L’Europe, une démocratie à consolider

Publié le 07/04/2011

Propos recueillis par Bernadette Badinand et Jérôme Lhote, Groupe de Paris

Nous avons pu rencontrer à Paris Philippe Herzog pour lui demander comment il concevait l’idéal démocratique en Europe.
Ancien député européen, ardent défenseur de l’idée européenne, Philippe Herzog a créé en 1992 l’association Confrontations Europe, (cf. encadré ci-dessous) réservoir d’idées, Think Tank selon l’anglicisme consacré, reconnu à Bruxelles.
Il vient de publier Une tâche infinie, aux éditions du Rocher (cf. second encadré).


Citoyens : Que pensez-vous de la démocratie en Europe ?

Les pays qui entrent dans l’Union Européenne choisissent en même temps la démocratie et la construction d’une Communauté. Les deux vont ensemble. En effet, dans le cadre de la mondialisation, il nous faut réinventer la démocratie ; elle ne peut plus être seulement nationale, elle doit devenir plurinationale. L’Etat-nation a montré ses limites face à la crise. Il n’a plus la maîtrise de l’espace économique, et les citoyens sont épuisés de constater que les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances. D’autre part la démocratie est attaquée de l’intérieur. Certains luttent pour occuper les places au pouvoir, les médias ne parlent que de cela ; tandis que d’autres utilisent Internet, sans que de véritables débats soient possibles.

Cit. : Que faire pour remédier à ces maux ?

1) Les citoyens et leurs organisations doivent participer aux choix collectifs, ce qui nécessite des informations sérieuses et sans parti pris sur les sujets de fond, présentées pédagogiquement et dès l’école : régulation financière, valorisation des biens publics, préservation de la nature. D’autre part les dirigeants politiques élus ne doivent pas monopoliser les pouvoirs : il faut développer la rotation des mandats, en limitant le nombre des mandats successifs, en éliminant les cumuls et en cassant les monopoles d’accès à la haute fonction publique (diversifier les voies, pas d’exclusivité pour l’ENA).

2) Les citoyens doivent s’approprier la démocratie au niveau de l’Europe. Il ne s’agit pas de transférer la démocratie nationale au niveau européen, mais de partager une démocratie avec d’autres peuples dans une sorte de fédération, où les choix communs sont toujours à discuter. Or la participation des citoyens n’existe pas encore au niveau européen. Les Etats-nations font écran et empêchent les associations, syndicats, et autres mouvements de trouver leur place dans les processus de décision. Il faut créer une société civile européenne, c’est d’elle que viendront les mutations. Sans appropriation citoyenne, rien de durable ne sera possible.

Cit. : Comment voyez-vous le rôle des structures européennes ?

Le pouvoir du Parlement européen s’est bien développé, c’est une bonne chose, mais son rôle demeure essentiellement un rôle législatif. Or on ne fait pas fonctionner une Communauté uniquement avec des lois. Quant au pouvoir exécutif, il est faible. Le Conseil européen réunit les différents Etats, qui sont toujours réticents à partager leur souveraineté. La Commission, elle, a été créée pour définir l’intérêt général européen. C’est à elle d’éclairer l’avenir et de proposer.  On peut rappeler que les grands présidents de la Commission comme son créateur Jean Monnet, ou encore Jacques Delors avaient auparavant dirigé le Commissariat au Plan français.

Cit. : Et la Commission européenne ?

La Commission est devenue une grande administration qui perd un peu son originalité. Elle doit redevenir un espace créatif de propositions, une sorte de cerveau collectif et une autorité morale. Actuellement, parce que nous sommes en période de crise, les chefs d’État nationaux essaient de se mettre d’accord et décident souvent dans l’urgence, mais cela ne peut pas durer très longtemps. Le statut et la fonction de la Commission doivent être clarifiés, notamment le mécanisme de désignation des membres et du président, qui doit être basé sur des personnalités d’envergure, et un vrai programme serait discuté et lié au choix du président.

Cit. : Que faudrait-il d’autre pour que l’Europe joue vraiment son rôle ?

D’autre part, l’Union doit être consolidée. Certes il ne sert à rien de crier panique et d’évoquer un éclatement de l’Union monétaire, qui serait catastrophique et que personne ne veut. Mais il est indispensable de créer de nouvelles structures : un vrai budget européen, un Trésor européen qui pourrait recueillir le produit des impôts et faire des emprunts, une banque européenne d’investissement plus développée qu’aujourd’hui, des organismes de régulation des opérations financières au niveau européen. A ce sujet la directive, sur la gestion des fonds d’investissements alternatifs, pour laquelle Jean-Paul Gauzès était rapporteur, est intéressante, mais c’est un pas seulement. Pour relancer la confiance dans la finance européenne, il reste encore à résorber la crise bancaire dans de nombreux pays. Les Etats n’ont pas voulu, ou pas pu, supprimer vraiment l’opacité du système bancaire. Le fait de savoir où va notre argent est central dans le bon fonctionnement d’une démocratie.

Cit. : Quelles pourraient être les solutions pour sortir de la crise ?

Sortir de la crise va nécessiter un nouveau rapport de forces entre l’Etat et le Marché. Concrètement, il faudra mettre en place un « New deal » économique et financier un peu comme ont fait les Etats-Unis après la crise de 1929. L’Union économique, consolidée comme nous venons de le dire, pourrait réaliser de grands projets d’investissement dans tout l’espace européen, pour un développement humain durable, ce qui permettrait de relancer l’économie et les bases de la prospérité !
Le marché, ce n’est pas le diable. Il faut arrêter, dans les médias notamment, de diaboliser tout ce qui concerne le marché et l’économie et expliquer aux jeunes dès l’école ce que ces termes veulent dire, ce que cela recouvre, et comment on peut les améliorer.

Cit. : Pensez-vous à des « biens publics » au sein du marché intérieur européen ?

Les « biens publics », c’est-à-dire des réalisations utiles pour tous et accessibles à tous, devraient se déployer au niveau européen. Ils ne sont pas forcément gratuits et peuvent être marchands ou non marchands. Il s’agit de biens concernant toute la population : l’enseignement, la santé, les transports, l’énergie, la recherche, les grands travaux d’aménagement du territoire… Et il ne faut pas mettre en opposition secteur public ou secteur privé comme nous avons l’habitude de le concevoir en France.

Au niveau européen, ces biens doivent constituer une véritable valeur commune et ne plus toujours se trouver en compétition entre les nations. Aujourd’hui la compétition règne et la coopération est trop rare sur le marché intérieur européen. Des investissements en commun pourraient relancer la croissance et concerner tous les pays de l’Europe.

Ces projets concernant les « biens publics », ce ne sont pas les
administrations qui vont les bâtir, mais la société civile et les entreprises doivent les faire leurs, les inventer, les lancer, les contrôler.
La participation civile au développement ne doit pas être « une béquille » pour conforter le pouvoir des élus. Elle doit rendre la société plus responsable et lui permettre de déployer ses idées et ses initiatives.

Pour cela, il faut absolument développer la mobilité entre les personnes : les élèves, les enseignants, les travailleurs, les chercheurs… La mobilité est un facteur de progrès qui n’est pas encore complètement entré dans les habitudes de tous les Européens.
Pour conclure, nous ne devons pas être pessimistes ou déprimés, même si la construction de l’Europe est difficile. Des avancées ont été réalisées, souvent dans l’urgence et sous la pression de la crise : un système de surveillance des marchés, un fonds européen de stabilisation financière pour aider les pays en cas de crise, l’ébauche de coordination de politiques fiscales… L’Europe est à l’origine de la création du G20, des négociations mondiales sur l’environnement… mais ces actions sont trop dispersées et souffrent d’un manque de stratégie, d’un plan à moyen et long terme. Et puis – et surtout -, l’objectif est de faire que la civilisation européenne retrouve un sens, redevienne une réalité. Que nos Valeurs soient transcrites en Actes.

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