Visiteuse de prison

Publié le 21/11/2017

Par Françoise Péchenart, Comité de rédaction

Françoise, visiteuse en prison depuis 8 ans, nous offre un témoignage direct.


C. R. : Qu’est ce qui t’a motivée pour devenir « visiteuse » ?
F. P. : Le moment de la retraite a été, d’un seul coup, un immense temps libre… J’ai souhaité me diriger vers ceux auprès desquels j’aurais pu me sentir utile.
Mais, contrairement à toute ma carrière d’enseignante, je n’ai pas voulu me retrouver dans cette situation de transmettre des savoirs, de « partager » des connaissances.
Après avoir couru des classes prépa à Paris XIII, je ne voulais plus donner de mon temps à ‘l’élite intellectuelle’ de mon environnement.
La proximité de la prison de Fresnes m’a donné l’envie d’être présente dans ce lieu.
J’ai dû attendre un an de « marrainage », d’entretiens… cette année a failli me décourager : aucune formation de base n’étant exigée, je ne comprenais pas ce retard à obtenir une carte de visiteuse.

C. R. : En quoi consiste le rôle d’un(e) visiteur(se) ?
F. P. : Savoir écouter. Parler le moins possible. Les temps « morts » de la conversation me pèsent mais j’essaie de m’y plier.
Je me prépare à entendre le flot humain et souvent répétitif des plaintes des détenus sur leurs conditions de détention, sur les brimades trop fréquentes dont ils se disent victimes de la part de gardiens très jeunes ou insécurisés par le milieu carcéral. Sur le racisme dont ils prétendent être la cible dans le choix des activités demandées (sport, culte, promenade, parloir famille…), les douleurs bien réelles qui ne sont pas prises en compte lorsqu’ils ont vraiment mal. Il faut savoir écrire pour obtenir un rendez-vous médical ou chez le dentiste et, si la réponse tarde à venir, j’essaie de jouer la « grand-mère » qui saura calmer la colère.
Avec eux, j’ai dû apprendre, non pas la patience, mais la non-révolte lorsque leur cas juridique tarde à être fixé, informé, expliqué.

C. R. : Qu’est-ce qui t’est difficile ? Des dispositifs de soutien, d’intervention si nécessaire existent-ils ?
F. P. : Ma difficulté, parfois ma culpabilité, vient de mon impuissance à agir, à trouver la personne qui pourra leur répondre, de mon manque d’imagination pour dénouer un état de mal-être ; je peux donner des timbres et des enveloppes gratuitement, mais comment faire comprendre que des mères, des femmes, des enfants, des copines… restent sur le carreau à cause de leur incarcération ? Par exemple, un détenu incarcéré ne peut plus payer ses loyers… que sa compagne ait ou non un emploi fixe, des enfants, elle doit trouver seule les solutions pour ne pas être à la rue, subvenir à ses besoins et faire face aux événements de la vie…
Les écouter une demi-heure ou une heure me permet d’avoir l’illusion que je vais casser provisoirement le cycle de violence et de révolte qui les anime parfois. Accepter de se sentir inutile.

Pour ce qui est des conditions de détention, une « déléguée ANVP » au sein de l’établissement pénitentiaire peut néanmoins rencontrer officiellement un gradé ou un responsable de la prison – et en cas d’urgence et de risque grave, je peux personnellement intervenir le jour même. Des « groupes de paroles » nous permettent aussi d’échanger sur nos remises en cause, des exigences ou des agressivités que parfois nous ne savons pas gérer.

Ouf, il reste des moments (rares) où, de ces quotidiens salis, malodorants, bruyants et agaçants, mesquins parfois, arrive une parole si personnelle, si lointaine qu’on n’y prêtait plus gare. L’humain pointe derrière… quoi ??? (nous ne connaissons pas le motif de leur peine, longue ou courte).
Parfois, au bout de plusieurs mois, l’un d’entre eux finit par demander ce qui me pousse à venir gratuitement dans ce lieu inhospitalier ; une ébauche de dialogue peut naître et, si j’arrive à le convaincre que je ne me déplace que pour lui, pour eux… un léger vertige le prend et la qualité des échanges acquiert une profondeur qui me déroute, moi aussi, car c’est émouvant de constater comment quelqu’un qui semble s’être blindé contre les avatars de sa vie chaotique… retrouve une voix fragile, des yeux plus ‘sincères’ et un désir de continuer les « parloirs visiteuse ».

C. R. : Pourquoi continuer ?
F. P. : C’est comme lorsque l’on regarde la misère, la pauvreté, les injustices, les dysfonctionnements… sans pouvoir tout bouleverser, on fait sa petite part.

Et des personnes comme Madame Hazan, actuelle Contrôleure Générale des lieux de privation de libertés, réalisent un travail impressionnant et font preuve d’une disponibilité et d’un dévouement remarquables, avec des services très réactifs lorsque par exemple nous leur soumettons un cas préoccupant. Toutes ces personnes ne ménagent pas leur peine au service des détenus.

Partager cet article :

S'inscrire à la newsletter

Newsletter

Suivez l'actualité de l'Association LVN avec la lettre d'information trimestrielle