Nous et les autres

Publié le 13/03/2018

Thérèse Locoh et Claude Avisse, Atelier LVN Pour un Avenir Solidaire

L’autre, dans la vie quotidienne, n’a pas toujours bonne presse. Il dérange, il demande à sortir du quotidien.
Comme le rappelle Pierre Claverie, « des tensions existent partout et en chacun de nous : la seule présence dans notre espace d’un autre, vraiment autre, nous met en état d’anxiété et d’agressivité, voire en violence selon la « distance » où il se trouve, car il représente un danger pour notre identité ».[[De la différence … à la coexistence Pierre Claverie, 1985.]]
Quand cet autre est un étranger, les réactions sont amplifiées, en particulier en période de crise économique ou électorale où il sera pris comme bouc émissaire et responsable de nombreux maux. Cette « paranoïa » vis-à-vis de ce type de population a pris de plus en plus d’ampleur et a envenimé notre façon de penser avec le risque d’accepter certaines réflexions, certains jugements discriminatoires.
Cette situation préoccupe en particulier des chercheurs, des journalistes, des écrivains qui alertent l’opinion et donnent de façon rigoureuse, via des enquêtes, une image de notre société.
L’INED (Institut National d’Études Démographiques) a publié en 2015 les résultats d’une enquête sur la diversité des populations en France.[[Trajectoires et origines : enquête sur la diversité des populations, sous la direction de Cris Beauchemin, Christelle Hamel, Patrick Simon éd. INED 2015.]], montrant par une approche à la fois objective et subjective le phénomène de discrimination et les préjudices vécus du fait de l’origine, de la religion et de la couleur de peau.
Dans cette démarche le musée de l’Homme a monté une exposition « Nous et les autres : des préjugés au racisme » que l’atelier fédéral « Pour un Avenir Solidaire » a visitée en préambule de sa journée de réflexion du 10 février 2018.


Cette exposition se décline en trois grands thèmes :

De la catégorisation à l’essentialisation
Chaque personne est un être unique avec toutes ses particularités, couleur de peau, type de cheveux, genre, taille, poids, options politiques, religieuses, etc. La catégorisation va classer cette personne selon certains critères (musulman / chrétien, blanc/noir…). Ce classement est un processus naturel qui n’induit pas de hiérarchie. Mais, au cours de l’histoire, les hommes ont voulu attribuer certaines caractéristiques morales, psychiques en lien à des catégories, en aboutissant à la transmission d’une génération à l’autre de ces dites caractéristiques. Cette essentialisation, à un ou deux traits, est très réductrice et débouche sur un racisme basé sur une image dégradée des personnes.

La racialisation des identités collectives
Avec la conquête du Nouveau monde, les Européens s’imposent par la force en déclarant inférieures les populations autochtones. Pour des raisons politiques et économiques, le racisme et le colonialisme se développent et pour bien asseoir les conquérants, toute une théorie scientifique tend à démontrer la supériorité de la race blanche. La notion de race humaine permet le classement des populations. Il faudra attendre les années 50 à l’initiative de l’UNESCO pour voir l’abolition de la notion de races différenciant (et hiérarchisant) les habitants de la planète.
Le racisme institutionnalisé a permis à l’esclavage et au colonialisme de se développer avec toutes les conséquences humaines sous-jacentes.

État des lieux
L’état des lieux utilise en partie les résultats de l’étude de l’INED, Territoires et Origines, cité plus haut. Si les personnes dites « issues de l’immigration » se sentent dans l’ensemble bien françaises, en contrepartie la société et l’État maintiennent consciemment ou inconsciemment des discriminations à l’école (ils sont sous-représentés dans les classes supérieures), dans les embauches (voir les démarches de testing) et dans l’administration (le travail de Sarah Mazouz sur l’accueil des étrangers en démarche de naturalisation dans une préfecture de la région parisienne en est un exemple flagrant[[Sarah Mazouz, La République et ses autres. Politiques de l’altérité dans la France des années “2000”, éd. ENS Lyon, 2017.
]]). Cette exposition permet de faire le point sur un sujet très complexe, où les médias ne sont pas toujours très clairs et poussent aux clichés ségrégationnistes vis-à-vis des populations issues de l’immigration.

Trois points à retenir
• l’ethnicisation de la France
« Avec mai 68, il y a un basculement dans le champ social ; au préalable il est fait mention de classes sociales en référence à la pensée marxiste, ensuite avec la chute du bloc soviétique cette pensée est reléguée avec l’arrivée de l’individualisme et l’ère post-moderniste. L’importance du prolétariat est remplacée par la pratique des travailleurs en CDD, en intérim, qui sont moins sensibles à l’encadrement politique et syndical. La race, l’ethnie, le genre, la nation, l’ont emporté comme construction de la classe sociale. L’ennemi n’est plus tant le bourgeois ou le capitaliste que l’immigré, l’étranger, le Noir, l’Arabe…
La France semble désormais bien (mal) engagée dans un processus de séparation ethnique et raciale qui sert de substitut à la conscience de classe d’autrefois » d’après Jean-Louis Amselle, (EHESS).

• Le multiculturalisme a-t-il sa place en France ?
Les sociétés multiculturelles sont des sociétés-mondes où les appartenances minoritaires doivent pouvoir être choisies, visibles, sans exclure ni condamner à des propositions subalternes. Le dépassement du racisme ne se fera pas en niant les identités, mais en ouvrant les mobilités par leur reconnaissance, d’après Patrick Simon (INED).

• les préjugés implicites et inconscients, comment les éviter ?
Même si nous nous efforçons, en personnes humanistes, de ne pas être racistes, les préjugés sont toujours là compte tenu de notre culture. Il est bon de faire mention des travaux de chercheurs du département de psychologie de l’Université du Wisconsin[[P.G. Devine, P.S. Forscher, A.J. Austin, and W.T.L. Cox, Long-term reduction in implicit race bias : A prejudice habit-breaking intervention, Journal of Experimental Social Psychology 48, 2012, p. 1267-1278.
]] cités par ATD Quart Monde[[T. Boyer-Kassem, Lutter contre les préjugés sur la pauvreté, revue ATD Quart-Monde 243, 2017 p. 50-53.]] que nous reprenons en partie :
Ces universitaires évoquent le biais implicite (comme le fait de s’asseoir aussi spontanément à côté d’une personne blanche que noire, lorsque soi-même on est blanc). Des stratégies sont à mettre en place pour quitter ce type de réflexe. Cinq stratégies permettent de réduire ces biais implicites :
• remplacer les stéréotypes : en apercevant trois jeunes Noirs sur le trottoir je traverse la rue ;
• imaginer des stéréotypes inversés : un étudiant noir petit, qui déteste le basket, fils d’avocat et qui ne porte ni sweat à capuche, ni casquette ;
• définir une collègue africaine par le fait qu’elle aime la randonnée et les hamsters et non comme une femme de ménage ;
• changer de perspective : s’imaginer algérien et se voir refoulé d’une boîte de nuit ;
• augmenter les contacts : demander son chemin à une personne n’ayant pas sa couleur de peau.

Cette boîte à outils peut nous aider à mieux vivre avec les autres.
Et nous pouvons puiser, d’une part, dans la littérature scientifique sur les discriminations et, d’autre part, dans la littérature tout court, particulièrement celle qui émane d’écrivains issus de minorités discriminées, qui décrivent avec intensité le vécu difficile de certains de nos compatriotes[[Un exemple : Younes Amrani et Stéphane Beaud, Pays de malheur !, Éd. La Découverte, 2004.]]

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