Le directeur, le médecin et les réformes de l’hôpital public

Publié le 27/03/2017

Entretiens avec C. E. et Daniel M.
recueillis par Bénédicte Brunet, Comité de rédaction

Nous avons croisé les expériences de deux acteurs hospitaliers confrontés à la nouvelle politique de management : C.E., directrice d’hôpital en zone rurale, chargée de la direction des affaires médicales, des autorisations, des coopérations et d’une direction commune pour trois établissements, et Daniel M., pédiatre, professeur des universités, praticien hospitalier, chef de pôle dans un CHU.


CR : Vous avez vécu les réformes hospitalières, notamment la tarification à l’activité (T2A)…
CE : Avant le passage à la T2A, les hôpitaux étaient financés par des dotations globales inégalitaires par rapport à l’activité réalisée. Des élus pouvaient obtenir des dotations supplémentaires pour un établissement, entraînant un décalage par rapport à d’autres. La T2A a obligé à reconsidérer des situations acquises, les activités réalisées et à se comparer.

CR : Comment avez-vous vécu le rassemblement des services en pôles d’activité ?
CE : J’ai eu deux expériences différentes. En région parisienne, les médecins étaient volontaires pour être chefs de pôle ; ils confrontaient leurs projets. Dans l’hôpital où je suis actuellement, il y a peu de volontaires et il n’existe pas de réel projet de pôle bien que du temps médical ait été octroyé pour cette fonction. Comme nous avons du mal à recruter des praticiens, l’activité de gouvernance ampute l’activité clinique. L’association entre la direction et les chefs de pôle est pourtant essentielle. Elle permet aux administratifs de comprendre les leviers et les difficultés pour parvenir à une réorganisation qui ne peut être décrétée.
Daniel : Dans mon CHU, la mise en place des pôles paraissait floue. Qui fait quoi ? Quid des prérogatives des chefs de service ? Tous n’ont pas adhéré, interrogatifs quant à l’objectif poursuivi.

CR : Avec quelles interrogations ?
Daniel : Le chef de pôle est l’interlocuteur privilégié de la direction. Quelle serait sa marge de manœuvre ? Ne deviendrait-il pas l’otage de l’administration, contraint de faire avaliser les décisions administratives dans son pôle ? Le vécu des collègues a été variable et la mise en place des pôles les a amenés à revoir leur organisation. De son côté, la direction a toujours souhaité garder une solidarité entre les activités médicales rentables et celles qui sont déficitaires mais fondamentales pour la population.

CR : Comment cela se traduit-il au niveau de la direction ?
CE : Certaines activités ne rapportent rien mais nous sommes conscients de leur intérêt. L’angiologie ou la diabétologie sont déficitaires mais essentielles pour les patients. Elles complètent le suivi d’autres spécialités. Nous travaillons ainsi en réseau avec le CHU pour la médecine vasculaire et la diabétologie en développant des hospitalisations de semaine. Il faut surtout avoir conscience de la part importante d’ »impalpable » à l’hôpital. En zone rurale, la direction doit perpétuellement prendre en compte l’humain et la fragilité d’une organisation dépendant d’un socle peu élevé de praticiens dans les projets. Quid de la prise en charge des AVC dans un territoire où la population est âgée, quand l’hôpital a moins de trois neurologues ?

CR : Daniel, comment as-tu vécu la création des pôles ?
Daniel : La gestion administrative incombant aux chefs de pôle a rebuté certains. Quant à moi, j’ai trouvé intéressant de mieux connaître les modalités de gestion hospitalière, d’être à l’interface entre la direction, l’information médicale, la direction des travaux et le pôle, avec des projets en équipe. Se comparer à d’autres CHU oblige à revoir la pertinence des organisations soignantes et à envisager des mutualisations intelligentes. On a pu passer à des hospitalisations de semaine ou regrouper des activités de soins. Et s’il a fallu accepter des fermetures de lits, on a obtenu des lits supplémentaires en périodes épidémiques.

CR : Dans votre établissement comment s’est passée la contractualisation des pôles avec la direction, avec la fixation des objectifs d’activité, de moyens et de résultats ?
CE : En Ile-de-France, elle a recueilli une large adhésion. Les chefs de pôle discutaient fermement les objectifs et indicateurs de résultats avec la direction, un même chiffre pouvant cacher mille réalités différentes. En hôpital rural c’est plus difficile car nous avons peu d’interlocuteurs et la marge d’erreurs est importante faute d’un collectif médical fort.
Daniel : Dans mon pôle, les objectifs d’activité et les moyens du contrat pour l’ensemble des équipes sont revus chaque année. Par rapport à la T2A, la difficulté tient à une enveloppe financière fermée. Or chaque établissement doit financer des mesures nouvelles pour le personnel, qui doivent être payées grâce à l’activité réalisée. Il faut donc augmenter les recettes, avoir plus d’activité ou des activités plus rémunératrices. S’il est déficitaire, le pôle devra réduire ses dépenses. Mais au-dessous d’un certain niveau on ne peut plus rationaliser sans fermer une offre de service public. On est dans l’ambiguïté : si un pôle développe une activité thérapeutique innovante et recrute en conséquence, il s’engage à ce niveau d’activité, mais comme les CHU doivent être à l’équilibre budgétaire, la masse salariale ne peut être modifiée. Il faut alors trouver le ou les postes ailleurs…

CR : Avez-vous vécu des audits du pôle ou de l’établissement ?
Daniel : Nous avons eu un audit réalisé par l’ANAP. De jeunes diplômés recrutés par les boîtes de conseil missionnées appliquaient des normes de rationalisation sans prendre en compte la situation du pôle, qui est multi-sites. Pour le nombre de patients par an, de consultants et de personnel, par rapport à la norme, « vous avez X % de postes soignants et secrétaires à rendre ». L’audit est consultatif mais la direction a dû l’intégrer en essayant de trouver les postes à rendre.
CE : Nous n’avons pas eu d’audit, mais je trouve les outils de diagnostic et les référentiels de l’ANAP d’autant plus intéressants que nous sommes isolés. Ils permettent de situer la performance de son établissement par rapport à une référence considérée comme satisfaisante. A partir d’un référentiel, nous avons réalisé un diagnostic du taux d’occupation du bloc opératoire par rapport au temps d’ouverture des salles ou des temps d’enchaînement. L’organisation des circuits courts et allongés est intéressante pour réduire le temps d’attente des patients. Mais elle dépend surtout de l’intelligence des personnels. Contrairement au monde de l’industrie et malgré l’existence de différents référentiels, il est difficile de standardiser l’activité d’équipes soignantes.

CR : Plus globalement, quel regard portez-vous sur les réformes hospitalières ?
Daniel : Elles ont permis aux médecins de prendre en compte le coût des soins médicaux tout en essayant d’en garder la qualité. Il n’est pas aberrant d’avoir une meilleure connaissance des coûts, de se réorganiser, à condition qu’il y ait des règles claires. Un des problèmes tient au fait qu’on est en présence d’une régulation médico-économique des soins sans réelle régulation de l’offre de soins, ce qui globalement fragilise la situation des établissements publics. Un établissement privé peut décider de développer une activité mais sans assurer certaines contraintes des établissements publics. Des situations de concurrence se constituent, alors que l’intérêt général devrait conduire à une complémentarité efficace. Il faudrait clairement définir qui fait quoi dans un territoire, en précisant le service rendu et en fixant les missions pour les établissements publics et privés.
Un problème d’attractivité se pose aussi pour les hôpitaux, même dans les CHU, qui ne peuvent recruter que des contractuels. Comment garder des spécialistes, prolongés en position contractuelle, quand les salaires sont 3 à 4 fois supérieurs dans le privé ?

CR : Comment se pose pour vous la question du recrutement médical à l’hôpital ?
CE : En zone rurale, il y a un réel problème de pénurie. L’hôpital se transforme en centre de consultations de spécialités, d’où le problème de rentabilité en regard des coûts générés. Les recettes d’un hôpital ne peuvent s’équilibrer qu’avec une part importante de séjours et d’actes. Et une politique attractive de recrutement ne parvient pas à fidéliser les praticiens car la ruralité ne plait pas. Pourtant les liens avec le CHU permettent des temps partagés et la participation à des projets de recherches cliniques. A bas bruit, la démographie médicale est le vrai planificateur.
Daniel : Il y a un grand déséquilibre entre les zones rurales et les métropoles, que les médecins préfèrent et où le conjoint pourra trouver du travail. A côté des déserts médicaux, on trouve des situations où l’offre de soins est trop importante, ce qui ne garantit pas une bonne pratique. Il faudrait planifier l’offre de soins, déterminer les besoins de santé, recruter des médecins à plein temps et correctement payés. Vaste chantier pour les années à venir… Sera-t-il ouvert ?

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