrogée dans les groupes. Pierre Bourges, dans La patience du jardinier (à paraître prochainement), détaille ses liens avec l’Éducation Populaire, alors que Jean Lestavel nous en retrace l’évolution historique à l’intérieur du Mouvement. C’est à partir de ces sources que j’ai imaginé un petit survol rétrospectif d’un concept toujours en évolution.


Comme le rappelle Lestavel, « Au début des années 50, La Vie Nouvelle ne pouvait plus se prévaloir de la « vocation scoute » puisqu’elle s’ouvrait à des nouveaux arrivants qui n’étaient pas passés par le scoutisme. Elle devait donc trouver une nouvelle légitimité doctrinale, assez ample pour appuyer ses acquis. Telle fut la fonction du « Personnalisme communautaire », qu’elle adopta comme doctrine de fond et qui joua un grand rôle jusqu’à aujourd’hui dans le Mouvement. »

C’est à partir d’une pratique, à la recherche de formes de vie plus fraternelles et plus communautaires (par exemple des expériences de péréquation), que le Mouvement s’est reconnu dans les formulations du personnalisme, plutôt qu’à partir de considérations théoriques (cf. Roger Maquin, du Groupe de Reims, en 1953).
Les termes « personne », « personnalisation », « communautaire », « communauté » étaient cultivés dans les années 30 par divers penseurs (J. Vialatoux, J. Maritain, G. Marcel, N. Berdiaeff, E. Mounier) et prisés dans le monde catholique de l’époque. Cependant, note Lestavel, ces concepts étaient généralement utilisés séparément, alors que les rassembler sous la même expression avait l’avantage de fusionner l’intérêt porté à la personne en même temps que celui du sens du groupe, les deux tendances du Mouvement.

Selon Cruiziat, le Personnalisme communautaire était « un principe cohérent à la lumière duquel on avait plus de chances de cristalliser des forces pour bâtir plus dignement la prochaine période historique ». Vaste ambition mais, note aussi Lestavel, risque d’illusion, facilitée par l’ambiguïté du personnalisme lui-même.

Alors que dans les premiers textes de LVN le nom de Mounier est noyé parmi d’autres, il n’émerge vraiment qu’à partir de 1956. Or, soulignent Lestavel et Ricœur, le personnalisme de Mounier peut être considéré de deux manières : « soit comme un courant porté vers une action civilisatrice et, en ce sens-là, plus qu’une philosophie ; soit comme une réflexion autour du thème de la personne et, à partir de là, d’autres thèmes, sans atteindre la rigueur des philosophies universitaires – et dans ce cas, moins qu’une philosophie« . Si une grande part des textes LVN relèvent plutôt de la seconde interprétation, Cruiziat de son côté défend la première, insistant davantage sur le mot « communautaire » (dans le sens de « la totalité des hommes ») que sur l’expression « personnaliste » : « La Vie Nouvelle est un combat, ce n’est pas un cercle d’études ».

Dans cette vision proche de la mystique communautaire d’Économie et Humanisme, explicitée par le père Kopf, aumônier du Mouvement, dans une brochure consacrée au Personnalisme communautaire, on postule une quasi-identité de vues entre les deux traditions, au motif que certains thèmes étaient communs à Mounier et à Économie et Humanisme. Ce qui conduit Cruiziat à créditer le personnalisme de propositions économiques et agricoles et même de solutions communautaires ou coopératives en Israël, en Yougoslavie, au Sénégal.

À côté de cette interprétation politique et militante du personnalisme, d’autres présentent le personnalisme comme une philosophie de la personne : « Le travail communautaire n’a de but qu’en fonction de l’idée que les hommes deviennent des personnes, c’est-à-dire des êtres libres, conscients, responsables ». D’autres, comme le père De Bacchiochi (1953), définissent le personnalisme en intention et en fait : « Une méthode de réflexion, un ensemble d’idées, une mentalité, un comportement moral et social, l’inspiration d’une stratégie et d’une culture politique ».

S’ouvre alors un vaste chantier idéologique comme le rappelle Lestavel : « Il sera dès lors demandé aux membres confirmés du Mouvement de travailler le personnalisme. Il est important qu’au-delà des vocabulaires, les communautaires acquièrent le sens du personnalisme, qu’ils maîtrisent autant que possible ce qu’il est et ce qu’il n’est pas, ses aspects moraux aussi bien que ceux qui concernent les conditionnements de la liberté humaine. Il est également important de savoir situer le Personnalisme communautaire par rapport au christianisme ».

Ce n’était qu’un début !
Depuis, beaucoup d’eau a passé sous les ponts, le secteur Personnalisme a continué à labourer ce terrain des références et des valeurs, essayant patiemment et laborieusement de réactualiser pour le Mouvement le sens que chacun pouvait trouver aux combats du quotidien.

En faire l’inventaire et l’historique sort du cadre de ce bref survol de nos racines philosophiques et idéologiques, il faudrait citer trop de monde, trop de publications.

Les graines philosophiques sont semées depuis longtemps, l’essentiel est ce que nous en faisons collectivement aujourd’hui. Ce tiraillement perdure en chacun de nous entre notre accomplissement en tant que personne, à titre individuel, et notre responsabilité collective, notre engagement dans la sphère citoyenne et politique. Deux dimensions indissociables, il nous faut tenir les deux bouts, personnalistes et citoyens.

Et puis…
Personnellement j’ai été touché par l’essaimage et la concrétisation, par exemple, du principe de péréquation dans l’habitat participatif à Toulouse. Opération tenace d’un ancien membre de La Vie Nouvelle (voir dans ce numéro) dont le projet aboutit, à l’heure où, paradoxalement, le Groupe local LVN s’effondre faute de combattants.

Faut-il se plaindre ? Ou bien se réjouir avec saint Jean : « Si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul ; mais, s’il meurt, il porte beaucoup de fruit ».

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