De l’engagement local à la solidarité internationale

Publié le 27/03/2017

Nicole Nourigat, propos recueillis par Bénédicte Brunet, Comité de rédaction

Comment conjuguer son engagement local avec les luttes menées ailleurs dans des contextes et selon des positionnements qui peuvent parfois s’opposer ? Nicole est une militante engagée dans les mouvements féministes depuis plus de 50 ans. Son parcours, entre les associations locales et nationales et la Marche Mondiale des Femmes (MMF), souligne qu’il est possible de lier ces actions au plus proche et la solidarité internationale.


En préalable à l’entretien…
Comme d’autres mouvements sociaux, les mouvements des femmes ont été, dès le départ, transnationaux. Mais cela ne se passe pas sans divergences compte tenu des différences d’histoire de vie entre les femmes. Un « Nous les Femmes » parfois présenté comme universel dans les revendications des féministes en Occident méconnaît les rapports de domination entre les femmes et les peuples et ne prend pas en considération les discriminations sociales ou raciales vécues par des femmes selon les pays et au sein d’un même pays. Ce « nous » est dès lors difficilement concevable pour les femmes qui vivent ces discriminations. L’expression du vécu et des propositions de toutes les femmes souligne « combien le point de vue de la marge impose un déplacement, une redéfinition des notions de l’universel qui ne soit pas l’imposition des valeurs des groupes dominants » (D. Fougeyrollas-Schwebel, E. Varikas, Cahiers du Genre, 2006, 3, p. 7-15). Notre engagement part souvent d’un sentiment d’injustice ressenti à partir de notre position géographique et sociale. Il implique dès lors d’écouter toutes les voix près de nous et de par le monde, de relayer et soutenir leurs luttes, comme le souligne Nicole.

B. B. : Pourquoi t’es-tu engagée dans le féminisme?
N. R. : J’ai 85 ans. Quand j’étais petite fille, on me disait : « une fille ne monte pas aux arbres. Une fille ne peut pas faire tel métier ». Moi, je voulais travailler dans la marine marchande, mais on m’a dit que c’était impossible… ça m’a mise en colère. Et puis j’en suis restée là. Je suis devenue infirmière puis assistante sociale. Je me suis mariée et j’ai eu 8 enfants. Pas de contraception, pas de droit à l’IVG à l’époque. J’ai rencontré beaucoup de femmes qui venaient d’avorter ou qui ne pouvaient pas avorter, et qui se trouvaient dans des situations difficiles.
J’habitais en région parisienne et je me suis rapprochée du MLF. Mais à ce moment-là, je n’avais pas de temps pour m’engager, à cause de mes enfants. Puis nous sommes venus à Montpellier. Comme secrétaire départementale FCPE (Fédération des Conseils de Parents d’Elèves), j’ai soutenu les batailles pour permettre d’ouvrir l’orientation des filles. A la fin des années 1970, on était notamment un petit groupe (5-6) mobilisé autour des violences contre les femmes. On a créé un centre d’hébergement pour les femmes et les familles où j’ai travaillé pendant 12 ans jusqu’à ma retraite. J’ai contribué à la naissance de la Fédération nationale Solidarité Femmes créée en1982. Puis en 1995, il y a eu un congrès féministe à Montpellier duquel ont émergé plusieurs associations, comme Citoyennes Maintenant (CM) militant pour la parité et qui depuis travaille en faveur de l’égalité, notamment politique, professionnelle, sociale, et dans l’éducation, à laquelle j’ai adhéré.

B. B. : Comment en es-tu venue au besoin de lier engagement local et international ?
NR : Dans ces associations locales et fédérale, j’ai pu voir ce que d’autres faisaient ailleurs, comment on pouvait se soutenir, ça me stimulait. Ce n’est pas le besoin d’un engagement international, mais cette idée de solidarité qui était sous-jacente au besoin de se relier avec d’autres dans le monde. Je voyais que si les femmes se donnaient la main, on arrivait vraiment à faire quelque chose. Tous les 5 ans depuis l’année 2000, les féministes du monde entier unissent leurs forces pour construire ensemble un monde basé sur la Paix, la Liberté, l’Egalité, la Justice et la Solidarité. La première rencontre internationale à New-York a concrétisé la MMF.

B. B. : En quoi consiste la Marche Mondiale des Femmes ?
N. R. : C’est un mouvement mondial qui part du local, des associations de base, syndicats et organisations qui agissent ensemble. Chaque coordination nationale de la MMF (j’y participe pour la France) relaie ces actions au niveau France, Europe et international. Les orientations sont discutées lors des réunions à chaque niveau et exprimées publiquement lors de journées importantes (exemple 8 mars, 17 octobre) pour sensibiliser et manifester la solidarité avec ce que vivent d’autres femmes. Le 9 janvier 2013, trois militantes kurdes ont été assassinées à Paris ; depuis quatre ans des actions sont menées partout dans le monde pour alerter sur la répression exercée contre des femmes militantes (10 ont été assassinées en 2016). La Marche mondiale, ce sont aussi des rassemblements internationaux tous les cinq ans, comme celui qui a eu lieu en 2015, et comme celui qui se prépare au niveau européen pour réagir contre les législations restrictives à l’égard de l’IVG. En 2005 à Ouagadougou, en 2010 à Bukavu nous étions des déléguées venues de très nombreux pays. Ces moments sont des occasions déterminantes pour se parler, échanger sur ce que l’on vit et nos stratégies, nos efforts pour rompre les oppressions et pour se soutenir dans ce qu’on entreprend.

B. B. : Cela doit donner lieu à d’importants débats ?
N. R. : C’est sûr ! Au niveau européen, on n’est jamais parvenu à une position commune sur la prostitution. Et lors de la dernière rencontre des coordinations mondiales à Maputo, l’entrée de groupes féministes kurdes dans la coordination du Moyen-Orient a donné lieu à des débats houleux. Malgré ces difficultés, et même si on ne parvient pas à une position partagée, on se trouve interrogée et sensibilisée par des situations qui ne se posent pas partout de la même manière et on peut agir ensuite en solidarité avec elles. Les situations des migrantes ont été notamment abordées à Maputo entre les déléguées des pays d’origine, de ceux traversés et d’exil.

B. B. : Comment cela s’organise-t-il ensuite au niveau local ?
N. R. : Pour prendre un exemple très proche, l’association de mon quartier s’implique dans l’accueil des réfugiés. On a voulu sensibiliser les habitants sur les trajectoires vécues par les femmes depuis leur pays jusqu’ici, mais aussi les interpeller sur les problématiques des femmes qui ne sont pas toujours pensées dans l’accueil, par exemple dans les vêtements distribués et pour les besoins d’hygiène féminine. Et on a décidé de débattre de ces questions entre l’association de quartier, les réfugié-e-s, les habitants et ceux qui le souhaitent, autour d’une expo photos. On a rassemblé des photos prêtées par une association solidaire, celles envoyées par la Maison des Femmes de Thessalonique, en lien avec l’association de soutien au peuple grec, et celles transmises par le Fonds des Femmes en Méditerranée. C’est à l’échelle d’un quartier, mais pour moi, il faut partir du plus proche pour que ça infuse. En fait, j’ai toujours remarqué que, lors des rencontres entre femmes, même en dehors de la MMF, par exemple au cours de voyages chez l’habitant, on peut se comprendre et on a toujours des expériences communes malgré les différences et la barrière de la langue.

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